Clope au bec, les mains dans les poches, ça m’amusait de voir la plupart des gens grelotter de froid. Ok, on était bien loin maintenant de la canicule qui avait sévi durant l’été, mais on était pas non plus en Alaska comme le laissait à penser nombre de gens qui s’étaient couverts comme si une tempête de neige était annoncée.

Le froid était une aubaine pour moi, par contre… Je supportais très mal les grosses chaleurs de Los Angeles, sans compter qu’il fallait, en générale, que je protège en permanence ma peau et mes yeux des rayons agressifs du soleil… Il fallait dire que je n’étais pas vraiment fait pour vivre dans ce climat aride, à deux pas du désert.

C’était donc l’occasion de sortir un peu, d’autant que par ce temps, les Angelenos préféraient rester chez eux. Très bien, les rôles étaient échangés, pour une fois.

J’avais choisi Hollywood pour prendre l’air. Ce serait aussi l’occasion, même si je détestais vraiment ça, d’acheter quelques vêtements parce que, même si j’entretenais mes affaires, ça faisait bien deux ans que je portais les mêmes trucs et certains de mes jeans commençaient à s’user dangereusement au niveau des fesses…

Et puis, peut-être qu’Alexie m’avait, quelque part, d’une certaine façon, un peu mis en confiance et que j’avais envie de faire un peu plus attention à ce que je mettais… Je savais pas trop.

J’en profitai aussi pour aller marcher sur le Walk Of Fame, les yeux rivés sur les étoiles qui défilaient devant mes yeux. J’essayais de déterminer, bon dieu, comment ceux qui se chargeaient de ça décidaient qui aurait une étoile et qui n’en aurait pas… Sur base de quoi ? Parce qu’il y avait là certes des noms très talentueux qui n’avaient plus rien à prouver tandis que d’autres, selon moi, ne méritaient vraiment pas une étoile sur un trottoir, ni même la « notoriété » qui était la leur.

Je supposais donc que c’était, comme tout dans l’art, très subjectif.

Et alors que je me faisais cette réflexion, ignorant complètement que, pour figurer sur le Walk Of Fame, il fallait non seulement se porter candidat, mais aussi verser une belle somme, en plus de la notoriété, je percutai légèrement quelqu’un. Heureusement, j’eus un bon réflexe qui fit que, si ma cigarette tomba de ma bouche dans l’aventure, j’avais réussi à ce que la pile de boîte que portait la jeune femme que je venais de bousculer par distraction ne s’étale pas à terre.

-Oh ! Merde !

Je regardais les boîtes et non la jeune femme, mes mains restant levées pour éviter que les boîtes, peut-être en équilibre précaire ne tombent. Mais ça semblait aller alors je baissai les yeux vers la fille qui les portait.

-Je suis vraiment désolé… J’étais distrait.

Je soupirai, rassuré de voir qu’il n’y avait pas de casse. C’était des boîtes de pâtisseries de chez Yummy’s, en plus…

-Ca vous en fait, des pâtisseries… Je m’en serais voulu de vous en priver… Ca va aller ? Je peux vous aider, pour la peine ?

Après l’avoir bousculée comme ça, ça me semblait être la moindre des courtoisies.

@ Billy Lighter

Faut apprendre à regarder devant toi, Snyder…

Ça m’aurait évité de percuter la jeune femme et ses boîtes de pâtisseries. Moi qui m’arrangeais, quand je sortais comme ça, pour avoir un minimum de contact avec les gens (d’où l’intérêt de travailler à la radio… Beaucoup de gens connaissaient ma voix sans avoir aucune idée de ce à quoi je ressemblais), et bien, pour le coup, c’était raté.

Et, même si elle disait que ce n’était pas grave, prenant la faute pour elle, à la limite, mon éducation ne pouvait se contenter de simples excuses, d’autant que la jeune femme était très chargée, au point d’en avoir les joues rouges… A moins que ce ne soit dû au froid… En effet, comme bien des gens aujourd’hui, moi mis à part, la demoiselle était bien habillée, comme s’il allait neiger alors qu’on en était encore bien loin…

Je n’avais jamais vu de la neige, en réalité, mais je supportais bien le froid.

Il me semblait avoir déjà vu cette jeune femme quelque part, en plus, mais hors contexte, je n’arrivais pas à la resituer… Alors, de peur de dire une connerie, je ne dis rien… Dans le doute, abstiens-toi, comme on dit…

Enfin, bref, pour bien faire, je lui avais proposé un coup de main. Elle m’expliqua alors que les pâtisseries étaient pour des clients à l’angle un peu plus loin.

Et aussi qu’elle le voulait bien, ce coup de main, finalement. Je hochai la tête et tendis les bras pour prendre les boîtes en rigolant.

-Ok, alors on y va…

J’étais beaucoup plus grand qu’elle, j’avais de plus longs bras aussi. Ce qui semblait être véritablement encombrant dans ses bras à elle eut l’air d’un détail une fois dans les miens. Je pouvais la regarder aisément par-dessus les boîtes… Je lui souris.  

-Mais si je vous aide pour m’excuser et que vous m’offrez un café pour me remercier ensuite, ça risque de durer longtemps à se renvoyer l’ascenseur.

Je haussai les épaules…

-Mais j’aime le café et vous avez l’air d’avoir froid… Alors pourquoi pas ?

Je me mis à marcher, avec elle, dans la direction qu’elle avait indiquée, la regardant… Et elle me regardait aussi avec un drôle d’air…

-On s’est déjà vus quelque part, non ?

Ça fit « tilt ! » et je la regardai à nouveau.

-Holly Bones… C’est ça ?

Au pire, j’aurai confondu une jeune femme très jolie avec une autre jeune femme très jolie, je pensais pas qu’elle puisse mal le prendre…

@ Billy Lighter

Je choisis d’aider la jeune femme avec toutes ses boîtes. Ça lui éviterait de prendre quelqu’un d’autre de face dans deux minutes parce qu’elle ne devait pas voir grand-chose. Sa pile était tellement haute que ça lui obstruait complètement le champ de vision.

Elle accepta mon aide et j’acceptai d’aller boire un café avec elle juste après. C’était quand même mon intention d’aller boire un café à un moment donné… Il me fallait mon carburant pour fonctionner, après tout.

-Ok, va pour le café du coin.

Tout en avançant et en portant les boîtes de pâtisseries, je fis le lien entre lesdites boîtes et ce visage qu’il me semblait connaître. Allez, Snyder, fait un effort ! Ce sourire-là était familier, non ?

Je la reconnus comme étant Holly Bones. Et c’était juste, en plus, parce que j’avais toujours un doute, dans le fond. Mais non, elle confirma et m’appela par mon nom. Je secouai la tête en clignant des yeux, surpris. Ok, ça arrivait parfois parce que des gens reconnaissaient ma façon de parler ou simplement le timbre de ma voix. Mais ça me surprenait quand même à tous les coups.

Face à ma surprise, la jeune Holly se mit à rire, me rappelant qu’on s’était vus quand j’étais venu chercher des pâtisseries pour Alexie avant d’aller la voir à l’hôpital avec les conséquences que l’on sait.

-Ah ouais… Ouais, très juste… Vous avez une bonne mémoire…

Je lui souris alors qu’on arrivait à destination, ou plutôt à la destination des pâtisseries, et ouvris la porte, la maintenant pour qu’elle puisse passer à son tour, tout en lançant.

-Et… « Jake » suffira à mon bonheur…

On entra dans le magasin et je restai en retrait, mains dans les poches après avoir déposé les boîtes, le temps que la jeune femme fasse affaires avec la propriétaire de l’établissement.

Puis, on ressortit et je la suivis, puisque c’était elle qui savait où se trouvait un café qui valait le coup, apparemment.

Et tout en marchant, après avoir rallumé une cigarette, je revins sur la façon dont moi, je l’avais reconnue.

-Vous savez… C’est moins de par notre rencontre à votre magasin que je me rappelle de vous que pour avoir vu votre portraits sur les nombreux livres de cuisine en possession de ma mère…

Ma mère qui vouait un véritable culte à Holly Bones. Quand, le vendredi, elle préparait des gâteaux ou des biscuits sortis d’un des livres de Holly Bones, moi, je regardais que les images… Les gâteaux étaient toujours joliment présentés, comme de petites œuvres d’art… Et leur créatrice n’en était pas moins agréable à regarder, fallait avouer…

Même si je n’avais qu’à Alexie en tête depuis Hanukkah… Et même bien avant ça. Ce qui ne m’empêchait pas pour autant d’admirer la beauté en générale.

Je rigolai en voyant les joues rouges de la jeune femme.

-Vous avez sérieusement l’air de vous les geler… Vous êtes au courant que la température est tout juste en dessous des 10° ?

@ Billy Lighter

Holly était avenante et commerciale, ce qui me fit sourire quand elle affirma qu’elle n’oubliait jamais les gens qui venaient dans sa boutique. Pourtant, ses pâtisseries étaient sacrément réputées alors elle devait en voir passer, du monde. J’étai même sûr que des gens faisaient des kilomètres pour acheter ses produits.

Alors elle devait avoir une sacrée mémoire si ce qu’elle affirmait n’était pas qu’un slogan commercial.

Juste avant qu’elle ait à faire affaire avec la propriétaire de l’établissement dans lequel on était entrés, je lui avais dit de m’appeler Jake… Je préférais de loin ça à Monsieur Snyder qui me semblait vouloir faire plus guindé que je ne l’étais. Tandis que Jake, en tant qu’animateur radio, c’était un peu mon « nom de scène »…

On était ensuite ressorti du magasin, allégé des boîtes de pâtisseries, et on avait repris notre marche pour nous diriger vers le café que connaissait Holly. J’avais alors avoué à la jeune femme que, si je l’avais reconnue, ce n’était pas tant de l’avoir vue à son magasin sur Malibu quand j’avais été chercher un petit cadeau pour Alexie alors hospitalisée, que parce que ma mère possédait quelques livres de cuisine à son nom.

Je rigolai en soufflant la fumée de ma cigarette quand elle s’était exclamée que ma mère aimait cuisiner.

-C’est un euphémisme, je dirais…

C’était pas qu’elle aimait cuisiner, ma mère… C’était une véritable obsession ! Fallait dire qu’après avoir connu des privations inhumaines, elle allait pas se gêner !

Holly Bones prit cela comme un compliment et c’était tant mieux car c’en était un, en quelque sorte. Elle avait un beau sourire contagieux, la jeune femme… Elle était d’un contact facile, sans être intrusive alors je ne me braquais pas… Y avait pas de raison que je me braque, d’ailleurs.

On entra dans le café, Holly me tenant la porte juste le temps que j’écrase mon mégot avant d’entrer dans l’établissement. Puis, alors que je rigolais de la voir transie de froid comme s’il gelait dehors, on s’installa à une table. Elle m’expliqua alors qu’elle venait de Nouvelle-Zélande en comparaison de quoi, il faisait froid, pour elle, à Los Angeles.

-Et ben… Moi, qui ai trop chaud en permanence, dans ce pays… C’est juste le temps idéal aujourd’hui, pour moi…

Je relevai mon regard sur la jeune Holly.

-Je savais que vous veniez de Nouvelle-Zélande… C’est marqué dans l’introduction de vos livres.

Le serveur arriva et je laissai Holly commander avant de demander à mon tour un café noir, avec beaucoup de sucre et de le remercier d’avance. Puis, je reportai mon attention sur la pâtissière qui me remerciait pour mon aide.

-Y a vraiment pas de quoi. Entre votre maladresse et ma distraction, les torts étaient partagés et ça aurait été dommage de risquer de gaspiller de la nourriture comme ça.

J’hésitai un peu, n’étant pas très bon pour faire la conversation, puis lançai :

-Sans indiscrétion, ça fait longtemps que vous êtes établie à Los Angeles ? Vous n’êtes pas obligée de me répondre si vous ne le souhaitez pas.

En fait, c’était moi qui n’aimais pas tant les questions… Et je n’aimais tellement pas ça que je m’en voulais, limite, quand j’en posais à d’autres. Contradictoire pour un journaliste qui fait pas mal d’interviews à l’antenne ? Peut-être pas tant que ça : les invités de L.A.Rocks venaient en connaissance de cause quand il s’agissait d’une interview. C’est différent quand on rencontre simplement quelqu’un dans la rue.

@ Billy Lighter

Il était très facile de comprendre que la cuisine, et la pâtisserie en particulier, était une véritable passion pour Holly Bones. Elle disait elle-même qu’elle ne faisait pratiquement que ça depuis qu’elle avait emménagé chez elle. Je souris, c’était toujours agréable de rencontrer des gens passionnés par quelque chose, le genre de personne qui pouvait parler des heures de ce qui leur tenait à cœur.

Et j’aimais probablement aussi beaucoup ce genre de personne parce qu’il suffisait de les lancer et puis, moi, je n’avais plus besoin de parler, juste de les écouter. Un peu comme Alexie, en fait… Elle aussi avait cette capacité à pouvoir parler sans respirer et à donner son avis sur tout… Une caractéristique qui m’exaspérait autant que ça me faisait sourire, aussi contradictoire que ça puisse paraître.

Rien que de penser à Alexie, mon regard se fait rêveur une seconde.

Installé dans un café à la fois confortable et chauffé, j’avais constaté en rigolant gentiment qu’elle avait vraiment l’air de mourir de froid. Et avant qu’on ne prenne nos commandes, elle m’avait dit qu’elle venait de Nouvelle-Zélande et que le climat n’était pas du tout le même, là-bas. Puis, nos commandes envoyées, elle avait été surprise que je sois au courant de ses origines autant que du fait que j’aie lu l’introduction d’un de ses nombreux livres que ma mère avait en sa possession.

Je souris et haussai les épaules.

-Moi, je l’ai lue.

Pourquoi ? Parce que le livre avait été ouvert à cette page-là la dernière fois que j’avais passé mon vendredi après-midi dans les pattes de ma mère qui cuisinait en vue de la soirée. Il y avait l’intro en filigrane d’une très belle photo de la jeune femme et je l’avais lue… Juste parce que c’était là… J’étais nerveux alors mon cerveau cherchait constamment à s’occuper.

Et quand je lis un truc, je le retiens.

Nos boissons arrivèrent et je mis les morceaux de sucre dans mon café… Tous, sans exception. La jeune femme, elle me remerciait pour mon aide et s’excusait encore une fois pour m’avoir percuté. A moins que ce ne soit moi qui l’aie percutée… Elle en profita pour ajouter qu’en ce qui la concernait, ça ne la changeait pas de son quotidien.

Donc, Holly Bones était une jolie Néo-Zélandaise maladroite de nature et passionnée de pâtisseries. Je savais déjà tout ça en ayant posé quoi ? Une question ?

-Maladroite ou non, vous ne manquez pas de talent. Alexie Greatfield a été ravie quand je lui ai ramené une boîte de vos créations.

Tellement ravie qu’elle m’avait embrassé sur le pas de la porte d’Hank North… Je secouai la tête, discrètement. Non, ça n’avait rien à voir ça, Jake !

-Ça a fait sa journée…

Et la mienne aussi.

Prenant une gorgée de café, je m’étais permis de poser une question à la jeune femme, mais en lui signalant qu’elle n’était pas obligée d’y répondre si elle n’en avait pas envie. Ce n’était pas mes affaires et je n’avais pas à m’immiscer dans sa vie à elle. J’avais toujours eu du mal avec le concept de « faire connaissance » parce que les gens racontent quand même tout d’emblée. Il suffisait de voir ce que n’avais déjà engrangé comme informations sur elle depuis qu’on s’était rentrés dedans.

Elle y répondit en précisant que ce n’était pas indiscret, ce qui me rassura un peu sur la légitimité de ma question. Elle n’était donc ici que depuis trois ans. Mais apparemment, sa famille lui manquait.

-Je peux comprendre… J’imagine que pour percer dans votre métier, vivre sur une île ne devait pas être des plus pratiques… Pas pour s’étendre au niveau mondial en tout cas.

Je pris une nouvelle gorgée de café.

-Ce qui est plus étonnant, c’est de vous voir personnellement à la vente dans la boutique de votre boutique de Malibu… Je pensais, et c’est peut-être un gros cliché, que les chefs reconnus tels que vous passaient plus de temps en cuisine ou dans des sortes de… laboratoires… ? Ça se dit, ça ? Pour créer de nouvelles choses.

@ Billy Lighter

Installé dans un petit tea-room du Walk Of Fame, je me découvrais une facilité à converser avec la jeune Holly Bones. Mais la raison était extrêmement simple et ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. J’étais à l’aise pour la simple et bonne raison que j’étais arrivé sans trop de mal à ce que la conversation se déroule comme une interview.

L’interview de Holly Bones.

En orientant directement la conversation sur ses origines puis son travail, je pouvais maintenant faire en sorte de poser les questions, de lui faire élaborer des réponses et d’éviter d’être questionné en retour. Pour ça, je n’hésitai pas à donner deux ou trois informations comme le fait qu’Alexie ait adoré les pâtisseries que je lui avais ramenées à l’hôpital. Ce qui n’avait pas manqué de me replonger dans une forme de nostalgie un peu perturbante. Doublement perturbante depuis Hanukkah.

Je souris à Holly qui rougissait en affirmant qu’elle était contente que ça ait plu à Alexie.

-Quand je la reverrai, je lui transmettrai.

En espérant que je pourrai lui transmettre bien plus que ça, quand je la reverrai.

Je poursuivis ce qui ressemblait de plus en plus à une interview, restant dans les clous et les codes de ce mode de communication que je connaissais mieux que n’importe quel autre. J’avais également l’avantage de pouvoir me servir de tout ce que j’avais appris par hasard, et retenu par réflexe, sur la jeune femme et son métier via les livres de ma mère.

J’eus confirmation par la pâtissière que la raison de sa présence à L.A. était la faible possibilité de rayonnement de son talent à partir de la Nouvelle-Zélande qui était une île éloignée et minuscule, perdue au milieu d’un océan, je ne savais même pas lequel, la géographie n’étant vraiment pas mon fort.

Mais ce qui me surprenait bien plus que son expatriation volontaire, voire nécessaire, c’était le fait qu’elle servait elle-même les clients dans sa boutique de Malibu. J’avais moi-même été servi par la jeune femme quand j’y étais passé, mais je devais avouer que j’avais d’autres préoccupations ce jour-là pour vraiment m’intéresser à Holly.

Je me rattrapais, aujourd’hui, buvant mon café bien sucré tout en l’écoutant m’expliquer pourquoi elle ne suivait pas le mouvement de ses « confrères » chefs et se préoccupait autant de la création que du contact avec son public. Personnellement, je savais qu’à sa place, j’aurais plutôt été un rat de laboratoire solitaire, si seulement j’avais eu un quelconque talent qui me l’aurait permis. Mais ce n’était pas le cas.

Ce n’était pas pour autant, semblait-il, que la vie sociale de la jeune femme était plus élaborée que la mienne… En effet, elle disait travailler énormément et quand ce n’était pas dans son magasin, c’était dans sa cuisine, chez elle… Elle n’avait pas vraiment de laboratoire, donc… Ce qui me fit sourire, parce que j’imaginais vraiment ça comme tel…

-Vous êtes quelqu’un de très simple, en fait… Vous vous contentez de… pas vraiment « peu » puisque vous êtes quand même venue jusqu’ici vous faire un nom et à juste titre… Mais vous restez fidèle à vos racines, si je comprends bien…

Je penchai la tête sur le côté en fronçant les sourcils légèrement quand elle affirma que quand elle irait ouvrir une boutique ailleurs, elle céderait sa boutique actuelle.

-Oh… Vous ne comptez donc pas rester à Los Angeles ? En faire votre Q.G. ? Parce que… il fait froid ?

Je souris.

Je n’y tenais déjà plus alors je pris mon paquet de clope et en calai une entre mes lèvres avant de lui désigner le paquet.

-Vous fumez ? Vous en voulez une ?

@ Billy Lighter

J’en avais appris énormément sur Holly Bones en seulement quelques minutes. Mais lui poser des questions sur son travail me permettait à la fois de ne pas être intrusif dans sa vie privée tout en faisant la conversation et en évitant de parler de moi. Il n’y avait de toute façon pas grand-chose à raconter sur moi.

Je fus cependant surpris d’apprendre que la jeune femme n’avait pas pour ambition de rester à Los Angeles et de s’y établir. Au contraire, si l’occasion se présentait, disait-elle, elle partirait pour faire fructifier une autre boutique ailleurs en confiant celle qu’elle avait actuellement à Malibu à quelqu’un d’autre qui ferait tourner correctement ce maillon d’une chaîne de magasins qui deviendrait dès lors encore un peu plus grande.

Je soufflai ma fumée par le nez tout en l’écoutant me dire que rien ne la retenait ici, à Los Angeles. Tout ce qu’elle avait, c’était un meilleur ami ici… Mais qu’elle ne considèrerait pas comme perdu si elle partait à New-York. Mais je voyais les choses autrement.

-Si vous souhaitez agrandir votre chaîne, je pense que rien ne pourrait vous retenir. Vous avez quitté votre famille pour ça à la base, même si ça a été dur.

J’avais dit ça sans aucun reproche, je ne pouvais pas juger ses actes, juste les constater. Je tirai sur ma cigarette en haussant les épaules avant d’en secouer les cendres dans le cendrier entre nous.

-Alors à partir de là…

Je repris une gorgée de café tout en l’écoutant argumenter encore puis je souris. Elle déclara que je ne devais sans doute pas comprendre parce que j’étais né ici, j’avais grandi ici et j’avais tout ici. C’était… faux…

Je n’étais pas né ici, techniquement. J’étais même né plutôt loin d’ici. J’avais cependant tout de même obtenu dès mes premières semaines de vie la nationalité américaine par adoption et les très courtes et rares biographies qu’on pouvait trouver sur moi annonçaient toute que j’étais né à Los Angeles. Ce que je n’avais jamais affirmé moi-même, mais que je n’avais jamais cherché à nier non plus. De toute façon, je n’avais jamais eu de certificat d’acte de naissance, étant donné la période troublée dans laquelle j’étais venu au monde et mes premiers papiers officiels avaient donc été faits ici. Je n’avais donc jamais été officiellement Allemand alors que mes gènes étaient 100% allemands. N’en déplaise à certains…

-Vous avez raison. Ma vie est ici et je n’aspire pas à obtenir plus que ce que je n’ai déjà. Donc, de fait, je ne peux pas vraiment comprendre.

Et je n’avais surtout aucune envie de devoir passer par une longue et pénible période d’adaptation à un nouveau lieu, de nouvelles têtes, etc. Ici, je savais comment fonctionnaient les choses, je savais qui était qui dans mon entourage professionnel et même comme ça, ça ne m’empêchait pas d’angoisser, de stresser à tout bout de champ… Bien que l’origine de mes angoisses soit bien loin des petits accros de la vie qui pouvaient m’arriver et accessoirement complètement irrationnelle.

Je souris à Holly qui me donnait quand même l’impression d’essayer d’excuser son ambition. Peut-être parce qu’elle avait entendu l’interview que j’avais faite de Maria Watson… Mes collègues m’avaient dit que, décidément, l’ambition n’était pas un trait de caractère que j’appréciais. Pourtant, non, ce n’était pas l’ambition que je n’aimais pas… C’était l’ambition présentée avec arrogance que je n’aimais pas et Holly Bones était dépourvue d’arrogance.

-Vous n’avez pas à me justifier vos décisions et vos désirs, Holly.

Elle avait cependant affirmé, dans son petit discours qu’une seule chose pourrait la retenir quelque part, où que ce soit.

-Vous m’excuserez cette remarque que je ne veux aucunement déplacée : j’ai peine à croire qu’une femme aussi… comment vais-je m’exprimer ?... Une femme aussi douce et jolie que vous n’ait pas encore trouvé chaussure à son pied.

Je rigolai doucement, écrasant mon mégot dans le cendrier et la regardai à nouveau dans les yeux.

-Vos pâtisseries à elles seules sont un argument suffisant pour que des dizaines de prétendants veuillent vous passer la bague au doigt. C’est l’inverse qui m’étonne.

Et avec tout ça, comme elle ne semblait pas vouloir en griller une, je repris mon paquet de clopes que j’avais mis à sa disposition pour en rallumer une.

@ Billy Lighter

La jeune femme, Holly, était douce et gentille. Et effectivement maladroite dans son discours. Et comme je n’avais plus ou moins aucun tact, chaque fois, je soulignais ses maladresses en reformulant et en lui montrant ce que moi je retirais comme message de ce qu’elle disait. Comme quand elle avait affirmé que rien ne la retenait à Los Angeles, qu’elle n’avait ici qu’un meilleur ami, et que je lui avais fait remarqué que, de toute façon, elle venait de me raconter avoir quitté son île natale et sa famille pour ouvrir son business alors que, fatalement, je me doutais bien que ce n’était pas le fait d’avoir un ami à Los Angeles qui allait la retenir.

Ce qui ne signifiait pas que je ne voyais pas la douceur qui la caractérisait, ni l’envie de bien faire. Vouloir faire fructifier son entreprise était tout à son honneur d’autant que, ce qu’elle avait par contre bien fait passé dans tout ce qu’elle avait raconté jusque-là, elle ne le faisait nullement pour l’argent mais uniquement par passion pour la pâtisserie.

Alors je lui souris en retour quand elle affirma que ma reformulation lui donnait l’impression de ne pas avoir de cœur.

-Si on s’arrête à votre discours uniquement. Vos yeux et vos expressions, votre ton de voix prouvent le contraire.

Je soufflai la fumée de ma clope avant de continuer.

-Si vous me permettez un conseil… Si un jour vous devez donner une interview, privilégiez la télévision à la radio ou la presse écrite. Les gens doivent vous voir toute entière pour vous comprendre.

Elle était différente de Maria Watson qui, comme une protection, se donnait des airs déterminés et rentre dedans… Holly, c’était le contraire, comme si elle s’excusait d’avoir de l’ambition. Un manque de confiance en elle qui me touchait, d’une certaine façon. Peut-être parce que j’étais un peu vieux jeu et que j’avais dans l’idée que les femmes en générale devaient montrer une image rassurante de douceur et de gentillesse tout en nous donnant à nous l’occasion d’avoir le rôle de les protéger.

Quelque chose comme ça…

Du coup… j’en venais à me demander et à le lui demander carrément, puisqu’elle disait que l’amour pourrait peut-être la stabiliser quelque part, comment ça se faisait que ce n’était pas déjà le cas. En effet, Holly n’avait rien de repoussant, que du contraire. Elle était maladroite mais une maladresse adorable et elle était une pâtissière hors pair, ce qui, l’air de rien, avait son importance.

Et je crois que j’écarquillai les yeux quand elle avoua que la plupart des hommes qui s’intéressaient à elle avaient quelque chose comme 70 ans… J’écrasai ma énième cigarette dans le cendrier et croisai les bras sur la table comme pour la regarder de plus près. Et je finis par sourire.

-Alors, c’est que les hommes jeunes sont aveugles en plus d’être cons.

Elle rit doucement en disant qu’elle était peut-être naïve, mais qu’elle croyait en l’âme sœur et qu’elle ne l’avait juste pas encore trouvée.

-Selon moi, chacun devrait être libre de croire en ce qu’il veut.

Plus on parlait, plus Holly me semblait rougir. Si elle avait eu froid en entrant ici, ce ne devait plus être le cas maintenant. Je terminai mon café tandis qu’un silence s’installa entre nous. Jusqu’à ce qu’elle relève les yeux vers moi pour me dire que j’étais doué pour ne pas parler de moi. Et ce fut mon tour de baisser les yeux vers le fond de ma tasse vide.

-Peut-être parce que je suis journaliste et que j’ai l’habitude de ne pas me mettre au devant de la scène. Ou peut-être parce qu’il n’y a rien à dire…

Je lui souris et me levai…

-La prochaine fois, peut-être, j’essayerai… Je ne manquerai pas de repasser dans votre boutique de Malibu, en espérant que vous y serez toujours…

Je remis ma chaise en place et lu souris une dernière fois…

-Un grand merci pour le café, ce fut un plaisir de discuter avec vous.

Courage, fuyions, Jake…

@ Billy Lighter