J’avais longtemps fait tourner ce jeton du téléphone entre mes doigts. Très longtemps. Dès qu’on ne pouvait pas me voir, puisque je n’étais pas censé avoir droit à n coup de fil, pas encore, je le faisais tourner comme une toupie en me demandant.

Qui ?

Qui vais-je appeler ?

Je n’avais qu’un jeton et  donc une seule chance. Oh il m’aurait été facile d’en avoir d’autres en menaçant des pensionnaires plus faibles du Hollywood Mental Health Center. Mais s’il y avait une chose que j’avais apprise, c’est qu’ici, tout fini par se savoir. Tout le monde sait tout sur tout le monde, ne reste que certains ont encore suffisamment de neurones pour utiliser les informations en leur possession alors que d’autres n’en ont même plus assez pour se nourrir sans en foutre partout.

Je ne pouvais donc pas menacer d’autres résidents sans que cela finisse par se voir et leur donner plus de raison de me garder entre quatre murs.

Tout comme Kora aurait elle aussi fini par se faire prendre à voler les jetons de téléphone.

J’avais donc une seule et unique chance de contacter qui je voulais. Je ne devais pas me tromper sur la personne.

Je finis par me décider. Il était 14 heures et la plupart des résidents faisaient la sieste. La vigilance des surveillants faiblissait du même coup. Et j’arrivai à me faufiler jusqu’à un poste de téléphone, non sans regarder autour de moi comme un véritable parano.

Il faisait trop silencieux… J’allais devoir parler très bas et calmement au téléphone pour ne pas attirer l’attention.

Je composai le numéro de la tour BSC. Ils pourraient me rediriger, pas vrai ? Ils pourraient…

Rien n’était moins sûr.

A la standardiste, je me présentai très posément.

-Bonjour… Je suis River Moriarty, un ami de Nathan J. Williams. Serait-il possible, je vous prie, de lui faire parvenir mon appel ? Vous seriez bien aimable.

Il y eut un blanc à l’autre bout du fil.

-Mais… Monsieur Moriarty… Heu…

Je souris… même si elle ne pouvait pas me voir. J’étais un acteur, je savais que les meilleurs rôles tenaient à de tous petits détails.

-Je suis interné, Madame, je n’ai droit qu’à ce seul et unique coup de fil et votre hésitation me bouffe les seules minutes qui me sont accordées.

Elle se reprit.

-Bien sûr ! Je comprends ! Mais Monsieur Williams est en Australie à l’heure qu’il est et avec les 17 heures de décalage… je ne sais pas…

Je fis un rapide calcul et continuai, plus que courtois alors que je m’imaginais la dépecer dans mon esprit.

-Je n’étais pas au courant. Mais vous êtes ma seule chance d’atteindre quelqu’un qui m’est cher. S’il vous plait.

Il y eu un soupir puis un…

-Bien sûr… Je vous transfère tout de suite à l’hôtel.

Je me retins de jubiler.

-Merci beaucoup… je vous serai reconnaissant.

Dès que je sors, je te réduis en charpie…

On décrocha à nouveau à l’autre bout du fil, après de longues et interminables tonalité.

-Jerry ! Ils m’ont eu.

@ Billy Lighter

Mon Dieu, qu’est-ce que j’avais bu !!! Les roadies faisaient la fête, The Burning Fire faisait la fête – sauf Apolline que je n’avais pas vue – et moi et Mac-Angel on faisait la fête. C’était notre jour de congé de super-héros à des milliers de kilomètres de L.A.. Oui, oui ! Même les héros avaient le droit à des jours de congé ! Mac-Angel et moi aussi ! Notre guerre contre les aliens polymorphes était loin d’être finie mais il fallait qu’on recharge nos batteries !

J’avais bu – pas du coca mais de la bière – et je chantais sur la table en parlant de la menace polymorphe à qui voulait bien l’entendre. Les roadies riaient tous. J’avais même raconté l’histoire de l’alien polymorphe qu’on avait rencontré avec Mac-Angel à Los Angeles ou encore le chauffeur de taxi polymorphe qu’on avait rencontré à Londres avec Aunt Betty ! Mon Dieu – ces monstres étaient vraiment partout !

Je ne me rappelle pas du tout ce qu’il s’est passé après mon récit parce que juste après, j’étais dans mon lit à dormir à moitié pendant que ma tête tournait et que le réveil affichait 6h59 du matin. Mon Dieu mais comment faisait Howie pour boire autant sans se téléporter dans le futur aussi vite que la lumière ?! Moi je venais de me téléporter dans le futur et dans ma chambre d’hôtel !! C’était incroyable !!! Oh mais… Peut-être qu’il se téléportait… Peut-être que l’Howie qui avait voyagé avec nous en Australie est – en fait – un Howie du passé et que notre Howie est déjà loin dans le futur !! Mon Dieu !

J’aurais voulu essayer de vérifier ma théorie mais mon réveil avait sonné. Il était trop tôt ! Je ne voulais pas me lever ! J’avais appuyé sur le réveil mais il sonnait toujours. Il était ensorcelé ?! Mon Dieu, non ! Ce n’est pas le réveil qui sonnait mais le téléphone ! J’avais pris le cornet en main.

-Jerry The Kid…, dis-je la voix endormie.

Mon Dieu – c’était Ron !!! Je m’étais redressé dans mon lit. Ça faisait longtemps que je n’avais plus vu Ron ! J’étais content d’entendre sa voix ! Je croyais qu’il avait abandonné sa carrière mais non, il était bien là et… Mon Dieu ! Ron est en danger !

-Ils t’ont eu ???!, dis-je choqué. Les aliens polymorphes ???! Mon Dieu !!! Où est-ce que tu es ?! Ils te retiennent prisonnier quelque part ?! Ils se sont déjà attaqués à Howie en Asie et maintenant c’est toi ?! Mon Dieu ! Je suis sûr que Timmy est une taupe et qu’il sait exactement qui sont tous mes alliés ! Il faut qu’on te sauve, Ron !, dis-je horrifié. Tu es où ?! Ils sont armés ?

Il fallait que je fasse tout pour retrouver mon partenaire !

@ Billy Lighter

J’avais de la chance… Parce que Jerry décrocha à l’autre bout du monde. Pour le même prix, il aurait pu être dans une autre chambre que la sienne ou en train de cuver quelque part. Qui sait ce qui pouvait se passer en tournée ? Heureusement que j’avais eu la présence d’esprit d’appeler chez BSC parce que si j’avais appelé chez lui, sa mère ne m’aurait pas été d’une grand aide.

Le chanteur avait reconnu ma voix directement et j’avais souris en coin, le regard brillant. Je n’avais même pas eu besoin de me présenter alors que… à quand remontait ma dernière rencontre avec le prodige de The Burning Fire ? Je ne m’en rappelais même plus.

Et il mordit à l’hameçon en s’exclamant alors qu’il avait la voix pâteuse la seconde d’avant. Mais je n’avais pas vraiment le temps de le laisser s’étendre en délire, il fallait que j’use de ce délire !

J’avais reconnu certains noms, cependant. Howie ne pouvait être autre que le batteur. Je me demandais s’il parlait de… non…

Mon enthousiasme retomba un peu et mon cœur qui s’était emballé se calma aussi…

… non, il avait dit « en Asie ». Ils s’en était pris à Howie en Asie. Donc rien à voir avec l’accident dont je savais, en plus, déjà qu’il en était sorti avec à peine quelques égratignures… Nom de Dieu, les médicaments, même si j’arrivais à me débarrasser d’une bonne partie dans les bouches d’autres patients, me brouillaient l’esprit.

-Je suis… Ils me détiennent au Hollywood Mental Health Center… Non, ils ne sont pas armés mais ils me bourrent de médicaments alors que je ne suis pas malade.

Je regardai autour de moi, ayant entendu du bruit.

-J’ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi…

Il fallait que je formule ça convenablement.

-J’ai besoin que tu dises au monde que je suis détenu ici de façon arbitraire… Que j’ai été accusé injustement par ma famille d’un crime que je n’ai pas commis.

Je marquais des pauses, pour qu’il comprenne bien parce que je ne savais pas dans quel état il était.

-Axel Moriarty m’a fait interner. Uniquement parce que son père, Howard Moriarty, le sénateur de l’Illinois, ne veut pas qu’on sache qu’il y a un bâtard dans sa famille.

Je soupirai.

-Moi.

Je suis victime d’un complot, mon vieux… Va le crier sur tous les toits, maintenant, tu seras gentil…

@ Billy Lighter

Mon Dieu !!! Ils ont enfermé Ron au Hollywood Mental Health Center !!! C’était une prison pour fou – Ron n’avait rien n’à faire là ! Les aliens polymorphes étaient vraiment des êtres ignobles !!! Leurs plans deviennent de plus en plus élaborés et ils ont bien compris que pour me vaincre, il fallait m’isoler – mon Dieu, il faudra que je le dise à Mac-Angel. Elle était en danger même si elle était forte !

Leur arme pour contrer Ron était de lui donner des médicaments.

-Mon Dieu, c’est horrible !, dis-je révolté. Ils te droguent pour t’affaiblir ?! Je les savais cruels mais pas aussi fourbe !

Je savais que Ben Masters était fourbe mais je ne savais pas que tous les aliens polymorphes étaient aussi cruels que lui.

Ron – mon coéquipier – avait besoin de moi ! J’étais prêt à le faire évader ! Mac-Angel et moi on pouvait faire des étincelles à nous deux. Notre couple était craint de tous les aliens polymorphes de ce monde.

Seulement, Ron avait déjà un plan. Il voulait que je dise au monde qu’il avait été enfermé là injustement. Mon Dieu – Ron avait des aliens polymorphes dans sa famille. Axel Moriarty en faisait partie – je me doutais bien qu’il faisait partie des méchants vu toutes les choses horribles qu’il dit sur moi et mon groupe. Mon Dieu – ce n’était pas étonnant.

La famille de Ron ne voulait pas que ça se sache qu’il y avait un bâtard chez eux – Ron est une bâtard.

-Mon Dieu, Ron ! Tu n’es pas un bâtard ! C’est eux qui ont rejoint l’ennemi, dis-je très sérieux. Toi, tu es un super-héro ! Ce sont eux qui travaillent pour les méchants.

Je devais dire au monde que Ron est un homme innocent et un homme bien – je pouvais faire ça.

-Je ferais ce que tu dis, Ron, dis-je très motivé. Je contacterais L.A.People pour dire toute la vérité ! Tu seras dehors en moins de deux, mon ami ! Ta famille ne te fera plus jamais de mal et ne t’enferma plus jamais dans cet horrible endroit !

Parole de Jerry The Kid !! Ron avait besoin de moi et je savais que tout le monde – dans le monde – lisait L.A.People. Il sera vite libre et nous pourrons combattre la menace polymorphe ensemble !

@ Billy Lighter

L'avantage de Nathan, alias Jerry The Kid, c'était qu'il comprenait vite. Il avait bien saisi, à sa façon, qu'il fallait faire quelque chose pour que je puisse sortir de ce trou à rats... Ou au moins pour sauver ce qu'il resterait de ma carrière.

-Ouais...c'est ça...ils me droguent pour m'affaiblir. Pour me museler aussi. Et me décrédibiliser.

Parce que sortir était une chose. Mais ensuite, je ferais quoi? Parce que si j'arrivais à faire comprendre ici que j'étais tout à fait apte à vivre en société, mon petit séjour ici sera quand même gravé dans le marbre et cette étiquette allait être très difficile à faire oublier.

Il fallait que je rende ça caduque. Et au passage...

Au passage, j'allais faire crier sur tous les toits par Nathan qu'un sénateur bien connu n'était pas aussi blanc et droit qu'il voulait bien le faire croire à ses électeurs.

Je racontai donc tout ça, en un résumé rapide, sachant mon temps compté, à Nathan qui s'exclamait de plus en plus fort au point que j'en décollais le cornet du téléphone de mon oreille tant il me faisait mal aux tympans en hurlant comme ça.

-Voilà...tu as tout compris.

Et Nathan de conclure en disant qu'il allait écrire à L.A.people. J'avais déjà réussi à faire passer une partie du message à L.A.People. Mais la voix de Nathan aurait plus de poids. Je soupirai.

-Merci... Oh ... Hey... Jerry...

Mon sourire se fit carnassier.

-Hurle-le depuis la scène, si tu en as l'occasion. Dédie-moi une chanson.

Qui ne tente rien n'a rien.

La communication fut coupée. Je reposai le cornet du téléphone, enfouis les mains dans mes poches, fis disparaître la lueur de satisfaction dans mes yeux bleus et baissai la tête, avant de retourner errer sans but dans les couloirs.

@ Billy Lighter