Le sujet de notre mariage était derrière nous et je me sentais un peu soulagé même si apprendre qu’autant Maritza que Jimmy savaient déjà depuis un bon bout de temps qu’on était marié sans que je sache réellement d’où venait la fuite. Ne pas savoir me donnait se sentiment de ne pas tout contrôler et c’était aussi dérangeant qu’une tâche sur une assiette censée être propre.

Mais c’était derrière nous et même si la mère de Livia n’avait pas semblé plus enthousiaste que ça, elle n’avait pas non plus dit : « je vais faire tout pour annuler ça » ou « si c’est comme ça, je coupe les ponts ». Donc, ça c’était plutôt bien passé… Quant à Jimmy, il nous avait félicités non sans nous dire que tout restera secret. Chose qui nous arrangeait aussi à Livia et moi.

Après ça, Livia s’engagea sur un autre chemin… Celui de Josh Smith. Elle en parla à ses parents et je la laissai faire en agrémentant son histoire de détails supplémentaires. Ce « fan » nous avait bien montré qu’on n’était pas à l’abri de gens complètement cinglés. Parce que, pour moi, ce Josh Smith était cinglé.

Maritza s’en inquiéta un peu. Savoir que ce Josh Smith savait pour l’enterrement du grand-père de Livia prouvait qu’il y avait des fuites… Et toutes ces histoires de fuites m’angoissaient. J’hochai de la tête pour confirmer ce que venais de dire la mère de Livia et cette dernière ajouta qu’on ne savait pas comment une telle fuite était possible.

-C’est ça qui est d’autant plus effrayant…

Tellement que je me raclai à nouveau nerveusement la gorge. J’avais beau retourner le problème dans tous les sens, je n’arrivais pas à savoir comment il avait su… Peut-être que quelqu’un présent à l’enterrement avait parlé… Après tout, il y avait plusieurs membres de la famille de Livia à ce mariage. La fuite devait forcément venir de l’un d’entre eux.

Maritza confirma qu’un garde du corps ne serait pas de trop et Jimmy déclara qu’il nous en offrait un. Je levai un sourcil, surpris. Payer ne m’aurait pas posé problème mais refuser l’offre de Reed serait malvenu. Je ne dis rien laissant Livia remercier son père avant de faire de même :

-Merci… C’est très généreux de ta part.

Reed se servit alors avant de commencer à poser des questions sur Smith. Je me servis à sa suite essayant de me rappeler de tous les détails de cette rencontre qui m’avait mis très mal à l’aise. Livia fit une description de Smith me permettant d’un peu mieux me remémorer la tête de l’homme et ce qu’il avait dit ou fait. Et quand elle eut terminé, j’ajoutai mes propres détails :

-Il avait l’air d’avoir la trentaine environs. Et je pense qu’il venait de Los Angeles parce qu’il nous a dit qu’après l’Australie, il attendra patiemment Livia à L.A. pour la dernière date qui avait lieu là-bas. Ou il vient des environs en tout cas… Mais il avait assez d’argent pour se payer une place de concert et un billet d’avion pour l’Australie mais aussi pour l’Europe parce qu’il n’a pas vu qu’un concert de Livia sur la tournée mais plusieurs. C’est ce qu’il disait en tout cas…

Je me raclai la gorge avant de reprendre.

-Et il n’était focalisé que sur Livia… Donc, pas sur notre couple en lui-même. Juste sur Livia. Il la complimentait tout le temps et cherchait à lui offrir des choses comme du vin ou des fleurs… Un vrai cinglé…

J’en frissonnai encore avant de commencer à manger les plats mexicains qu’on avait commandés.

Olivia me remercia pour le garde du corps que je lui fournissais légitimement. Frances se chargerait de la mettre en contact avec les meilleurs dont nous disposions, mais ça, ce ne serait que la partie émergée de l’iceberg. J’avais des yeux et des oreilles partout et j’allais m’en servir pour évaluer la menace qui pesait sur la fille de Maritza. S’il ne s’agissait que d’un fan un peu trop oppressant, un peu trop fanatique, un garde du corps de BSC suffira à le dissuader. S’il s’agissait de quelque chose de pire, d’un véritable paranoïaque ou d’un danger venant d’un gang rival…

Alors je jouerais d’autres cartes que celle de BSC.

Olivia m’avait appelé « papa » pour la cause. Et si je savais relativement prendre son « merci », l’intégrer et l’assimiler comme un reçu pour un service rendu… le « papa », je ne savais pas quoi en faire… Ni même si je devais en faire quelque chose. Tout comme je savais que ça ne me laissait pas de marbre, que du contraire, même si je faisais de mon mieux pour camoufler ça et rester impassible. Mais si on me l’avait demandé, j’aurais été incapable de mettre des mots sur ce que cela me faisait.

Je ressentais quelque chose. Mais je ne savais pas quoi.

Et Julian d’enchaîner en me remerciant lui aussi, affirmant que c’était très généreux.

-Non… C’est normal. Vous en avez besoin, la demande est légitime, vous l’avez.

Rationnaliser le geste. C’était ça que je faisais. Il me fallait trouver une raison logique pour ce que je venais de faire (et qui, entre nous, était simplement de mettre un garde du corps à leur disposition). Démystifier la chose. La ramener à ce qu’elle était. Je suis le patron de BSC et une artiste a une demande suite à un évènement concret, j’y accède. Pas de sentiment impliqué.

Quant au reste… A ce que je ferai s’il s’avère que Josh Smith est un problème. Et bien… Personne n’en parlerait jamais. Donc… ça n’existerait pas. Josh Smith n’existerait pas et n’aurait jamais existé. Parce que je l’aurai décidé.

En attendant… En attendant, il fallait bien que je fasse ressortir ce Josh Smith du lot pour pouvoir l’avoir… Et la description des deux jeunes gens pouvait valoir pour un tas d’hommes de Los Angeles ou même d’ailleurs. Mais quand Maritza rajouta une couche de questions en insistant, trahissant bien plus son inquiétude qu’autre chose, j’eus un premier geste envers elle dans le but de la rassurer. Le seul geste peut-être qui pouvait aussi montrer combien je tenais à elle… Autant qu’à la promesse que je lui avais faite : elle n’avait plus rien à craindre. Livia n’avait plus rien à craindre non plus.

Je posai ma fourchette sur le rebord de mon assiette et lui souris doucement, presque imperceptiblement. Je me voulais rassurant et je passai brièvement ma main dans ses cheveux et sur sa joue. Un geste qui voulait dire à la fois « Livia n’a rien à craindre » et « ne me stresse pas plus que je ne le suis déjà ».

Je suis une éponge. Ce que les autres ressentent, je le ressens. Mille fois plus fort. Croyez-le ou non.

Et je sais ce que j’ai à faire.

Du coup, nous recommençâmes à manger et ce fut Maritza qui embraya sur un sujet plus simple, plus léger… Livia et ses chansons, ses projets musicaux. Je souris à la jeune chanteuse.

-J’aime beaucoup t’écouter dans ma voiture.

Surtout quand je suis seul et que je m’autorise à me laisser un peu aller.

Tant qu’à être tous ensemble et à mettre sur table des dossiers secrets, aussi bien aussi balancer la frousse qu’on a eu en Australie avec ce fan obsédé.  J’avoue que je ne sais pas si ce que je me souviens de lui sera suffisant pour le retracer dans une foule. J’étais vraiment irritée puis effrayée par sa présence pour l’imprimer clairement dans ma tête et ça me choque parce que, comme dit ma mère, le moindre petit détail pourrait faire la différence. J’aurais dû dessiner son portrait… je crois que je vais essayer de le faire ce soir et espérer ne pas en faire de cauchemar.

La bonne chose là dedans, c’est que Jimmy accepte de me fournir un garde du corps en disant que cela est une demande tout à fait normale. Je l’ai remercié en l’appelant papa. Je ne sais pas pourquoi, ça sort comme ça de ma bouche. Je serais incapable d’appeler ma mère par son prénom, elle ne m’a pas élevé comme ça alors. Peut-être est-ce pour cela que Jimmy à droit à papa, parce que, même s’il veut garder ça secret, c’est tout de même qui il est.

Mon père.

Le dossier Josh Smith non réglé mais disons neutralisé, ma mère me demande si j’ai des projets côté musique. Ça me fait vraiment sourire qu’elle aborde la question, parce qu’elle n’a jamais été très encline à m’encourager sur cette voix.

Les choses changent…

Et Jimmy d’admettre qu’il aime bien m’écouter en voiture. Ça, je ne l’aurais pas cru et ça me fait tout drôle en dedans d’apprendre ça. En fait, ça me fait le même effet qu’à l’hôpital, quand il m’a serré dans ses bras. Quand il a initié un contact que je n’espérais plus. J’aurais envie de lui demander s’il a conscience de tout ce qu’il déclenche en moi, comme s’il me faisait marcher au travers d’un champ de mines. Il en lance un peu tout partout et me regarde à l’autre bout, les bras croisé : Vas-y ma grande, montre moi ce que tu sais faire et si tu t’en sort vivante, je te ferai un câlin…peut-être…’’ Je voudrais qu’il sache que oui, je veux qu’il soit mon père, qu’il le reconnaissance, qu’on tisse des liens, mais pas contre sa volonté.  Je ne suis pas désespérée au point d’acheter l’affection de mon père.  Le truc c’est de lui dire tout ça… lui dire que je peux comprendre, bien plus qu’il ne croit, que son rythme sers le mien, suffit de me le dire plutôt que de me faire soudainement comprendre que je ne l’intéresse pas, comme il m’a fait le coup en Italie.  

Mais j’y arrive pas.

Parce que j’ai peur qu’il croit que j’interprète ses intentions, ou qu’il voit en ma démarche une façon de lui reprocher que je ne suis pas satisfaite de la situation actuelle alors qu’en fait, je suis vraiment heureuse de le voir assit chez moi.

- Ben, avec un peu de chance, peut-être que tu auras du nouveau matériel à entendre pour Noël.

Nous n’en avons pas discuté avec Jack mais j’ai assez de matériel pour faire un album. Le truc c’est  d’enregistrer tout ça et d’en faire un album… mais je suppose qu’un enregistrement personnalisé serait un beau cadeau à lui offrir, à Noël.

- J’ai beaucoup de chansons et je continue d’en écrire… j’ai un cahier avec je ne sais plus combien de chansons dedans et toutes les mélodies sont juste là… dans ma tête. J’ai hâte en tous les cas de pouvoir  retourner en studio et, peut-être que tu pourrais venir me voir y travailler ?

Je m’emballe, j’ai conscience de ça. Mais si la musique peut nous unir, pourquoi je me priverais de le faire ? On dirait que cette perspective me rend tout de suite plus légère et me redonne l’appétit. J’en remplis mon assiette d’un peu de tout ce que j’ai posé sur la table et déguste avec appétit mon repas.

On voulait un garde du corps et on l’aura. Jimmy Reed avait décidé qu’on l’aurait alors on l’aura. Il trouvait ça normal et je dois avouer que moi aussi.

On l’avait remercié Livia et moi avant d’essayer de rassembler nos idée pour essayer de faire le portrait de Josh Smith. Livia avait donné une partie des détails et moi une autre… Je crois qu’à nous deux on avait déjà pas mal d’informations mais Maritza semblait en vouloir plus. Je savais que, même avec les informations qu’on avait, Josh Smith ne serait pas facile à retrouver dans la masse mais… Ce n’était pas évident. Ça faisait déjà plusieurs semaines que ça s’était produit.

Du coup, quand Maritza posa d’autres questions, je me concentrai un peu pour essayer de gratter au fond de ma mémoire mais je n’avais rien… Je me contentai d’hocher négativement de la tête avec un air désolé.

La mère de Livia déclara alors qu’avec un garde du corps on sera plus tranquille et j’approuvai… Quant à noter les choses qui pourraient nous revenir au sujet de Josh Smith, j’hochai encore une fois la tête.

-On fera ça.

Je me mis alors à manger. Les plats qu’on avait choisis étaient très bons. Et ça me permettait de me détendre un peu face à la conversation et la présence des parents de Livia.

Et Maritza se mit à détendre encore un peu plus l’ambiance en posant des questions sur la carrière de Livia. J’espérais que Reed n’allait pas encore une fois rediriger les choses sur moi. Parce qu’ils étaient censés être là pour Livia et pas pour moi…

Par chance, il se centra aussi sur sa fille pour mon plus grand soulagement. Il disait aimer écouter Livia dans sa voiture. Je regardais Livia en lui souriant un peu la laissant répondre à ses parents.

Elle leur avoua qu’il y aura peut-être du nouveau matériel à entendre pour Noël. Je savais que Livia avait eu certains doutes ses derniers temps mais j’entendais dans sa voix qu’elle était déterminée à poursuivre sa carrière. Elle proposa même à son père de venir la voir travailler. Mon regard se posa d’un seul coup sur Jimmy attendant aussi impatiemment que Livia sa réponse… C’était une invitation… A voir ce que Jimmy en fera. Mais je savais que quel que soit sa réponse, ma Livia sera forte.

Autant dire que le nom de Josh Smith n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Mais l’heure n’était pas à la fixation. J’avais gravé dans ma mémoire le peu d’informations que m’avaient donné Olivia et son jeune mari. Mais il arrivait qu’une toute petite information mène à d’autre et de fil en aiguille, je finirais par savoir qui était ce Josh Smith, évaluer la menace… Et en référer à Alonso si besoin était.

Maritza proposa alors de parler musique, ce qui était un domaine dans lequel nous étions probablement tous plus à l’aise. Maritza était une chanteuse qui s’ignorait, Livia en était une confirmée et qui ne cesserait de gagner en assurance, quant à Julian, il était l’héritier d’une maison de disque dont il ne voulait pas, ce qui m’arrangeait parfaitement.

Ainsi donc, les projets d’Olivia à ce niveau-là m’intéressaient bien plus que ses intentions d’étudier la musique. Par pur intérêt personnel ? Parce que j’étais le grand patron de BSC et que Livia me rapportait déjà pas mal et pouvait me rapporter encore plus ? Oui… Magnifique façade, non, Jim ?

Même moi, j’y croyais… Alors que ce qui se cachait derrière cette façade, et que je n’étais pas prêt à admettre moi-même, c’était qu’en dehors de ça… BSC était mon seul véritable lien avec Olivia.

Ne tenait qu’à moi d’en construire un autre, plus personnel, plus émotionnel, me direz-vous ? Mais vous savez ce que les gens ont tendance à me dire ? Ce qui est facile pour toi ne l’es pas forcément pour les autres.

Cette affirmation va dans les deux sens.

Ce qui est facile et évident pour le commun des mortels, comme l’identification et la gestion des sentiments et des liens interpersonnels, ne l’est pas forcément pour moi.

Dans ce domaine-là, c’était moi qui marchais dans un champ de mine, tentant d’atteindre Olivia sans être sûr qu’à chaque pas que je ferais, je ne risquais pas de sauter. A la différence près que le risque ne venait pas d’elle, mais de moi-même. Je posais moi-même les mines sur lesquelles je risquais de mettre le pied.

Je fis un pas, cependant, un pas timide mais un pas quand même… Avouant que j’aimais l’écouter en voiture et en voyant son visage s’illuminer, je cachai mon propre sourire en reprenant une gorgée de la boisson qu’elle nous avait proposée… Mais lui accordai un clin d’œil qui, pour une fois, n’était pas un tic. D’ailleurs, j’avais cligné de l’œil droit. Le gauche était pour les tics.

Maritza se sentit soulagée aussi et je n’eus même pas besoin de la regarder pour le ressentir. Elle lança avec enthousiasme qu’elle serait ravie d’entendre le nouvel album que réservait Livia pour Noël et j’approuvais d’un signe de tête parce que j’avais la bouche pleine.

Et alors que j’avais fit un pas timide dans notre petit champ de mines partagé, Olivia, emportée par ce simple petit geste, se mit à courir comme sans plus faire attention où elle mettait les pieds. Et moi, je ressentis comme une grosse bouffée d’angoisse. Il fallait que je l’arrête avant qu’elle fasse le pas de trop.

L’arrêter, oui. La décourager, non.

Je pris donc une grande inspiration exactement comme si je voyais la scène devant mes yeux et réagis aussi vite que possible.

-Il se pourrait fort que je passe pas les studios, en effet… Alors pourquoi pas ?...

Et Maritza d’ajouter que dans une sphère bien plus privée, nous aurions également des choses à fêter dont la fin de sa convalescence et le succès de la tournée… Sans compter encore quelques petits secrets que nous gardions pour nous pour le moment.

-Mais la prochaine fois, cela se fera chez nous.

Juste retour des choses.

Le temps était venu de passer au dessert et Maritza se chargea d’aller les chercher. Tandis que moi, je proposai à Julian qu’une fois cela fait, nous pourrions aller profiter de leur terrasse et de la douce chaleur du soir. Je lui expliquai avoir apporté avec moi d’excellents cigares et qu’il pourrait en fumer un avec moi… Mais que c’était sans obligation, même si la boîte était encore scellée et qu’il pourrait être le premier à l’inaugurer.

Les filles, elles, plaisantèrent entre elles au sujet de leurs plats et, sur le ton de l’humour, j’écartai les bras.

-Suis-je définitivement le seul ici à penser qu’il n’y a rien de mal à se faire servir ?

Tout en cherchant un allié du regard en Julian, bien évidemment.