Je sais une chose maintenant: je n'aime pas l’avion. On est serré, ça fait mal aux oreilles et c'est long. Puis, le paysage, c’était que des nuages ou du ciel bleu.

Puis, il y avait la dame.

Pendant tous le trajet, elle n'a pas arrêté de me parler. Elle disait que j'allais aller vivre chez un tuteur choisi par ma mère. Que c'était un monsieur qui s'appelait Jordan Keller. Qu'il avait  bien accepté de me prendre. Que j étais très chanceux parce que je n'aurais pas à aller à l'orphelinat. Quand elle parlait, moi, je regardais le ciel. Moi, j ai pas de chance. Moi, j ai plus de maman.

Mais Batman non plus.

Elle parlait même si je la regardais pas  Quand ‘en ai eu marre de sa voix, j’ai mis mon walkman avec The Burning Fire jusqu'à la fin du trajet.

Et j ai dormis aussi...

Et on est arrivé à LA. Il faisait trop chaud. Je n’aimais pas ça. Maman disait toujours que la chaleur lui manquait. Mais il fait trop chaud. Je fonçais les sourcils et boudai un peu.

La dame s’arrêta à un téléphone dans l’aéroport plein de gens. Je regardais le sol. Il y avait plein de bruit ici.

La dame téléphona. Je sais pas à qui. Mais j’entendais un peu ce qu'elle disait même si j’étais un peu plus loin.

« J’en ai encore pour un moment. Je dois amener un gamin chez un tuteur. C’est plus simple quand il faut les débarquer à l l'orphelinat. »

« Je pense que le type chez qui je dois le débarquer est son père même si les choses ne sont pas présentée comme ça.»

« Tu sais le genre de cadeau empoisonné qu'on fait après sa mort à quelqu'un qu'on déteste mais qu'on a plus vu depuis longtemps. »

Je fonçais encore plus les sourcils. Je ne suis pas con. Je comprends. La dame ne sait rien. La dame ne connaît pas ma Maman. La dame fait partie des méchants. Mon père ne s’appelle pas Jordan Keller.

Et quand elle raccrocha, je bougeais pas du mur. Elle me regarda et repris un air gentil comme si elle n’avait jamais passé de coup de fil.

-Tu viens? On va être en retard.

J’hochais négativement de la tête.

-Non… Je ne veux plus vous suivre…

Ce n’est qu’une grosse vache, voilà. Elle est grosse et elle est méchante. Elle fait juste la gentille devant moi.

-Je ne vous aime pas. Vous dites des choses pas vraie sur ma Maman.

Elle fronça les sourcils.

-Tu écoutes aux portes ? Tu sais que ce n’est pas bien ? Suis-moi ou sinon, c’est à l’orphelinat qu’on va.

Je fronçai les sourcils foudroyant la femme du regard avant de shooter très fort dans sa valise.

-Non ! J’irais pas à l’orphelinat ! Je m’en vais !

J’avais crié ça et puis, j’avais pris ma valise et j’avais commencé à marcher tout droit.

-Reviens !

Elle courut après moi et me rattrapa par le bras. Je levai la tête vers elle.

-Tu n’auras plus à me voir longtemps, petit enfant colérique. D’ici une bonne demi-heure, tu seras chez ce Keller et on ne se verra plus.

Je fronçai les sourcils… Longtemps j’ai regardé la dame sans bouger. Me retenir pendant une demi-heure. Me retenir de frapper la dame.

D’accord.

Je retirai ma main et hochai de la tête. Je suivi la dame. On prit un taxi. On roula… Il n’y avait pas beaucoup d’arbres, juste des arbres bizarres… Il n’y avait pas de champs, non plus et pas de rivière.

-C’est moche…

La dame se tourna vers moi.

-C’est pourtant dans ce quartier que tu vas vivre. On est presque arrivé.

C’était pas beau du tout. Il n’y avait presque pas de jardin derrière les maisons… Je fronçai encore plus les sourcils quand le taxi s’arrêta devant une petite maison avec des barreaux aux fenêtres.

-J’aime pas.

Elle soupira d’exaspération avant qu’on ne sorte. Je pris ma valise. Je ne voulais pas quitter ma valise. Et avant de toquer, la dame me regarda.

-Souris et dis bien « bonjour ». S’il voit que tu ne souris jamais et que tu es impoli il se peut qu’il ne veuille plus de toi et je serais obligé de te placé en orphelinat. Il a tous les droits de refuser d’être tuteur tant qu’il n’a rien signé.

Je me refrognai. Je ne veux pas aller à l’orphelinat. Mais je ne veux pas venir ici non plus même si Maman m’a dit que Jordan Keller était très gentil. Elle en parlait quand elle parlait de L.A..

La dame sonna et un homme ouvrit. La dame lui fit un grand sourire.

-Bonjour Monsieur Keller, je suis Amy Miller et voici le jeune Grant Custer. J’imagine que peu avant le coup de fil de notre organisation il y a quelques jours, vous avez reçu la lettre de Mademoiselle Custer qui vous était destinée ? Je viens pour vous présenter l’enfant et voir si vous êtes toujours prêt à accepter l’enfant chez vous.

Elle se tourna vers moi et dis avec un sourire.

-Dis bonjour, Grant.

Je regardai Keller avec mes sourcils froncé. Et je n’ouvris pas la bouche. Même pas pour un « bonjour ».

@ Billy Lighter

Je n’en revenais pas et j’étais profondément triste à la fois depuis que j’avais reçu la lettre de la jeune Daisy Custer. Je me rappelais très bien de cette fille. Pas de famille, forcée de dealer pour les Los Diablos pour survivre et élever son petit gars qui n’avait alors que trois ans. On l’avait arrêtée ce soir-là, bien plus pour pouvoir la protégé que parce qu’elle avait avouée, en pleur, qu’elle était dealeuse et qu’elle allait passer un mauvais quart d’heure si ses « employeurs » apprenaient qu’elle avait perdu sa petite cargaison.

Toute la nuit, nous avions parlé, puis de temps en temps par après, on s’était revu… Son histoire me touchait, alors j’avais cherché à l’aider, parce que ce n’était pas une mauvaise fille, que du contraire. Elle était juste paumée…

Avec elle, j’avais fait en sorte de lui trouver un job loin de L.A., dans le Maine. Jamais les Los Diablos ne suivraient une petite dealeuse jusque-là. Je lui avais trouvé un boulot dans une poissonnerie du Maine et elle avait recommencé sa vie là-bas…

Pas pour bien longtemps… 7 ans seulement, à tout casser. Et la malheureuse n’avait vraiment pas de chance, condamnée à mourir d’une maladie après tous les efforts fournis…

Et elle me confiait Grant, son fils. Il devait avoir 10 ans à l’heure qu’il était… J’étais libre de refuser ou non d’être son tuteur… C’était une grande responsabilité… Mais une responsabilité dont j’avais l’habitude.

Mes réflexions m’avaient vite menées à « ce sera juste un petit frère de plus »…

Alors j’avais accepté. Quand les services sociaux m’avaient téléphoné, j’avais accepté sans hésitation. L’idée que ce petit se retrouve dans un orphelinat me dégoûtait et j’avais peur qu’il en sorte aussi paumé que sa mère. Non, il fallait que je continue ce que j’avais commencé avec sa mère.

J’avais rangé toute la maison pour l’occasion, le jour J. Après tout, Grant me ferait aussi un peu de compagnie… Parce que Duncan était parti s’installer avec Leïa et petit à petits les autres membres de BleedingHeart avaient eux aussi déserté la maison. Je me sentirai un peu moins seul avec Grant. Même si j’imaginais déjà que ça n’allait pas être facile.

Le petit venait de perdre sa mère qui était probablement tout son univers jusqu’ici. Il allait débarquer chez moi qui étais un total inconnu pour lui. Je l’avais déjà vu quand il avait trois ans, mais il ne devait pas se souvenir de moi…

Quand la sonnette retentit, je me levai d’un bond de mon divan pour aller accueillir Grant et une dame à la mine sévère, tirée à quatre épingles, le stéréotype même d’une employée des services sociaux. Une Nanny sévère.

-Bonjour… Ouais, j’ai bien reçu la lettre… Et non, je n’ai pas changé d’avis.

Je souris à Grant qui avait vachement bien grandi. Il avait l’air en pleine forme bien que ronchon. Mais moi aussi, je serais ronchon si j’avais dû traverser le pays en compagnie de cette mégère.

Je tendis la main à Grant, histoire qu’elle puisse la serrer à défaut de dire bonjour. Il avait dix ans, ce n’était plus un môme donc je ne le traitai pas comme tel.

-Salut Grant. Toutes mes condoléance pour ta maman… C’était une très bonne personne.

Puis, les regardant tour à tour en ouvrant plus grand la porte.

-Venez, entrer… J’ai du café et j’ai aussi du coca ou du chocolat chaud… Si tu as faim, j’ai des céréales, Grant.  

@ Billy Lighter

Mes yeux étaient levés vers Jordan qui nous dit « bonjour ». La dame était à nouveau très souriante et son sourire était encore plus grand quand il dit qu'il voulait toujours bien me prendre. Moi, je fonçais les sourcils n’ouvrant pas la bouche même pas pour dire « bonjour ». Je n’avais pas envie de parler. Je n’avais pas envie d’être ici. Je voulais revenir en arrière et vivre comme avant.

Jordan me tendit la main et me dit que ma mère était une personne bien. Je regardai sa main. Je tendis la mienne pour la serrer puis je remis mes mains dans mes poches et regardai le sol. Oui, maman était bien. Je n’aimais qu’elle. Je n’aime pas parler de sa mort. Je n’aime pas ce que ça me fait à l’intérieur.

Jordan voulait qu'on entre. Il avait du chocolat chaud et il proposa à manger. J’ai faim! Je relevai doucement la tête regardant Jordan dans les yeux.

-Oui, j’ai faim. Je veux bien manger des céréales. Et du chocolat chaud aussi.

La femme sourit, mais pas à moi, à Jordan.

- C’est très aimable. J’accepte avec plaisir la tasse de café. Nous avons quelques papiers à signer et je vous dirais tout ce qu'il y a à savoir sur l’enfant.

Alors on entra. Je pris ma valise et regardais autour de moi. La maison était pas si belle... Je préférais chez moi avant. Je fonçais du nez et on arriva à la cuisine. Je déposai valise juste à côté de la chaise que j’avais choisie. Je ne voulais pas quitter ma valise. Elle est à moi. Je m’installai a table et la dame sortit des papiers et des dossiers de son sac. Il y avait beaucoup de papiers.

-Je ne sais pas ce que vous savez déjà sur Grant. Je ne sais pas quelle était votre relation avec sa mère. Elle ne l’a pas précisé. J’ai, toutefois, son dossier scolaire et les recommandations concernant l’enfant venant du foyer qu'il  a fréquenté pendant la maladie de Mademoiselle Custer.

Le foyer... Je n’aimais pas le foyer. Je détestais les gens là-bas. Mon nez se fronça encore quand elle parla du foyer. Je croisai les bras sur la table et la dame recommença à parler.

-Grant n’a donc plus aucune famille. Son père est inconnu. Il est enfant unique. Mais je suppose que vous saviez tout cela, Monsieur Keller. Savez-vous d’autres choses au sujet de Grant, Monsieur Keller? Après tout si Mademoiselle Custer vous confie son fils c’est que vous le connaissez déjà bien.

La dame souris mais pas comme d’habitude. Là, c’était un sourire qui voulait pas dire qu’elle était contente mais qu’elle se moquait de Jordan. Et je savais que la dame croyait que Jordan était mon vrai père et que maman l’avait juste pas dit. Je regardai alors la dame.

-C’est pas lui mon père. Vous croyez ça, mais c’est pas lui.

Non, c’était pas lui. La dame me regarda alors.

-Laisse parler Monsieur Keller. C’est à lui que je parle.

Elle disait ça sur un ton doux mais je savais qu’elle faisait semblant d’être gentille. Je fonçais les sourcils me renfrognant sur ma chaise.

@ Billy Lighter

Le petit voulait bien manger et boire, alors j’ouvris la porte un peu plus grand pour les inviter à entrer. La dame patibulaire voulait bien du café. Elle incarnait vraiment la vision que j’avais des services sociaux et ce n’était pas un compliment. Une fois à la cuisine, je leur désignai les chaises autour de la table de la cuisine.

-Installez-vous, je vous en prie…

J’allumai le percolateur puis fouillai dans les armoires à la recherche des céréales tout en parlant, je préparai ce qu’il fallait pour chacun… J’allumai le percolateur et me retournai vers la dame des services sociaux.

-Je ne sais pas grand-chose sur Grant, il avait trois ans à peine lorsque je l’ai vu la première fois.

Donc, comme l’avait si bien dit Grant, je n’étais effectivement pas son père. Je pris le bol de céréales et le chocolat chaud et déposai le tout devant l’enfant avant de donner sa tasse de café à cette Amy Miller qui parlait avec un sarcasme à peine dissimulé.

-Grant a raison, je ne suis pas son père. Je suis policier ici et c’est dans le cadre d’une intervention que j’ai rencontré sa mère. Elle était mal tombée, avait enchaîné les mauvaises fréquentations. Je l’ai aidée à se tirer de là…

Je haussai les épaules.

-Je n’ai fait que mon job… Mais je sais aussi que cette jeune femme n’avait personne. Pas de famille, elle ne parlait jamais du père de Grant… J’ai été chagriné d’apprendre qu’elle était condamnée mais à peine surpris qu’elle me choisisse comme tuteur de son fils.

Je souris à Grant en me hissant sur le plan de travail pour parler de là, mon propre café à côté de moi.

-J’ai trois frères plus jeunes que moi. Mon père est mort alors que j’étais moi-même très jeune et j’ai dû prendre sa place au sein de notre foyer. Je crois pouvoir être en mesure de m’occuper de toi et d’honorer la mémoire de ta mère.

Mon regard bifurqua sur la dame des services sociaux.

-J’espère pouvoir lui éviter les pièges dans lesquels est tombée sa mère. L’orphelinat ne peut pas forcément se vanter de ça.

Je regardai alors le jeune Grant…

-Qu’est-ce que tu penses de tout ça, toi, Grant ?

@ Billy Lighter

J’étais installé dans la cuisine de Jordan Keller. Je regardais Jordan fouiller dans les armoires pendant que la dame méchante parlait. Elle se moquait de Jordan. Elle était sûre qu’il était mon père. Mais non… Moi, je savais que Jordan était pas mon père alors je le dis tout haut. Mais la dame n’aimait pas que je parle alors je me renfrognai sur ma chaise. Je voulais la frapper. Elle était méchante, grosse et pas belle. C’est déjà bien trop assez de raisons pour la frapper.

Les gens aimaient pas que je frappe sans raison alors j’en trouve.

Jordan parla après sans s’énervé. Il disait qu’il ne savait pas grand-chose sur moi. Et moi, je sais pas grand-chose sur lui non plus. Je ne sais que ce que Maman m’a dit. Je sais que c’est un policier comme me commissaire Gordon, qu’il a aidé Maman et qu’il est gentil. C’est tout.

Quand il mit mon bol de céréale devant moi et le chocolat chaud, je ne regardai plus ni Jordan, ni la dame. Je pris ma cuillère et je commençai à manger les céréales pendant que le chocolat refroidissait. Je n’aimais pas quand c’était trop chaud.

Jordan disait qu’il n’était pas mon père. Oui, j’avais raison. J’avais souvent raison. Il disait qu’il était policier et qu’il a aidé Maman qui avait fait des mauvaises fréquentations. Maman s’en voulait pour ça mais elle disait que sans ça elle ne m’aurait jamais eu et que j’étais tout ce qui comptait pour elle.

Je mangeai regardant la tête de la dame qui écoutait Jordan. Maintenant qu’il avait dit qu’il était policier elle faisait moins la maligne. Elle, elle croyait que Jordan, c’était un con paumé.

Bien fait pour elle. J’espère qu’elle a mal.

Jordan me sourit à un moment après avoir parlé de ma Maman. Je le regardai et repris une bouchée de céréales et lui souris un tout petit peu en retour. Je lui souris parce qu’il ennuyait la dame. Elle ne parlait même plus.

Il parla de lui après. Il avait des frères. Il s’en était occupé de ses frères. Et il disait qu’il pourrait s’occuper de moi. Je sais m’occuper de moi tout seul. C’est là que la dame retrouva son sourire pas gentil surtout quand Jordan disait qu’il pourrait m’éviter tous les pièges dans lesquelles étaient tombés Maman et que l’orphelinat pourrait pas faire ça. Les pièges, moi, je peux les éviter tout seul. Maman m’a dit où étaient les pièges. Et je suis pas bête, moi.

La dame ouvrit la bouche.

-Je pense, Monsieur Keller, que vous avez une fausse idée de ce qu’est un orphelinat. Nous ne sommes pas dans un film. Les orphelinats permettent aux enfants de pouvoir être instruit et éduquer afin, justement, de ne pas tomber dans les pièges dont vous parler. Une grande majorité des enfants qui sortent des orphelinats deviennent des gens très bien avec une vie stable. Je ne doute pas de votre envie de bien faire mais élever un enfant tel que Grant ne sera pas une mince affaire. Surtout pour vous qui êtes un parfait inconnu pour lui.

Arrête de parler, on s’en fout de ce que tu dis. C’est ce que je pensai mais je ne dis rien. Pas avant que Jordan me demande ce que je pensais de « tout ça ». Je regardai la dame en mâchant… Puis, Jordan. Puis, la dame. J’avalai et puis je regardai Jordan.

-Je pense que je ne veux pas aller à l’orphelinat. J’aimais pas le foyer. Il n’y a que des cons là-bas.

La dame fit une tête comme si j’avais frappé quelqu’un.

-Surveille ton langage, jeune homme !

Je lui envoyai un regard en biais mais je continuai quand même.

-Alors, je veux rester ici. C’est moins pire que l’orphelinat. Même si il fait trop chaud et que je vous connais pas.

Ici, on mange bien. C’est ça que je retiens, moi. Au foyer on mange très mal. J’aimais pas ce qu’on y mangeait.

-Au foyer, on pouvait rien faire. Je voulais pas y aller. Je voulais pas que Maman aille à l’hôpital et meurt après. C’est pas juste.

Je fis une moue. Pas triste vraiment mais contrarié.

-Et je voulais pas aller en avion avec la gosse dame méchante et stupide.

La dame était choquée et j’arrivais pas à ne pas sourire vraiment fort cette fois.

-Petit impoli !

Elle se tourna vers Jordan.

-Vous voyez, Monsieur Keller. Vous n’aurez pas la tâche facile ! Le comportement de Grant était un point que le foyer ainsi que l’école qu’il fréquentait soulignait très souvent. C’est un enfant impoli et violent. Il s’en prenait souvent à ses camarades de classes sans jamais s’excuser car il disait que c’était justifié. Alors réfléchissez bien avant de vous croire à la hauteur de la tâche.

Elle ne souriait plus. Elle avait juste son air tout sévère maintenant. Et moi, je me remis à manger.

@ Billy Lighter

Le garçon mangeait ses céréales en silence. Mais le visage d’Amy Miller changea quand je lui appris être policier. Ouais, c’était vrai que ça ne se voyait pas spécialement tant que je n’avais pas mon uniforme et il était rare que je me légitimise en dehors des heures où j’étais en service. Mais je pensais que c’était un bon point pour moi en l’occurrence. Je ne savais pas pour qui cette femme me prenait, ni pour qui elle se prenait, mais je n’étais quand même pas le dernier des cons.

Et elle de prendre mal la façon dont je voyais les orphelinats et de m’en faire tout un exposé. Je l’écoutai en buvant mon café, calmement.  

-Peut-être que vous avez raison, peut-être que j’ai tort. Mais les dernières volontés de Daisy sont qu’il grandisse ici. Et je n’ai rien à me reprocher, je suis clean de chez clean. Mes petits frères sont devenus des gens bien alors qu’on vivait avec les moyens du bord.

Je souris à Grant.

-Alors ouais, je suis un inconnu pour lui, tout comme le sera tout le staff de l’orphelinat.

Et le petit d’ajouter qu’il ne voulait ni aller à l’orphelinat, ni au foyer. Et qu’il voulait rester ici. Je passai sur le fait qu’il pensait qu’il n’y avait que des cons là-bas. De toute façon, Miller s’empressa de le rappeler à l’ordre. C’était un gosse qui avait pas eu la vie facile, un gros mot, ce n’était pas la mort comme défaut.

J’étais sûr que j’en découvrirais d’autres, que je verrai toute la liste que m’égraina la dame des services sociaux : la violence et l’impolitesse.

-Il est jeune, il vient de perdre sa mère et il a la haine parce que, tu as raison Grant, tout ça est injuste.

Je me tournai à nouveau vers Miller, tout en me préparant à allumer une clope.

-Vous savez, des petits Grant, j’en vois tous les jours. Et même si on joue au chat et à la souris le plus souvent, mon binôme et moi sommes arrivé à instaurer une forme de respect mutuel. Je ne vois pas pourquoi je n’y arriverais pas avec Grant. On ne nait pas mauvais.

Grant, lui, s’était remis à manger. Je savais que je n’aurais un aperçu du vrai Grant que quand elle serait partie.

-J’ai bien conscience que le défi est de taille, mais je le ferai, ne serais- ce que pour honorer la mémoire de Daisy, mais aussi parce que je pense que Grant n’est pas le monstre que vous décrivez, dans le fond.

J’allumai ma clope et tirer dessus.

-Alors passons à la signature, si vous voulez bien, avant que vous n’en disiez tellement de mal qu’il se mette à estimer que puisque c’est comme ça qu’on le considère, ce n’est plus la peine de faire des efforts.

Je me tournai vers Grant.

-Moi, je crois en toi, Grant. Parce que ta maman croyait en toi. Tu vas voir, à nous deux, on va s’en sortir.

@ Billy Lighter

Jordan n’aimait pas les orphelinats non plus et ça plaisait pas à la dame. Je mangeais alors que Jordan parla encore de Maman et de ce qu’elle avait décidé pour moi. Puis, il parla de ses frères qui étaient devenus des gens bien. Il me souriait souvent… Et je savais pas trop quoi répondre à ses sourires. Je devais sourire aussi ? C’est ce qu’il attendait de moi pour pas qu’il change d’avis à la dernière minute comme le font parfois les adultes ? Je ne sais pas… Dans le doute, je souris un tout petit peu mes yeux montrant pas le même enthousiasme que mes lèvres. Sauf quand il disait que s’il était inconnu pour moi, les gens de l’orphelinat le seront aussi. Là, je regardai la dame. Bah ouais, elle est vraiment stupide, la dame.

J’hochai la tête.

-Ouais. Je les connais pas non plus. Je connais plus personne.

Je ne connaissais que Maman. Même les gens de ma classe dans le Maine, je les connaissais pas. Je leur parlais jamais. Ils étaient cons.

De toute façon, je voulais pas aller à l’orphelinat. De toute façon, j’avais décidé que si la dame m’y emmenait quand même, je m’enfuirais. Je saurais vivre tout seul. J’avais construit une petite cabane pas loin de mon ancienne maison. Je pourrais vivre là. Je devais juste reprendre le même avion et après je sais le chemin. Je pourrais toujours lire mes Comics sans qu’on m’ennuie là-bas.

Et je parlais de Maman. Que sa mort était injuste. Plein de gens méchant vivent encore et Maman, elle est morte. C’était comme dans les Comics, ça… Les méchants vivent et les gentils meurent. Comme l’oncle Ben.

Et la dame, elle, elle disait que j’étais méchant. Ils le disaient tous. J’avais l’habitude. Alors je me remis à manger tranquillement. Mais Jordan comprenait pourquoi j’étais comme ça. Il disait aussi que c’était injuste pour la mère.

-Oui… Ça l’est…

C’est ce que je marmonnai après avoir avalé ma bouchée de céréales.

Jordan parlait encore. Des gens comme moi, il en voyait tous les jours. Je fis la moue. Ah oui ? C’est vrai ? Parce que de là où je venais, personne n’était comme moi. Je viens d’ici… C’est peut-être pour ça. Ici, il n’y a que des Grant ? J’aimerais voir si c’était vrai.

Mais c’était pas ça qui m’avait fait levé la tête d’un coup vers Jordan. C’était quand il disait que personne ne nait mauvais. Je regardai Jordan longtemps en penchant un peu la tête sur le côté. Maman aussi disait ça. Elle me le disait souvent. Personne ne nait mauvais… S’il y a des gens très mauvais, c’est parce qu’ils ont vécu des horribles choses. Qu’ils avaient pas des gens pour les aimer. Elle me le disait souvent. Maman, elle disait que c’est l’amour qui peut tout changer. Maman, elle n’était pas qu’on dise que j’étais méchant. Un jour, j’étais dans le bureau du directeur de mon école avec Maman. J’avais frappé un autre élève. Le directeur a dit que Maman devrait me donner des fessées plus souvent pour que je me calme, que c’était la solution à « mon problème ». Maman a pas aimé qu’on lui dise ça et elle a dit que la solution c’était de me changer d’école. J’ai changé d’école.

Maman me manque.

-On ne nait peut-être pas mauvais, Monsieur Keller. Mais certains enfants sont plus difficiles que d’autres et devenir mauvais est plus facile que de devenir quelqu’un de bien élevé.

Mais Jordan voulait pas m’abandonner. Il voulait faire ce que Maman disait. Et il parlait de plus en plus comme Maman. Je ne le quittais plus des yeux maintenant alors qu’il fumait. Je n’aimais pas l’odeur de la cigarette. Mais je ne dis rien. La dame n’aimait pas non plus… Elle retroussait son nez montrant par des gestes qu’elle été incommodée par l’odeur.

-Je n’ai pas traité cet enfant de monstre, Monsieur Keller. Vous déformez mes propos. J’ai juste montré à quel point il était difficile.

Mais Jordan en avait marre de la dame et moi aussi. Il en avait marre que la dame dise du mal de moi. Je le regardai toujours et il finit par me regarder pour dire qu’il croyait en moi.

Maman me disait tout le temps ça. Elle disait que je serais quelqu’un de bien. Elle disait que j’étais comme Hulk et que j’étais gentil à l’intérieur mais que c’était les gens qui me voyaient comme méchant. Que ce n’était pas ma faute. Que je pouvais pas changer les gens. Je souris à Jordan et hochai la tête.

-Bien comme vous voudrez.

La dame sortit des papiers et un dossier. Elle sortit un stylo aussi et tendit les papiers à Jordan.

-Voici les papiers concernant le tutorat. Vous n’avez qu’à la signer et l’enfant sera à vous. Sachez, Monsieur Keller, que je n’allais pas dire que du mal de Grant. Il a, malgré tout, de bonnes notes particulièrement en sport. Cet enfant est très loin d’être stupide.

Mais dans sa voix, ça sonnait pas comme étant quelque chose de bien. Rien n’était bien chez moi pour elle. Je ne l’aimais pas.

-J’imagine que vous vous fichez des recommandations faite par le personnel qualifié du foyer ? Je vais tout de même vous les donner ainsi je pourrais partir en paix. Avant la mort de Mademoiselle Custer, ils allaient mettre en place un suivi psychologique pour l’enfant pour ses problèmes de comportement. Je vous conseille de le faire suivre surtout qu’en plus de tout ça, Grant doit gérer son deuil. Le foyer pense qu’il n’a pas les capacités pour le gérer seul et qu’un psychologue serait une solution adéquate. Réfléchissez-y donc.

Les papiers signés, elle se leva. Moi, je voulais pas la raccompagner alors je restai assis à manger encore. De toute façon, si je quittais mon bol pour aller raccompagner la dame, mes céréales allaient devenir tous mou et c’était pas bon quand c’était tout mou. Je ne lui dis même pas au revoir, à la dame… Elle mérite pas mon au revoir. Tout ce que je dis avant qu’elle passe la porte de la cuisine c’est :

-Bon débarras.

Assez fort pour que tout le monde l’entende.

@ Billy Lighter

Le petit ne disait pas grand-chose. Ses réponses étaient uniquement des phrases courtes et renfrognées. Je le comprenais : je ne ferais pas meilleure figure en entendant une dame que je ne connaissais ni d’Eve, ni d’Adam, porter des jugements sur moi. Les services sociaux étaient une nécessité, sans aucun doute. Mais il était rare de tomber sur des employés dignes de ce noms, des gens qui ne soient pas blasés ou ne voyaient pas le mal partout ni ne considèrent tous ceux qui passaient par eux comme des cas désespérés d’avance.

Ok, j’avais bien compris que Grant n’allait pas être tous les jours facile à gérer. Mais quel adolescent, même avec une vie stable et une famille aimante, ne passait pas par quelques problèmes propres à l’âge ? Et ok, peut-être que Grand avait de plus grandes difficultés que les autres.

Et bien parfait ! J’étais d’autant plus prêt, à chaque absurdité sortant de la bouche de l’assistante sociale, à relever le défi.

Grant, pour l’instant, mangeait sagement ses céréales et seuls ses sourcils froncés témoignaient de la nuisance que représentait pour lui cette femme pourtant chargée de défendre ses intérêt et non de le descendre.

Mais je ne me démontai pas… Pas plus que je ne la laissais dire, entre deux gorgées de café ou un coup de nicotine.

-Et bien je ferai mon possible pour que Grant puisse apprendre à devenir quelqu’un de bien. Il est probablement déjà quelqu’un de bien. Mais avec le bon entourage, il pourra faire montre du meilleur de lui-même. J’espère être à la hauteur pour ça. En tout cas, j’accepte de relever le défi.

Je souris en coin.

-Et je n’ai pas déformé vos propos. J’ai lu dans vos pensées.

Exaspérée, l’assistante sociale sortit les documents que je m’empressai de lire et de signer tout en l’écoutant quand même me dire que Grant avait des qualités, notamment en sport. Et il avait de bonnes notes. C’était déjà bien.

-Voilà par quoi vous auriez dû commencer.  

Je lui rendis ses document dûment signé et complété et l’écoutai encore me dire que le foyer où il était recommandait de le faire suivre pas un psy, ne fusse que pour son deuil. Cela ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd.

-S’ils le recommandent. J’en parlerai avec Grant.

La dame prit congé et je me retrouvai enfin seul avec Grant. Je m’assis face à lui, sur la table de la cuisine et poussai la boîte de céréales vers lui.

-Tiens, si tu en veux encore, tu peux prendre.

Je le regardai plus attentivement et écrasai ma clope dans le cendrier.

-Et si on faisait un peu connaissance, toi et moi ? Tu aimes le sport ou tout du moins, tu es bon à ça. Quel est le sport que tu aimes le plus ? Moi, c’est le football, mais j’aime seulement le regarder à travers la télévision…

@ Billy Lighter

La dame disait du mal de moi et Jordan voulait pas vraiment y croire. Moi, j’étais au milieu… J’écoutais et je disais ce que je pensais parfois. En fait, je voulais que la dame parte et c’est tout. J’avais plus besoin d’elle. J’avais jamais eu besoin d’elle. J’ai besoin de personne, moi. J’avais besoin de ma Maman mais elle est plus là.

Jordan disait que j’étais déjà quelqu’un de bien mais il disait qu’il allait faire en sorte que je puisse donner le meilleur de moi-même. Il voulait relever le défi. Comment on montre qu’on est quelqu’un de bien ? C’est pas facile… Il n’y a que Maman qui m’avait dit que j’étais gentil. Les autres, ils disaient tous que j’étais méchant.

La dame était pas très contente de ce que pensait Jordan d’elle. Moi, j’étais content qu’elle soit choquée et blessée. Elle méritait ça. Comme quand je frappais les gens. Ils le méritaient aussi. A chaque fois que je le faisais. Quand j’ai brûlé le sac de ma babysitter aussi, c’était mérité. Les gens sont méchant alors ils le méritent.

Jordan disait qu’il lisait dans les pensées de la dame. Je souris cette fois vraiment d’un sourire en coin. C’était facile de voir que la dame m’aimait pas et qu’elle trouvait que j’étais pas quelqu’un de bien.

Puis, la dame voulait en finir et donna les papiers avant de dire que j’avais des bonnes notes et que j’étais intelligent. Mais là encore, j’entendais que c’était mal. Mais pas Jordan. Il voyait le bien là-dedans.

C’est fini ? Elle part ? Elle dit encore quelques trucs et puis elle s’en alla. Elle voulait que je vois un psychologue. Je ne savais pas trop ce que c’était, moi… Maman avait jamais parlé de ça.

La dame finit par s’en allé. Elle avait juste laissé sa mauvaise odeur de parfum dans la pièce. C’était mélangé à la cigarette alors ça puait encore plus. Je fronçai les nez et Jordan revint près de moi. Il s’assit en face de moi alors que je buvais un coup de chocolat chaud qui était un peu plus froid. Je jetai un œil à Jordan. Quand j’aurais fini de manger, je lirais un Comics…

J’avais presque fini de manger… Sauf que Jordan poussa la boite de céréales vers moi en disant que je pouvais en reprendre.

Je le regardai. Je regardai la boîte… Je pris la boîte et versais des céréales dans mon bol. Je me remis à manger. Ils étaient bons, les céréales.

Jordan écrasa sa cigarette. Ça empêchera pas l’odeur d’être encore là. Puis, il me parla de sport. Je relevai la tête vers lui en mâchant. Il voulait faire connaissance… J’haussai les épaules et avalant avant de regarder Jordan.

-J’aime pas le sport que je fais à l’école. Je suis bon, c’est tout…

On faisait du football à l’école, on courait aussi et on faisait de la gymnastique. Je n’aimais aucun de ces sports-là.

-J’ai déjà fait du baseball. Mais on m’a renvoyé de l’équipe. J’aimais pas de toute façon.

J’ai frappé un autre avec la batte. Il m’avait crié dessus parce que j’avais raté la balle. Je l’ai pas raté, lui…

-Moi, j’aime bien les sports où on se bat… Mais Maman voulait pas que je fasse ça. Elle avait peur que je me fasse mal.

Moi, je voulais faire ça pourtant… Comme on voyait à la télé. Les gens se battent à la télé et ils gagnent de l’argent avec ça. Moi quand je me bas à l’école, c’est mal et je gagne rien.

-J’aime aussi grimper aux arbres. J’avais une cabane, chez moi, dans les arbres. Je voulais vivre là, pas ici…

Oui, là-bas, tout seul… Avec mes Comics.

Je baissai les yeux fronçant un peu les sourcils.

-Moi, je sais rien sur toi… Tu aimes le football mais tu joues pas… Tu fais que courir après les méchants ? Maman disait que tu étais comme un super-héro. Les super-héros fument pas…

Maman adorait Jordan. Elle disait qu’il était comme Captain America.

@ Billy Lighter

Une fois débarrassés de cette vieille mégère d’assistante sociale, nous nous retrouvâmes seul à seul, Grant et moi. C’était l’occasion de discuter un peu. Je voyais bien que le petit était pas un grand bavard, plutôt du genre méfiant. Mais il y avait de quoi. Son seul repère venait de disparaître, on lui avait fait traverser le pays pour l’amener chez moi qui n’était pour lui qu’un inconnu parmi d’autres.

Il se resservit des céréales. Très bien, ça allait nous permettre de rester à table et de parler un peu… Il fallait que je cerne qui était le gamin face à moi, pour savoir comment le prendre, comment lui dire les choses. Et quand je lui demandai à propos du sport, il remit l’église au milieu du village : ce n’était pas parce qu’il était bon en sport qu’il aimait ça.

Mais c’était déjà ça.

Grant aimait apparemment les sports de combat et je connaissais pas mal de délinquants que ce genre de sport avait aidé. Ça aidait même les junkies, d’ailleurs.

-Tu veux faire du sport de combat ? Moi, ça ne me dérange pas de t’inscrire, sauf si tu veux respecter les vœux de ta mère. Mais contrairement à cet qu’elle croit, ce n’est pas vraiment fait pour faire mal.

Il suffisait de lui choisi le bon art martial, celui qui lui conviendrait le mieux. Et je savais qu’il y avait une salle de sport sur South L.A. où la boxe était mise à l’honneur.

J’eus un regard attendri et désolé quand il annonça que lui, il aurait voulu vivre seul dans sa cabane dans les bois.

-Tu l’avais construit toi-même, cette cabane ?

Puis ce fut à lui de poser des questions et je lui répondis calmement.

-Ouais, j’aime regarder le football à la télé. Mais si tu te mets à la boxe ou quelque chose comme ça, peut-être que je pourrais en faire avec toi, pourquoi pas ?

Je lui souris. S’il voulait faire ça seul avec les moniteurs de la salle de sport, je respecterais son choix. Mais sinon, pourquoi pas ? Ça me remettrait peut-être en forme.

Je me laissai aller en arrière sur ma chaise et soupirai avant de rire doucement.

-Ta maman était trop gentille. Je ne suis pas vraiment un super-héros, juste un flic et j’étais au bon endroit au bon moment pour pouvoir sortir ta mère de la merde dans laquelle elle s’était foutue. Ta mère était quelqu’un de bien et je suis sûr que tu es quelqu’un de bien aussi.

Je souris à Grant.

-Toi, t’aimerais devenir un super-héros, Grant ? Comme dans les comics ? Quel pouvoir tu aimerais avoir ?

@ Billy Lighter

Les céréales étaient bons alors j’en mangeai encore… Jordan, lui, il me posait des questions sur le sport. Je n’aimais pas beaucoup de sports. J’avais envie de faire des sports de combats mais Maman avait jamais voulu. Pourtant, j’avais pas peur de me faire mal, moi. A l’école, quand je me battais, je n’avais jamais mal. Les autres, oui.

Mais Jordan voulait bien, lui, que je fasse un sport où on se bat. J’arrêtai de manger pour poser mon regard sur lui. Il disait que ça n’était pas fait pour faire mal. Je penchai légèrement la tête sur le côté. Non… C’était fait pour frapper et je savais faire ça. J’aimais bien faire ça.

-Je veux bien… Je n’ai pas peur de toute façon.

J’ai pas peur d’avoir mal. J’ai pas peur de frapper. J’ai peur de rien, en fait. Même pas du noir, ni de tout ce que les autres ont peur. J’avais même pas peur de venir ici. Ça m’ennuyait, c’est tout.

Moi, j’aurais préféré vivre dans ma cabane. J’aurais été tranquille. J’aurais pu faire tout ce que je veux. Parce que je voulais bien écouter Maman parce que je l’aimais mais les autres j’m’en fous. Maintenant, j’allais faire tout ce que je veux.

Jordan demanda si j’avais construit moi-même ma cabane. Je ne souris pas. J’hochai juste la tête.

-Oui. Tout seul. Maman la trouvait très belle.

J’aimais bien aller là-bas après l’école. J’y lisais des Comics jusqu’à ce que Maman m’appelle pour manger. Je fronçai fort les sourcils.

-Mais je la verrai plus, ma cabane… Et ici, il y a pas d’arbres dans le jardin. Il y a presque pas de jardin…

Il y avait pas de fort, non plus… Juste des maisons moches, des routes et des lumières. Je n’aimais pas.

Mais je voulais que Jordan parle aussi. Il aimait le football mais il voulait bien faire de la boxe avec moi. J’haussai les épaules.

-Si tu veux… Je m’en fiche, en fait. Je peux faire ça tout seul.

Je pouvais faire ça tout seul… J’avais pas besoin de Jordan. Je le connaissais pas…

Jordan parlait pas encore assez alors je posai des questions. Maman disait qu’il était comme Captain America. Moi, je trouvais pas. Il était gentil, c’est vrai. Mais il avait pas l’air de sauver des gens. Et il fumait beaucoup. Il était pas musclé comme Captain America, non plus…

Il disait qu’il était pas un super-héros. Je le savais… Maman avait encore exagéré un peu. Maman exagérait parfois mais je l’aimais. Jordan était juste un flic. C’était plus le commissaire Gordon que Captain America. Et il disait que Maman était quelqu’un de bien et que moi aussi j’étais sûrement quelqu’un de bien. Je baissai un peu la tête… Maman était bien mais elle est morte. Elle me manque.

-Oui, Maman était très bien. Je l’aimais… Elle disait aussi que j’étais quelqu’un de bien. Elle le disait tout le temps…

Je frottai un peu mes yeux. Pas parce que j’allais pleurer. Je pleurais pas souvent. Mais c’était un tic quand j’étais contrarié. Et pensé à ma Maman, ça me contrariait parce que je n’aimais pas ce que ça me faisait.

Je relevai la tête que quand Jordan me posa des questions. Il demanda si j’aimerais devenir un super-héros. Il demanda le pouvoir que je voulais avoir. Je répondis sans hésiter vraiment :

-Je veux être Batman…

J’aimais bien Batman. Il avait pas de pouvoir mais je l’aimais bien. Il combattait les méchants

-Il a pas de pouvoir, Batman. Mais il a des armes et j’aime bien. Il a pas besoin de pouvoir pour battre les méchants. Et les gens ont peur de lui quand il a son masque.

Je regardais toujours Jordan.

-Et il a plus de parents. Comme moi… Enfin, j’ai plus de mère mais je n’avais que ça.

Mon père, je savais pas s’il vivait toujours. Je savais juste qu’il était ici avant.

-J’ai pas besoin de pouvoir. Je sais frapper. Et plus tard, j’aurais des armes comme Batman. Les adultes ont des armes. Alors, je serais comme Batman. J’irais battre les méchants la nuit. Il y a plein de méchants à combattre.

Beaucoup de monde était méchant pour moi.

Je regardai Jordan.

-Tu es comme le commissaire Gordon… Tu as déjà tué des méchants ?

Je le regardai avec un air interrogateur. Batman ne tuait pas. Mais les policiers tuaient parfois. J’avais vu ça à la télévision.

@ Billy Lighter

Ce que je compris vite en discutant un peu avec Grant maintenant que l’assistante sociale était partie, c’était que c’était un garçon très solitaire. Déjà, il était enfant unique mais tout ce qu’il aimait étaient des jeux solitaires. Ainsi, il avait construit chez lui une cabane pour s’y réfugier…

Je pinçai mes lèvres quand il affirma qu’il n’y avait ni arbre, ni jardin ici. C’était clair qu’entre le Maine et Los Angeles ou même la Californie toute entière, il y avait comme un monde ! Ici, je n’avais pas vraiment d’extérieur où Grant pourrait se réfugier seul.

-On fera en sorte que tu aies ton coin à toi tout seul ici aussi. Tu pourrais construire une cabane dans ta chambre. Ce ne sera pas tout à fait la même chose, évidemment, mais ce serait toujours ça.

C’était étrange, ce garçon me semblait profondément triste mais il le manifestait avec un calme olympien. Ou peut-être avait-il déjà pleuré toutes les larmes de son corps bien avant d’arriver ici et qu’il n’avait plus d’énergie pour la manifester par des pleurs ou une voix cassée.

Non, on aurait plutôt dit qu’il égrainait fait sur fait sans que ça ne lui fasse ni chaud, ni froid. C’était un peu la même chose pour le sport. Il ne semblait pas affectionner les sports d’équipe. Par contre, les sports de combat l’intéressaient. Je lui proposai d’en faire avec lui, mais il déclara qu’il pouvait aussi le faire tout seul, sans marquer de préférence pour une ou l’autre solution.

-Alors, si tu veux bien, je viendrai avec toi… ça me maintiendra un peu plus en forme et ce sera pas plus mal pour moi non plus.

Peut-être que j’arriverais à attraper l’un ou l’autre des Pequeñas Manos pour essayer de les mettre en sécurité, parce que pour le moment, entre Los Diablos et New Soldados, c’était clairement la guerre.

Puisque le petit semblait aimer les comics, je lui demandai quel genre de super pouvoir il aimerait. Et il affirma qu’il voulait être Batman. Je souris, mais sans moquerie aucune. Batman n’avait pas de super pouvoir mais un masque et des armes. Mais surtout, Batman avait perdu ses parents, un peu comme lui.

Et puis il disait savoir frapper et qu’une fois adulte, il aurait des armes pour rendre la justice. Je comprenais bien qu’il l’avait mauvaise à cause de la mort de sa mère et peut-être parce que le fait d’être solitaire lui attira l’attention néfaste des autres gamins de l’école qui défonce tout ce qui n’est pas exactement comme eux, mais il fallait lentement que je tempère ses ardeurs, même si c’était encore beaucoup trop tôt pour ça.

-C’est rendre la justice comme Batman que tu veux faire.

Peut-être qu’en grandissant, il allait développer un intérêt pour mon propre métier qui, en théorie, visait à cela… Avec beaucoup de désillusions quand même mais de temps en temps, on arrivait à rendre la justice… Et on portait un déguisement aussi, non ?

Je souris…

-Ouais, si tu veux. Je suis comme le commissaire Gordon, même si je n’ai pas ce grade-là. Je suis inspecteur.

Je me levai pour me resservir un café et rallumer une clope.

-Et ouais, ça m’est arrivé de tuer des gens, mais toujours en dernier recours. Tuer des gens, ça me donne des cauchemars… Même si je savais que c’était des méchants…

Je lui souris et soufflai ma fumée en tournant la tête ailleurs pour ne pas l’enfumer. Puis, je le regardai dans les yeux.

-Dis-moi… Il y a des gens, à l’école ou ailleurs, qui ont été méchants avec toi ?

@ Billy Lighter

J’avais plus ma cabane… Et ici, il y avait rien pour faire des cabanes. Pas d’arbres et presque pas de jardin. Ça puait dehors, en plus. Je n’aimais pas. Mais Jordan disait qu’on fera quand même des trucs pour que j’aie une cabane dans ma chambre. Je fronçai les sourcils. Dans ma chambre ? Ça sert à rien… La chambre c’est déjà à l’intérieur. C’est dehors qu’on fait une cabane.

-C’est pas pareil du tout… Une cabane, c’est pour dehors. Dans le jardin, c’est mieux…

Même s’il est petit. Je ferais avec…

Avec Jordan, j’allais pouvoir faire de la boxe et ça c’était bien. C’est la seule chose bien depuis que je suis arrivé avec les céréales et le chocolat chaud. Jordan demanda si je voulais qu’il fasse de la boxe avec moi mais je m’en fichais qu’il vienne ou non. Et il décida de venir parce qu’il devait faire du sport. Pour ça, il faudra qu’il fume plus. Parce que tout le monde sait qu’il faut pas fumer en faisant du sport. C’était con. J’haussai les épaules.

-Si tu veux…

C’était plus intéressant quand on parla de super-héros. Je connaissais beaucoup de super-héros mais je voulais être Batman. Il avait pas besoin de pouvoir pour battre les méchants. Il savait se battre et il savait utiliser des armes. Plus tard, je saurais faire tout ça aussi. J’allais m’entrainer à la boxe et quand je serais plus grand, j’aurais une arme comme tous les adultes. Maman avait une arme dans un coffre. Il était fermé à clé. Mais elle en avait une. J’ai essayé d’ouvrir le coffre un jour mais j’ai pas réussi. Je voulais voir à quoi ça ressemblait de tout près.

Jordan demanda si c’était rendre justice comme Batman que je voulais faire. Oui, c’est ce que j’ai dit. J’hochai de la tête.

-Oui. De la même façon.

Chaque fois, Jordan voulait parler de moi. Mais moi, je voulais savoir tout sur lui. Il disait qu’il était bien comme le commissaire Gordon mais qu’il était inspecteur. J’haussai les épaules.

-Je sais pas la différence… Il y en a pas pour moi.

C’était des policiers, les commissaires et les inspecteurs. Ils combattaient le crime, tous les deux. Alors, y’a pas de différence.

Je repris une cuillère de céréales et Jordan reprit du café et encore une cigarette. Alors qu’il regardait pas, je roulai des yeux avant de froncer encore du nez. Il allait fumer tout le temps ?

Jordan avait déjà tué des gens. Quand il dit ça, j’arrêtai de manger pour le regarder. Il avait pas aimé tuer des gens. Il faisait des cauchemars et ça même si c’était des méchants.

-Je comprends pas… Ils étaient méchants. Les méchants tuent parfois. Et ils choisissent d’être méchant parce qu’on nait pas méchant. Alors c’est pas si grave, si tu les as tués, si ?

Je fais parfois des cauchemars aussi mais j’ai pas peur. Je sais que c’est juste que des cauchemars.

Puis, il demanda si des gens avaient été méchant avec moi. Je fis tourner doucement ma cuillère dans mon bol où il y avait plus que quelques céréales dans le lait. J’hochai de la tête pour faire « oui » avant de regarder Jordan.

-Oui. Des gens à l’école me regardent de travers. J’aime pas ça. Alors je fais la justice.

Je n’aimais pas qu’on me regarde de travers comme si c’était moi qui était méchant. C’est eux les méchants.

-Puis, il y avait cette babysitter… Elle frappait mes doigts quand je faisais pas mes devoirs comme elle voulait. Alors, j’ai fait la justice. J’ai mis le feu à son sac. Elle a appelé la police comme si c’était moi qui était méchant. Maman l’a viré.

J’étais content que Maman l’ait viré. Je regardai toujours Jordan.

-Il y a beaucoup de gens méchants, partout. Je dois souvent faire la justice. Mais quand je le fais, c’est moi qu’on traite de méchant. Maman dit pourtant que je suis pas méchant…

J’haussai les épaules.

-C’est pour ça que je veux devenir Batman… Parce que, lui, les gens pense que c’est un héro pas un méchant. Quand il frappe, c’est bien. C’est pas mal comme quand moi, je le fais…

Et je comprenais pas bien la différence entre lui et moi. Je comprenais pas où je faisais une erreur.

@ Billy Lighter

Ouais, évidemment que ce n’était pas pareil d’avoir une cabane dans un arbre et une cabane dans une chambre. Mais le fait était que, même s’il était peut-être encore un peu tôt pour qu’il l’accepte, rien ne serait jamais plus pareil pour ce jeune homme. J’avais moi-même perdu mon père très jeune et je me rappelais encore du chagrin que j’avais eu suite à sa mort… Et encore, moi, il me restait encore un de mes parents en vie alors que Grant lui, se retrouvait face à un inconnu, à l’autre bout du pays.

-Tu pourras essayer d’en construire une… Le jardin est petit mais si t’es ingénieux, ça peut le faire…

Ensuite, comme il disait s’intéresser aux sports de combat, je lui proposai de faire de la boxe avec lui. Si la boxe semblait le botter, le fait d’en faire ou non avec moi ne lui faisait ni chaud, ni froid. Mais il ne me connaissait pas encore, après tout. Et c’était un peu logique qu’il réagisse sans plus d’enthousiasme puisqu’il n’avait aucune affection particulière vis-à-vis de moi.

Un pas à la fois, Jordan. J’avais bien conscience que j’étais en train de marcher dans un champ de mine les yeux bandés. Si je faisais une erreur maintenant, ce serait foutu à jamais.

Son autre centre d’intérêt semblait être les comics. Une chance que je m’y connaissais quand même pas mal en super-héros pour en lire moi aussi souvent ne service. J’en avais donc quelques-uns ici et qui sait si ça ne pourrait pas plaire à Grant si jamais c’était des numéros qu’il n’avait pas encore.

On entra, via les super-héros et Batman en particulier, dans des questionnements plus profonds. Qu’est-ce qui est juste et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Pourquoi Batman pouvait foutre leur raclée aux méchants et que dans la vraie vie, c’était mal vu.

-Mmmm… Je crois savoir que les agissements de Batman ne font pas toujours l’unanimité. Parfois, le Commissaire Gordon lui rappelle qu’il y a des limites, je me trompe ?

C’était ce qu’il y avait de bien dans ces comics, c’était que Batman n’était pas toujours tout blanc et, dans l’histoire même, ne faisait pas l’unanimité dans les médias.

-Et si… prendre la vie de quelqu’un est toujours grave… Même s’il s’agissait de quelqu’un de méchant…

Je tirai sur ma clope…

-Chaque fois que je tue, j’ai l’impression de perdre une partie de mon âme. Même si c’était juste. Parce que la justice est un peu une question de point de vue aussi. Pour moi et aux yeux de la loi, c’est juste… Mais aux yeux des enfants de celui que j’ai tué, c’est injuste qu’on leur ait pris leur père, aussi ignoble soit-il… Tu me suis ?

J’écrasai ma clope dans le cendrier en soufflant ma dernière bouffée de fumée.

-Mais t’as raison… Il y a beaucoup de gens méchants. Il y a beaucoup de gens méchants que j’aimerais mettre en taule… Mais j’ai les pieds et les poings liés par tout un tas de lois que je dois respecter… Et parfois, ça m’empêche de faire la justice… Mais je ne peux pas passer du côté obscure pour la faire, tu comprends ? Je ne peux pas faire la justice en enfreignant les règles.

Je regardai le petit dans les yeux.

-Sinon, ça voudrait dire que je ne vaux pas mieux qu’eux.

@ Billy Lighter

Jordan voulait bien que je construise une cabane dans le jardin même s'il était petit. Moi j’arriverai à quelque chose de bien. Je pourrais vivre dans le jardin comme ça.

Puis, on parla de Batman qui faisait la justice en combattant les méchants comme je voulais le faire plus tard. Je le faisais déjà mais on trouvait que c’était pas bien. Je comprenais pas. Je faisais mal qu’à des gens méchant. Mais Jordan disait que parfois les gens aussi dans les Comics trouvaient que Batman faisait des mauvaises choses. Oui, c’est vrai. Et je comprenais pas quand le commissaire Gordon était pas content sur Batman.

-Oui... Je sais... Mais le commissaire Gordon a tort. Batman fait toujours le bien.

C’est pour ça que c’était un héros.

Jordan disait aussi que tuer quelqu’un c’était grave même si la personne était méchante. Je regardais Jordan avec un air sceptique. Je comprenais pas... si on tuait tous les gens méchant, il y aurait plus de méchanceté. Mais Jordan était pas d’accord parce que quand il tuait, il perdait un bout de son âme. J’essayais de comprendre mais c’était pas facile... Et quand il dit que pour les enfants des gens méchant c’était injuste, j’hochai négativement de la tête pour montrer que, non, je le suivais pas.

-Non, moi, je crois pas ça... Les enfants des gens méchant, ils seront contents. Et si le gens était méchant alors c’est mieux pour les gens gentils.

Oui, moi je suis sûr que les enfants des gens méchant seront contents. Moi je doutais pas du tout de ça. Moi, si mon père meurt, je serais content. Maman était parfois triste à cause de lui, même si je l’avais jamais vu.

Mais Jordan aimerait quand même bien mettre certains méchants en prison mais il pouvait pas à cause de la loi. Je pris un air d’incompréhension. C’est pour ça que les super héros sont pas des policiers dans les Comics. Parce que les super héros ils ont pas de loi pour les bloquer. Moi j’aime pas les lois qui empêchent les gentils de faire la justice et enfermer les méchants. Mais Jordan disait que s'il faisait la justice lui-même il vaudrait pas mieux que les méchants.

D'un coup, je pris un air très contrarié et je poussai mon bol encore plein de lait très fort et plus loin de moi ce qui mit du lait partout sur la table. Je fixais Jordan.

-Non! C’est pas la même chose. Les méchants font mal aux gens gentils et leur faire du mal, aux gens méchants, c’est bien. Moi je comprends pas pourquoi c’est être comme eux. Je suis pas comme eux. Je suis pas méchant. Les lois sont bêtes. A cause des lois ma Maman était pas toujours heureuse. J’aime pas les lois. Elles sont connes.

Je croisai les bras, me renfrognant sur ma chaise.

-Tous les méchant devraient être mort ou en prison. Voilà. Tu devrais pouvoir tous les mettre en prison

Je fonçais les sourcils.

-J’ai plus faim!

Je veux rentrer chez moi dans ma cabane.

@ Billy Lighter

Bon… les choses n’allaient effectivement pas être faciles à voir la réaction du petit quand je lui affirmai que le Commissaire Gordon était là aussi pour recadrer Batman de temps à autre. Selon lui, Batman faisait toujours le bien.

-Ouais, il fait le bien, ça c’est sûr. Mais parfois, il le fait mal.

Là était toute la nuance.

Mais plus difficile était de lui faire comprendre que tuer, ce n’était pas si facile. Ni d’ailleurs la solution au problème. Que ce qui lui semblait juste de son point de vue ne le serait peut-être pas du point de vue d’un autre qui avait une relation différente avec la personne.

Bref, tout ça pour dire que je faisais de mon mieux. Mais que mon mieux n’était pas encore assez. Bravo ! J’étais tuteur depuis 10 minutes. Il nous fallait nous laisser le temps, à tous les deux, de nous accorder. Mais j’étais sûr qu’on y arriverait. D’autant que je n’étais pas tout seul. J’avais mon frère, Duncan, et sa petite-amie qui, je l’espéraient, seraient ok de garder de temps en temps Grant quand je serais en travail de nuit ou s’il arrivait une tuile au boulot qui doive me faire faire des heures sup’.

Grant ne comprenait pas. Il avait beau essayer, je voyais bien qu’il essayait, mais il n’y arrivait pas. Il vivait dans un monde manichéen. Le bien et le mal. Il n’y avait rien entre les deux, pas de gradation. Certes, c’était un enfant, mais j’avais l’impression quand il parlait qu’il n’y avait pas de gradation dans le mal. Que voler un bonbon était aussi grave que de violer ou tuer quelqu’un.

J’avais beau essayer de lui expliquer, tout ce que je gagnai fut un bol à moitié renversé sur la table et un petit bonhomme refermé sur lui-même.

Sans me démonter, je me levai, pris une éponge, et remis de l’ordre sur la table tout en lui parlant toujours calmement.

-Je comprends ta frustration et ta tristesse, Grant. Ce que tu vis et a vécu ne sont pas des choses super cool. Mais s’énerver ne servira à rien. Les lois ne changeront malheureusement pas et la méchanceté ne disparaîtra pas à force de casser des gueules.

Ah et tant que j’y étais, je pouvais aussi écouter mes propres conseils. Parce que j’avais aussi un peu voulu jouer à Batman quand j’avais chopé Howard Stone en train de rouler comme un taré dans les rues de l’Eastside. Si Conrad n’avait pas été là pour me calmer, Stone aurait pris une salade de phalanges en pleine tronche.

Une fois la table propre, je m’assis à nouveau face à Grant qui n’avait plus faim.

-Ok… Toute cette énergie qui a en toi, qu’est-ce que tu dirais d’en faire quelque chose, hein ? On a déjà l’idée de faire de la boxe et que tu construises une cabane dans le jardin, c’est un bon début, non ?

Je lui souris.

-Et puis, j’ai des gens à te présenter. Mon petit frère et sa compagne. Eux, ce sont des gens très gentil, tu verras. Mais on ira que quand tu seras prêt pour ça, ok ?

Je fis une moue de réflexion…

-En attendant, viens, on va aller voir ta chambre… A moins que tu ne préfères faire autre chose. Tu peux me le dire.

@ Billy Lighter

Comment on peut mal faire le bien ? C’est complètement débile. Si on fait le bien, on s’en fout comment c’est fait vu que c’est bien. Et combattre le mal, c’est bien. Voilà tout. Je fronçai les sourcils. C’était trop dur à comprendre. Je n’aimais pas quand c’était compliqué, moi, les choses. J’aimais bien quand c’était très clair.

Et là, avec Jordan, rien n’était clair.

Pour lui, les méchants étaient pas méchants pour tout le monde. Pour les enfants des méchants, ils étaient pas méchants. Je le croyais pas. Un méchant, c’est un méchant. Et si on tue ou on enferme tous les méchants alors la méchanceté disparaitra.

Je voulais qu’elle disparaisse parce que la méchanceté me fait mal et faisait mal à ma Maman. Mais à cause des lois, on pourrait jamais la faire disparaitre parce que les gens comme Jordan peuvent pas enfermer les méchants à cause des lois.

Et j’aimais pas ce que disait Jordan. Ça me contrariait et je finis par pousser fort mon bol. Je fronçai les sourcils et croisai les bras. C’était pas juste tout ce que disait Jordan. Parce que dans ce qu’il disait, c’est comme si j’étais un méchant alors que j’en suis pas un.

Je veux pas qu’on dise que j’en suis un !

Jordan commença à nettoyer le lait. Il disait que s’énerver, ça servait à rien et que les lois changeront pas. Je pris un air encore plus contrarié. Elles changeront pas mais je me fiche d’elles. Voilà. Mais ce qui me frustra le plus c’est que la méchanceté allait pas disparaitre en frappant les autres.

-Non… Mais faire mal aux méchants, ça fait du bien.

C’est ce que je marmonnai ne regardant même plus Jordan. J’avais bien aimé frappé les méchants à l’école et j’avais bien aimé mettre le feu au sac de la méchante babysitter. Ce que je faisais, c’était juste, parce que c’était des méchants. M’en fiche que la loi soit bête ou non.

-Et je suis pas énervé. Je suis calme.

Jordan s’assit en face de moi mais je ne relevai pas la tête vers lui. J’aimais pas ce qu’il avait dit. Mais il changea de conversation. Il reparla de la boxe et de la cabane. Il disait que c’était un bon début. J’hochai de la tête.

-Oui… Mais j’aime rien faire d’autre sauf lire des Comics. Je lis tout le temps des Comics. J’en ai plein dans mon sac. Je veux faire ça toute la journée, tous les jours. Ça et la boxe et la cabane. Rien d’autre. Je lirais les Comics dans la cabane et tu apporteras à manger dans ma cabane.

C’est comme ça que je voulais vivre à partir de maintenant. Jordan, il m’apportera à manger pour que je puisse vivre. Et moi, je lirais des Comics dans ma cabane dans le petit jardin. Et on ira à la boxe et c’est tout.

Je ne veux pas aller à l’école…

Mais Jordan voulait me présenter des gens quand je serais prêt. Pourquoi, je serais pas prêt ? J’haussai les épaules.

-Si tu veux… Je suis prêt. Pourquoi je serais pas prêt ? J’ai pas peur, j’ai dit.

Et il voulait me montrer ma chambre. Je relevai, enfin, la tête vers lui. Avant que ma cabane soit faite, il fallait que je dorme quelque part. Alors je voulais bien voir la chambre. J’hésitai quand même… Avant de dire :

-Je veux bien voir la chambre.

Je me levai de ma chaise levant le regard vers Jordan. Mes sourcils étaient moins froncés. On parlait d’autre chose que le mal alors j’étais moins contrarié.

Je pris mon sac. Je voulais pas quitter mon sac.

-Après, je lirais des Comics dans la chambre jusqu’à-ce qu’on mange au soir. On mange au soir à Los Angeles ?

J’espérais qu’on mangeait au soir… J’avais toujours faim, le soir…

@ Billy Lighter

Ouais… Faire mal aux méchants, ça faisait du bien… Est-ce que je pouvais réellement contredire ça ? Surtout quand je pensais moi-même que des fois, ça faisait effectivement du bien. Mais c’était là une valeur qui n’en était pas une et certainement pas une idée à cristalliser dans le chef du petit Grant qui semblait en avoir gros sur la patate.

Je ne fis donc aucun commentaire, ne cherchant pas à démentir ce qu’il venait de marmonner. Parce que démentir aurait été mentir. Et j’étais beaucoup de choses, mais je n’étais pas un menteur.

Grant affirma être calme, contrairement à ce que son geste de colère, renversant son bol, avait démontré. Mais il était complètement fermé maintenant.

Alors je crus que la meilleure chose à faire était de détourner la conversation. Peut-être qu’on y reviendrait plus tard, peut-être que non. Je connaissais déjà deux de ses centres d’intérêt : la cabane et la boxe. C’était un bon début. Et puis les fameux comics aussi.

-Ok. Ça tombe bien, j’en ai quelques-uns, des comics. Probablement que tu les as déjà tous, mais qui sait ?

Je souris en coin.

-Et tu pourras peut-être lire des comics dans ta cabane, mais tu devras venir manger ici quand je te le dirai… Faudrait pas salir ta cabane en risquant de renverser quelque chose… Je suis sûr que ta maman ne t’apportait pas à manger dans ta cabane, je me trompe ? Alors je ne ferais pas quelque chose que ta maman ne voudrait pas que je fasse.

Je lui proposai aussi de rencontrer Duncan et sa copine, mais quand il serait prêt. Et mon visage s’illumina quand il affirma qu’il était prêt et qu’il n’avait pas peur.

-Nickel… un vrai héros. Je leur téléphonerai tantôt pour qu’on aille les voir demain.

Et l’école… L’école serait un sujet qui attendrait encore un peu. Là, je cherchais à déminer une bombe à la fois et je voyais bien que celle-là, je la sentais d’ici, était celle la plus instable et susceptible de péter à tout moment. Donc, je n’allais pas y toucher pour le moment.

Numéro un, le laisser s’acclimater à son nouvel environnement. Le laisser faire son deuil. Ce serait déjà pas mal.

Restait à lui faire voir sa chambre. Il était d’accord et pris sa valise. C’était triste, je trouvais, de voir ce gosse et de savoir que tout ce qui lui appartenait tenait dans cette petite valise.

J’écrasai ma clope et le guidai à travers ma petite maison et lui montrai sa chambre qui était il y avait encore peu de temps de ça, la chambre de Duncan. Je l’avais arrangée un peu pour qu’il puisse y mettre les poster qu’il voudrait ou autre. J’avais juste laissé un poster de BleedingHeart et je montrai avec fierté à Grant :

-Voici ta chambre… Et mon frère, c’est lui, sur le poster. Je ne sais pas si tu aimes la musique ou si tu connais Bleedingheart.

Je lui souris…

-Et ouais, bien sûr que tu peux lire des comics jusqu’au souper. Je te préviendrai. Mais pour la bouffe dans la chambre, c’est pareil que dans la cabane, hors de question. Puis je serai content de t’avoir avec moi au moins le temps du souper. Qu’est-ce que tu en dis ?  

@ Billy Lighter

Jordan avait aussi des Comics mais il croyait que je les avais déjà tous. J’hochai négativement de la tête. Non… Je les avais pas tous. C’était pas possible de tous les avoir. Maman faisait tout pour que j’en ai plein mais je les avais pas tous.

-Je veux bien les voir parce que j’ai pas tous les Comics.

Je les relisais souvent. Mes favoris sont ceux de Batman mais aussi les Avengers. En fait, je les aimais tous. Et je voulais vivre dans ma future cabane et lire que des Comics. Jordan m’apportera à manger et voilà. Mais il était pas d’accord. Il voulait bien que je reste dans ma cabane mais il voulait pas que je mange là-bas. Je fronçai les sourcils surtout quand il parla de Maman. Non, je mangeais pas dans ma cabane chez Maman… Mais c’était différent. Maman, je l’aimais bien. J’aimais bien manger avec elle. Parfois, elle venait manger dans ma cabane avec moi.

-Avec Maman, c’était pas pareil… J’aimais bien manger avec elle à la maison. Ici, je m’en fous. Et je renverse jamais… Je fais attention quand je suis dans ma cabane.

Il me prend pour qui ? Un bébé pas propre ? Je suis pas un bébé !

J’étais toujours renfrogné et je m’en fichais un peu des gens qu’il voulait me faire rencontrer. J’avais pas peur de les rencontrer alors il pouvait me les montrer. Il disait que j’étais un vrai héro ce qui me fit me renfrogner un peu moins. On allait alors aller voir les gens demain.

-Si tu veux…

Jordan voulait maintenant me montrer ma chambre alors je me levai pour prendre mon sac. Je suivis Jordan dans la chambre. Elle était pas si grande mais pas si petit non plus. Il y avait un lit et des armoires et juste un poster sur le mur. Je posai mon sac au pied du lit et Jordan me montra le poster que j’avais déjà remarqué. C’était un poster de BleedingHeart. Je connaissais BleedingHeart. C’était un groupe de musique. Jordan disait que c’était son frère dessus. Je relevai le regard vers le poster. Jordan avait un frère qui jouait dans un groupe. C’est bien… Je regardai Jordan en haussant les épaules.

-Oui, je connais. Mais je préfère The Burning Fire. J’écoute que The Burning Fire. J’aime leur musique et leur pochette. Je les trouve belles, les pochettes. BleedingHeart, c’est pas si mal… Mais rien n’est mieux que The Burning Fire.

J’ouvris mon sac et je commençais à déballer mes affaires. Je sortis mes tas de Comics et je les mis tous sur la table de nuit. Ça faisait une grosse pile qui tenait en équilibre. Jordan se remis à parler du souper pendant que je sortais mon carnet avec mes dessins de feu et je le mis derrière mon coussin. Je sortis aussi mon crayon gris, jaune et orange que je mis à côté des Comics.

Jordan voulait bien que je lise mes Comics jusqu’au souper.

-Je boufferais pas dans ma chambre. C’est pas propre.

Je regardai Jordan.

-Je boufferais à la cuisine avec toi. J’aime que les pizza.

J’enlevai mes chaussures et je grimpai sur le lit. Je pris un Comics. Un sur Hulk et je l’ouvris pour commencer à lire. Je ne prêtais plus du tout attention à Jordan maintenant que j’étais dans mon univers à moi tout seul.

@ Billy Lighter

J’essayais tant bien que mal de slalomer entre les mines mais inévitablement, je marchais dessus. Même si j’avais quand même relativement évité les gros dégâts. Juste un peu de lait renversé sur la table, c’était tout.

Et le gamin ne s’était pas totalement renfermé non plus quand je lui annonçai qu’il pourrait avoir sa cabane, ses comics, etc… Le tout dans le but qu’il ne soit pas trop dépaysé. Mais il y avait des règles à mettre en place quand même, comme de ne pas manger dans sa cabane, moi pour une question réelle d’hygiène que pour qu’il ne vive pas en ermite.

-Tu t’en fous peut-être, mais moi pas. J’aimerais bien que tu viennes manger avec moi dans la cuisine et que tu me racontes ce qu’il se passe dans tes comics. Je n’ai plus tant que ça le temps d’en lire, moi, et j’ai raté des épisodes.

Autant rendre les repas en ma compagnie intéressant… Faire en sorte qu’il ne s’en foute plus.

Tout comme la rencontre avec mon frère et sa copine parce que je sentais que j’allais avoir besoin de leur aide et peut-être plus tôt que prévu, en espérant que le jeune couple accepte de me filer un coup de main avec le jeune Grant… Parce que c’était très bien d’être tuteur, mais fallait bien que je travaille pour subvenir à nos besoin et je me voyais mal trimballer le petit en patrouille.

J’emmenai ensuite l’enfant à la découverte de sa nouvelle chambre et ne manquai pas de lui désignai fièrement mon frère sur le poster de BleedingHeart… Seulement, j’avais face à moi un petit fan de The Burning Fire qui ne manqua pas de le souligner tout en rangeant minutieusement ses affaires. Ses comics, ses crayons, ses carnets.

-J’ai aussi les disques de The Burning Fire, si tu veux… Je les ai même en double en cassettes. Je pourrais te donner les cassettes et un transistor pour les lire ou quand tu veux écouter la radio dans ta chambre.

Je lui souris alors qu’il s’installait sur son lit, et ouvris un comics en déclarant qu’il ne mangerait pas dans sa chambre et qu’il n’aimait que les pizzas.

-Bonne nouvelle… Je mange très souvent des pizzas… Mais tu verras, le tex-mex c’est aussi très bon, on essayera un de ces quatre.

Je m’éloignai de sa chambre.

-Je vais te chercher mes comics pour compléter ta collection. Bienvenue à Los Angeles, Grant.

@ Billy Lighter