-Billy… Je peux rentrer maintenant ?

J’ignorais complètement la demande de Doyle, l’ingénieur du son que j’avais réveillé au beau milieu de la nuit pour venir ici, dans les studios. Je m’étais réveillé en sueur, troublé par divers cauchemar mélangeant passé, présent et futur. Mon passé dans l’Indiana, mon présent vide avec April et un futur froid où The Lightening n’existait plus.

Mais il fallait que ça existe. Alors, j’avais prévenu April que je devais enregistré. Je l’avais, donc, abandonné à Malibu pour venir ici après avoir appelé Doyle.

Et Doyle se plaignait désormais. Mais je n’en avais cure. Je savais qu’il allait rester jusqu’au bout vu la somme que je lui avais proposé en échange de ce service.

Il fallait que j’enregistre pour que The Lightening existe. Il fallait que je sorte la noirceur qu’il y avait à l’intérieur de moi pour ne pas l’envoyer sur April. Parce que ces derniers temps, j’avais du mal à résister.

Et j’avais mal.

Alors, il fallait me purifier et le seul moyen, c’était de chanter.


-We all come in from the cold
We come down from the wire
An everybody warms themselves
To a different fire
When sometimes we get burned
You'd think sometime we'd learn
The one you love is the one
That should take you higher
You ain't got no one
You better go back out and find her

Je m’arrêtai après ce couplet que j’avais déjà répété des centaines de fois depuis mon arrivée ici vers 1h du matin. Je la chantais chaque fois sur un mélodie différente sans jamais être satisfait. Mais cette fois, je pensais bien avoir trouvé… J’allais, donc, continuer mais Doyle m’arrêta encore.

-Il est 10h du matin, Billy…

Je le foudroyai du regard mais ne dis rien… Comme si la création avait des heures fixes. Quand l’inspiration arrive, je ne dois pas lâcher.

Je me raclai la gorge prenant, en main, la bouteille de gin qui était à mes pieds. J’en bus une grosse gorgée. Je ne buvais que ça depuis tout à l’heure, petite gorgée par petite gorgée.

Puis, je me remis à chanter de la même manière. April inspirait mes paroles mais aussi mes cauchemars. Et quand ces émotions revinrent à mon esprits, je chantai en fermant les yeux et avec plus d’ardeur.

-When I look around
Everybody always brings me down
Well is it them or me
Well I just can't see
But there ain't no peace to found
But if someone really cared
Well they'd take the time to spare
A moment to try and understand
Another one's despair
Remember in this game we call life
That no one said it's fair

-Billy…

Ferme-là. C’est ce que je pensais sans plus ouvrir les yeux sans me préoccuper de ce qu’il y avait autour. Il fallait que j’oublie tout… Il fallait que je sorte cette chanson dont la mélodie n’était que dictée par ma voix. Mais j’arrivais à imaginer la guitare de Cash comme s’il était dans la pièce à jouer.

Même s’il n’était pas là.

-I've come to know the cold
I think of it as home
When there ain't enough of me
To go around
I'd rather be left alone
But if I call you out of habit
I'm out of love and I gotta have it
Would you give it to me
If I fit you needs
Like when we both knew we had it
But now the damage's done
And we're back out on the run
Fun how ev'rything was roses
When we held on to the guns
Just because you're winnin'
Don't mean you're the lucky ones

Je chantais et plus je chantais plus ça ébranlait mes certitudes quant à savoir à qui étaient vraiment destinés ces lyrics.

@ Billy Lighter

Il fallait que je joue… J’avais laissé Savannah dans mon lit, ne la réveillant pas. Mais je m’étais réveillé avec la boule au ventre et le besoin de créer. Je n’avais pas pleuré même en apprenant l’état de Savannah.

C’était ma guitare qui devait pleurer.

Je m’étais donc levé, avait enfilé mon pantalon de cuir et ma veste sous laquelle j’étais torse nu.

J’avais embrassé Savannah sur le front en lui disant qu’elle pouvait encore dormir, profiter de la salle de bain et que si elle me cherchait, je serais aux studios MTI.

Je pris la CRX et roulai à tombeau ouvert. Après tout, Savannah allait mourir et il y avait de courts instant où je me disais : « A quoi bon ? »

Je comprenais ce que ressentais Billy, pour l’instant… Et ça faisait mal, très mal. Je devrais être moins exigeant avec lui… Plus compréhensif, même s’il ralentissait le groupe.

J’arrivai quand même en vie aux studios et directement, je reconnu la voix étouffée de mon chanteur. Je suivis sa voix comme si j’avais vu ses mots flotter dans l’air et que je les suivais.

J’entrai dans le studio.

-Salut Doyle…

C’est tout ce que je dis au roadie qui râla alors que je prenais une bouteille de Jack Daniel’s qui traînait.

-Oh non ! Dites-moi que c’est pas vrai ! Vous allez pas vous y mettre à deux ! On vous croit disparu depuis des mois puis vous réapparaissez à pas d’heure !

Je haussai les épaules, pris ma bouteille et l’emportait de l’autre côté. J’entrai en silence dans la partie studio proprement dite et Billy ne me vis pas. Il chantait les yeux fermés et moi, je savais déjà quelle mélodie jouer.

Je bus un grand coup à ma bouteille puis pris ma guitare que je branchai.

Puis je me mis à jouer, sur la voix de mon chanteur. C’était une chanson triste, qui me parlait à mort en ce moment où je savais que les jours de mon amante était comptés.

Parce que 10 ans, c’est peu… Trop peu.

Quand Billy eu finit de chanter et rouvrit les yeux, je fis glisser ma guitare dans mon dos et vins étreindre mon chanteur et meilleur ami malgré tout.

Et là, mes larmes coulèrent…

-Il faut qu’on crée, Billy… Il faut qu’on crée avant de mourir. Parce que la vie est trop courte. Il faut la vivre à fond !

@ Billy Lighter

J’étais concentré sur mes paroles, sur ce qu’elles représentaient pour moi… Au point où je n’avais pas entendu Cash entrer dans la pièce. Même si je sentis bien que l’ambiance de la pièce avait changé. Tout était devenu plus facile… Plus intense aussi.

Puis à mes paroles s’ajoutèrent, comme par magie, la mélodie de Cash. Son jeu de guitare était reconnaissable entre mille. Personne ne jouait comme lui. Et je savais depuis la première fois que j’avais entendu chanter sa guitare, que, sans lui, je ne pourrais jamais continuer à créer.

Je sortais mes paroles avec plus d’ardeur, les yeux toujours fermés. Je sentais une grande mélancolie dans la mélodie de Cash. Comme d’habitude, il avait tout de suite compris tout ce que je voulais dire. Comme si, en plus de partager un groupe, on partageait aussi, à cet instant, les exactes mêmes émotions.

Pourtant, rare étaient les moments où on était synchronisés… Rare était les moments où, en se parlant, on se comprenait et on arrivait à un accord. Je vivais mes émotions bien trop fort… Il fuyait les siennes. Cette différence nous séparait constamment.

Quand le chanson fut terminé, j’ouvris doucement les yeux me tournant doucement vers Cash. Il s’approcha alors de moi venant m’étreindre. Je le serrai contre moi sentent très vite ses larmes chaudes couler sur mon épaule.

Il souffrait. Et si ma souffrance était constante mais modérée depuis quelques temps, la sienne était intense. Très intense.

Je le sentais.

Il clamait qu’il fallait qu’on crée avant de mourir. Tout ça me fit frissonner. Avant de mourir ? Aucun de nous n’allait mourir demain. Sauf si on poussait le destin.

Je le fis se redressé pour capter son regard espérant ne pas y voir un indice qui me disait qu’il allait, effectivement, mourir bientôt. Parce que si c’était le cas, j’allais mourir aussi.

Mais je ne vis, dans son regard, qu’une infinie tristesse.

-On ne va pas mourir tout de suite.

Je dis ça d’une voix calme sans pouvoir promettre que c’était vrai.

-Qu’est-ce qu’il se passe, Cash ?

Sa tristesse était communicative et si la chanson m’avait clamé, d’un seul coup, je ressentis une vague d’inquiétude. Ce qui fit trembler ma voix.

-Tu ne vas pas mourir, j’espère ?

Il ne pouvait pas me faire ça.

@ Billy Lighter

La chanson avait grimpé en intensité et à ce moment, les astres étaient alignés. Billy et moi étions parfaitement synchronisés, ce qui n’arrivait que très rarement. Mais c’était un de ces moments où la magie opérait, parce qu’on ressentait la même chose tous les deux, dans nos vies respectives.

Je jouais, me cambrant en arrière la gorge serrée. Heureusement que je n’étais pas chanteur. C’était un des dons de Billy : même submergé par ses propres émotions, sa gorge ne se serrait pas. Elle faisait même plutôt l’inverse, se déployant pour déverser tous les sentiments tels que la tristesse, la peur, l’angoisse, la haine…

Mais très peu souvent la joie.

Quand ce fut fini, je ne pus me retenir d’aller le serrer dans mes bras. J’avais besoin de mon ami, et il avait certainement besoin de moi aussi.

Je le sentis me serrer en retour et ça me réconforta, même si je pleurais. Ça ne m’arrivait pas souvent de pleurer… En générale, je me réfugiais dans la drogue et l’alcool pour anesthésier mes sentiments, pour me sentir tout-puissant.

Mais là, j’étais certes saoul, mais je n’avais pas osé me piquer de peur de choper la même saloperie que Savannah… Pourtant, mes seringues étaient à moi et à moi seul. Mais c’était devenu comme une psychose, tout comme lui faire l’amour, même si j’en avais très envie, avait maintenant quelque chose de mécanique qui rendait notre fusion moins magique.

Alors, mes larmes s’écrasant contre la manche du t-shirt de Billy, je lui dis… Je lui dis qu’on ne pouvait plus stagner comme ça. Qu’il fallait qu’on crée parce qu’on ne sait jamais. Avec notre mode de vie, la Mort était toujours à nos trousses.

Billy m’écarta et me dit comme s’il s’agissait d’une promesse, qu’on allait pas mourir tout de suite.

Je séchai mes larmes du revers du bras.

-On en sait rien ! Il y a une saloperie de maladie qui coure dans L.A., qui la gangrène. Tout le monde peut l’avoir. Ça se transmet par le sang.

Et, avec toute l’inquiétude du monde dans les yeux, Billy me demanda si j’allais mourir…

-Non, je ne vais pas mourir. J’ai fait un test, je n’ai pas cette maladie qu’on appelle le SIDA.

Ma gorge se serra très fort… J’allais reprendre ma bouteille de Jack et en pris une bonne lampée.

-Mais Savannah l’a… Et elle va mourir… Le docteur lui donne 10 ans, 15 ans max… C’est trop jeune pour mourir…

Je regardai Billy dans les yeux.

-Je lui ai prêté le serment de la soutenir jusqu’à la Mort… Mais si j’ai beaucoup de mal à l’idée de perdre Savannah, qu’elle soit mon amante ou pas. Je ne pourrai vivre si toi tu devais mourir de cette saloperie ou d’autre chose.

J’eus un vague sourire.

-Après tout, on a encore beaucoup de choses à dire. Alors si on s’y mettait ? Si on faisait un album ?

@ Billy Lighter

Cash pleurait et alors qu’il pleurait, mon cœur se serra. Il était rare que Cash montre autant d’émotions. D’habitude seule sa guitare laissait transparaitre ce qu’il ressentait alors que, moi, c’était tout le contraire. Mes émotions débordaient de partout et je les exprimaient par des paroles, des pleurs, des cris, des éclats de colère.

Cash sentait l’alcool tout comme moi. Lui c’était le whisky, moi le gin. Mais quand il parla de la mort qui pouvait arriver à n’importe quel moment et qu’on devait se dépêché de créer avant que tout ça n’arrive, je ne pus m’empêcher de d’abord m’inquiéter avant d’essayer de me montrer fort en promettant à Cash qu’on allait pas mourir tout de suite.

Je fixai le regard de Cash qui, après cette promesse, déclara qu’on en savait rien. Il me parla d’une maladie qui courait à L.A.. Je plissai des yeux ne pouvant m’empêcher d’imaginer dans ma tête une serpent rouge zigzaguer à travers les ruelles sombres de Los Angeles prêt à attaquer n’importe qui, n’importe quand.

J’en frissonnai.

-Une maladie ?

On ne m’avait pas prévenu ! Il faut dire que lors de ma réclusion, rare était les moments où j’avais allumés la télévision. Je voulais me couper du monde. Mais il semblait que le monde avait changé. Et il était devenu plus dangereux que jamais. Dangereux au point de faire pleurer Cash.

Cash que je pensais bien qu’il allait me dire qu’il était malade… Mais il déclara qu’il n’allait pas mourir, qu’il ne souffrait pas du SIDA. Ce mot… Je croyais bien l’avoir déjà entendu sans y avoir réellement prêté attention.

Il aurait peut-être fallu.

-Alors, si tu ne vas pas mourir, qu’est-ce qu’il se passe ?

Ce qu’il se passait c’était que Savannah était malade, elle… Savannah que j’avais vu au bras de Cash aux AMA. Savannah que j’avais largement ignorer ce jour-là car j’avais eu l’impression qu’elle éloignait Cash de moi.

Savannah qui, maintenant, allait mourir… Il ne lui restait que 10 à 15 ans de vie. Et je me sentais coupable… Parce que, aux AMA, intérieurement, j’avais voulu qu’elle disparaisse.

Je déglutis.

-Elle va mourir… Non ! Ce n’est pas possible… Il n’y a aucun traitement ? Je peux payer… Je peux essayer de lui trouver un traitement miracle. On peut aller chercher dans tous les pays !

Je me sentais coupable et je voulais réparer ça. Ma voix se brisait alors qu’une voix dans ma tête me narguais disant que je ne faisais que récolter ce que j’avais semé.

Je secouai la tête faisant disparaitre tout ça alors que Cash disait qu’il avait prêté serment à Savannah. Qu’il allait la soutenir. Et la suite fit battre mon cœur plus vite. Il ne voulait pas que je meurs… Est-ce que j’avais le SIDA ?

Il faudra que je le sache !

Et je soufflai, alors :

-Je ne vais pas mourir…

Je n’en savais rien… Peut-être que j’allais mourir… Tout dépendait de beaucoup de choses. Beaucoup trop de choses. Mais je n’en dis rien à Cash qui disait qu’on avait encore beaucoup de choses à dire.

Il voulait faire un album.

Je voulais aller sur les routes pour fuir le serpent rouge de L.A..

Je le fixai avec, désormais, un regard déterminé.

-Oui ! Faisons cet album. On partira en tournée. On laissera L.A. derrière. Parce que, apparemment, L.A. nous a abandonné encore une fois. Elle nous retire petit à petit tout ce qu’elle nous a donné. Il faut qu’on reprenne le contrôle.

Il faut que je reprenne le contrôle… Celui que je perds quand je suis face à April.

-L’album sortira vite.

Je dis ça en sortant de ma poche arrière le petit carnet qui contenait toutes les chansons que j’avais écrite pendant ma réclusion.

-Lis… Lis-les toutes.

Il y avait de tout là-dedans.

-The Burning Fire, The Warriors, Fireworks, Roadtramp… Ils verront que c’est nous qui sommes les meilleurs.

Oui. Il le verront.

@ Billy Lighter

Je cessai de pleurer, mais ma gorge était serrée quand je racontai à Billy ce qu’il se passait. Apparemment, il n’avait pas entendu parler de cette saloperie de maladie qui courait à L.A., une maladie qui ne se contentait pas des homosexuels et des drogués… Elle pouvait toucher tout le monde, surtout ceux qui menaient une vie dissolue comme nous.

Mais j’affirmai, pour le rassurer, que je n’étais pas malade, que j’avais été testé et que j’allais bien.

-Je vais même très très bien pour un junkie.

Il demanda ce qu’il se passait alors, ce qui pouvait me mettre dans un état pareil… Alors je lui expliquai pour Savannah. Et là, je vis un éclair de culpabilité traverser les yeux de mon chanteur. Je posai ma main sur ton épaule.

-Je sais ce que tu penses de Savannah. Mais tu n’y es pour rien. Tout comme je n’apprécie pas April mais je n’y suis pour rien dans son anorexie.

Billy était prêt à payer pour un traitement, pour la recherche… Je pinçai les lèvres.

-Le Dr. Spencer nous a dit qu’il n’y aurait pas de remède avant longtemps. Mais j’ai déjà donné un chèque à une association qui aide la recherche contre cette maladie. Tu pourrais le faire aussi mais c’est tout ce qu’on peut faire.

Je ne voulais pas que Billy meurt aussi. Et il m’affirma qu’il n’allait pas mourir. C’était qu’il était dans une bonne phase, parce que sa bipolarité le mettait parfois au bord du gouffre.

Tout ce qu’on avait à faire, maintenant, c’était montrer qu’on était toujours vivants ! Qu’on le serait encore pour des années ! Savannah ne voudrait pas que je passe mon temps à me morfondre alors qu’elle-même était en pleine création… Elle était en train de créer son chant du cygne…

Le dernier chant avant la mort.

Billy était d’accord pour qu’on s’y remette, qu’on fasse un album, qu’on parte en tournée. Et je retrouvai le sourire.

Il sortit un petit livre de sa poche et me le tendis en disant de tout lire.

C’était ses chansons, et il y en avait beaucoup.

-D’accord ! Il y a de quoi faire une dizaine d’album là-dedans.

On allait mettre une raclée à tous les groupes en vogue, montrer qu’on était toujours là…

Je m’assis sur un ampli et ouvris le petit livre... Puis je tapotai une place à côté de moi…

-Viens… Tu me les fredonnes ?

The Lightening était reparti… Et ensemble, on tiendrait bon, pour Savannah et tous les malades de cette saloperie de SIDA.

@ Billy Lighter