Comment j’étais arrivé jusqu’ici ? L’horloge de la voiture indiquait 8 :32… Mais mon monde s’était arrêté vers 6 :00 du matin, quand les flics avaient frappé à ma porte. Ils ne m’avaient pas réveillé, pour la simple et bonne raison que je n’avais pas été dormir.

J’avais dit à Bailey que je l’attendrais… Et plus j’avais attendu, plus j’avais commencé à m’inquiéter. Certes, je lui avais dit de s’amuser, de profiter à fond de sa première heure de gloire à son premier vrai défilé… En plus, elles étaient entre filles, avec Tiffany Quinn et Sydney Grey qui devait couvrir l’événement pour la radio.

Mais bon… Passé 3 :30 du matin, je m’étais dit que c’était déconner… Et surtout, ce que n’était pas du genre de Bailey de rentrer si tard.

Alors je m’étais rongé les sangs devant la télé qui diffusait la mire.

Et quand la sonnette avait retenti dans la villa plutôt que simplement la clé dans la serrure, j’avais déjà compris. J’avais compris avant même de voir les deux gars en uniforme sur le pas de ma porte.

Comme si je l’avais senti.

Je l’avais senti.

Je savais que quelque chose n’allait pas. Que ça avait merdé. Mais je ne savais pas à quel point.

Et il m’avait suffi de voir les flics, avant même qu’ils n’ouvrent la bouche, pour ressentir un grand vertige et me rattraper au chambranle de la porte, les deux flics se précipitant vers moi pour me rattraper au vol.

Quand ils m’eurent assis dans mon salon, ils prononcèrent les mots que je m’attendais à entendre… Mais se faire des films particulièrement réaliste n’aidait pas pour autant à encaisser mieux la nouvelle.

Bailey était morte. Elle n’était plus.

Le reste des paroles des flics qui m’expliquaient ce qui allait ensuite se passer n’était qu’un melting-pot de sons sourds. Comme si j’avais eu les oreilles bouchées et sifflantes.

Puis ils étaient partis avec quelques dernières condoléances.

Alors comment je m’étais retrouvé dans ma voiture, à Hollywood, vers 8 :32 du matin avec mes deux filles en pyjama à l’arrière ?

Je m’en rappelais plus. J’avais dû faire un tas de trucs, pourtant.

Et je me retrouvai devant chez Robin.

Jusque-là, je n’avais pas versé une seule larme. Pas une seule. J’étais dans une transe entre la réalité et un autre monde où Bailey était encore hypothétiquement vivante.

-Hope… Ne bouge pas… Papa vient te chercher.

Je fis le tour de la voiture, pris le siège-auto d’Haley et allai sonner à la porte de l’appartement de mon neveu et filleul.

Je ne savais pas quelle tête j’avais, mais en réalité, j’avais les traits tirés par ma nuit blanche… Et par un chagrin qui n’arrivait pas à sortir.

Quand Robin vint m’ouvrir, je déclarai comme un automate :

-Salut, Robin. Bailey est morte… Tu peux m’aider et prendre le siège auto d’Haley ? Je vais chercher Hope dans la voiture…

Ça faisait deux jours que je vivais à nouveau seul. Sloan et moi, nous nous étions séparés. C’était le meilleur choix pour nous deux. Nos disputes devenaient bien trop fréquentes notamment sur notre carrière.

Tout avait commencé avec des divergence sur la prochaine saison de la sitcom. Si on était plus ou moins d’accord sur le scénario, c’était moins le cas concernant les guests. Je voulais faire revenir des valeurs sûres comme Ricci, par exemple, qui gérait plus ou moins bien son rôle… Par contre, j’hésitais à faire revenir Jesse. Je ne trouvais pas qu’il manquait de talent mais je remarque que les tournages ce n’est pas fait pour lui. Il est vite dissipé et se fatigue très vite ce qui n’est ni agréable pour lui, ni pour nous. Ça faisait que ses prestations étaient inégales. Sloan voulait, elle, faire revenir l’enfant mais j’étais extrêmement réticent vis-à-vis de ça. On pouvait me trouver sans cœur mais je voulais relever un peu le niveau de l’acting pour la nouvelle saison…

Sloan avait aussi voulu faire venir d’autres guests comme Livia par exemple. Mais j’avais à cœur de promouvoir les talents vivant à L.A. et Livia était désormais à New York… Et sa réputation ne me donnait pas nécessairement envie de bosser avec elle… On avait déjà Ian à gérer…

Enfin… On avait Ian… Avant… Parce qu’il m’a téléphoné fin du mois dernier pour me dire qu’il ne ferait pas partie de la saison 3. Un choix que j’avais respecté. C’était sa carrière et je comprenais que l’attente était devenue trop longue pour lui. Qu’il voulait faire d’autres choses étant donné qu’il avait, désormais, 15 ans. J’étais passé par la même phase que lui et j’avais respecté ça…

Ce changement avait alors posé un autre problème : remplacer Ian ou bien le sortir du scénario. Là encore, Sloan et moi n’étions pas sur la même longueur d’onde…

D’où les nombreuses disputes… Des disputes qui ont finit par déborder au-delà du travail. On était même plus d’accord sur la répartition des tâches à la maison et sur d’autres petites choses. Tant de choses qui ont fini par venir à bout de notre couple.

Je vivais, donc, désormais, seul… Et… Sincèrement ? Je vivais mieux. Surtout que notre séparation avait, aussi, mis fin à la sitcom me laissant sans projet mais avec plein d’idées en tête.

Et, ce matin, peu après m’être levé, j’avais commencé à écrire toutes mes idées. J’avais aimé mon expérience en tant que réalisateur et je voulais, à nouveau, la reproduire. Pour ça, il me fallait un projet solide et ce n’était pas l’envie qui manquait de me dépasser.

Alors que j’étais en train d’écrire, j’entendis la sonnette de l’appartement retenir… Je levai un sourcil. Qui pouvait bien venir ici à un peu plus de 8h30 ?

Je me levai de ma chaise pour aller ouvrir et je me retrouvai devant un Hank hagard qui tenait le siège auto contenant sa fille, Haley…

-Hank ?

Je ne m’attendais pas à sa visite. D’habitude, il était du genre à prévenir quand il venait. Mais là, ce n’était pas le cas. Et avant même qu’il n’ouvre la bouche, je sus que quelque chose de grave c’était passé.

Mon cœur se mit à battre plus vite et quand Hank annonça comme ça, en mode automatique, que Bailey était morte, j’ouvris de grand yeux.

-Quoi ?! Non… C’est pas possible !

J’étais horrifié par la nouvelle et avant même que je ne percute, Hank demanda de l’aider avec Haley pendant qu’il allait chercher Hope dans sa voiture.

-D’accord…

Je pris le siège auto d’Haley me sentant trembler un peu. Je rentrai dans mon appartement déposant le siège sur le sol près du fauteuil. Je sentis mes larmes couler le long de mes joues. Mais je ne m’écroulai pas… J’étais encore sous le choc et je savais que je devais rester fort pour Hank qui devait être dévasté.

Quand il revint avant Hope, je l’invitai à prendre place dans le fauteuil après avoir essuyer mes larmes.

-Viens… Assieds-toi… Explique-moi ce qu’il s’est passé… Qu’est-ce qui est arrivé ?

Ma voix était légèrement tremblante mais j’essayais de rester le plus calme possible. J’avais pris place à ses côtés au cas où il s’écroulerait.

Je m’étais donc rendu chez Robin. Comment et quand exactement en avais-je pris la décision, je n’en avais aucune idée. Je ne me souvenais même pas du trajet jusqu’ici. D’ailleurs, en roulant, je n’avais pas mi la radio ni glissé une cassette dans l’autoradio.

Les filles, elles, s’étaient toutes les deux rendormies, innocentes, dans un silence pesant qui, à lui seul suffisait à identifier que si le tableau était calme, quelque chose de grave se cachait derrière…

J’étais toujours à moitié inconscient quand Robin s’était présenté à sa porte et que je lui avais annoncé la nouvelle comme si je lui avais dit que j’allais aller nous chercher des donuts pour le déjeuner.

Robin, lui, ne partit pas dans cet espèce de no man’s land mental où je m’étais réfugié pour me protéger. Il s’était exclamé que c’était impossible.

Et ma seule réponse avait été un haussement d’épaule impuissant et dépité.

Il prit le siège d’Haley comme je lui avais demandé et je retournai à la voiture. Quand je pris Hope dans mes bras, elle se réveilla mollement…

-Maman ?

D’une voix toujours aussi monocorde, je lui annonçai.

-Maman est partie, Hope.

Et elle ne reviendrait pas. Jamais. C’était un fait.

Un fait que j’avais accepté avant même d’accepter mon chagrin. J’étais en train, sans m’en rendre compte, de tout faire dans le désordre.

Hope, encore trop jeune pour comprendre que dans ce contexte, « partie » voulait dire « morte », ne demanda pas son reste… Dans ma tête, c’était comme si elle aussi acceptait l’inacceptable.

Je rentrai chez Robin qui m’attendait dans le salon, deux sillons de larmes sous les yeux. Des larmes qui chez moi, n’avaient pas encore coulé et ne couleraient peut-être jamais. C’était l’impression que j’avais.

Il m’invita à m’asseoir, ce que je fis, sentant le corps d’Hope se rendormir contre moi, sa petite tête ballotant contre mon épaule. Robin était tout près de moi, comme s’il s’attendait à ce que je m’effondre.

-Il y a eu un accident de voiture. Tiffany Quinn conduisait pour rentrer après le défiler… Sydney Grey, la journaliste, était aussi dans la voiture.

Je haussai les épaules doucement pour ne pas réveiller Hope.

-Elles sont mortes toutes les trois sur le coup. Je vais voir le corps cet après-midi.

Est-ce que c’était à ce moment-là que j’allais craquer ? Au moment de l’enterrement ? Dans un mois ? Dans dix ans ? Je ne savais pas, mais pour l’instant, rien ne sortait. J’étais dans un endroit de mon cerveau où j’avais monté des murs tellement épais et tellement haut que rien ne pouvait m’atteindre.

-Et toi, ça roule ?

La nouvelle venait de me frapper comme une baffe en plein figure alors qu’Hank venait de m’annoncer la mort de sa femme comme s’il me disait le temps qu’il fait dehors. Il semblait être comme un robot qui fait des actions les unes après les autres sans émotion aucun.

Il m’avait laissé Haley qui dormait dans son siège auto alors qu’il s’en était allé chercher son autre fille, Hope. Moi, j’étais rentré dans le salon pour déposer ma filleule encaissant le choc que je venais d’avoir. Mais ce qui m’inquiétait le plus c’était l’état d’Hank. Je n’osais pas imaginé ce qui était en train de se passer dans sa tête.

Il rentra dans mon appartement avec sa fille sur les bras. Il s’installa sur un fauteuil et je vins m’asseoir à ses côtés alors qu’Hope ne tarda pas à s’endormir sur lui. Elle ne devait sans doute pas se rendre compte de ce qu’il s’était passé. Elle ignorait certainement qu’elle ne reverra jamais sa mère.

J’avais essuyé mes larmes silencieuses. Hank, lui, ne pleurait pas. Il semblait réellement comme un automate. Comme s’il était en pilote automatique. Il était complètement ailleurs, le regard complètement vide. Et plus je le voyais plus je m’inquiétais pour lui.

J’avais demandé à avoir plus d’information sur ce qu’il m’avait balancé et il ne tarda pas à m’en donner. C’est un accident de voiture qui avait tué Bailey mais, aussi, Tiffany Quinn, la musicienne de The Warriors et Sydney Grey, la journaliste dont j’avais fait la connaissance au mariage de Ricci. Je déglutis devant l’ampleur du drame.

-C’est horrible…

C’est ce que je soufflai alors qu’Hank ajouta qu’elles étaient toutes mortes sur le coup et qu’il devait aller voir le corps cet après-midi. Il avait toujours un ton monocorde comme s’il était bloqué dans un partie de son cerveau.

-Je… Je suis vraiment désolé Hank… C’est… J’arrive pas à imaginer ce que tu dois vivre…

Je n’avais pas les mots. J’étais choqué. Bailey était une femme pleine de vie et de projets. Sa carrière de styliste était sur le point de prendre une nouvelle envergure et sa vie venait de prendre fin d’un coup… Comme ça… Sans raison…

Je ne m’attendis pas à ce que Hank me demanda, comme si de rien n’était et comme s’il venait de dire n’était qu’une petite nouvelle parmi d’autres, comment moi j’allais. Déstabilisé, je répondis…

-Et bien… Heu… Sloan et moi on s’est séparé il y a deux jours… Ça n’allait plus entre nous et on a préféré se séparer mais…

Mais ça semblait si anecdotique par rapport à ce que vivait Hank que je secouai la tête.

-Mais ça n’a pas d’importance… Mais toi… Tu dois être dévasté, Hank. Tu n’as encore rien dit aux filles ? J’imagine qu’à leur âge, ça doit être difficile de leur expliquer… Tu es obligé d’aller voir le corps pour l’identifier, c’est ça ?

Parce que ça devait être une sacrée épreuve… Une épreuve qui, pour l’instant, ne semblait pas le troubler. A vrai dire, rien ne semblait le troubler mais ce n’était par normal. M’est d’avis que Hank avait du mal à passer le choc. Qu’il était bloqué et ça m’inquiétait.

J’avais fini par entrer chez Robin avec Hope dans les bras, en train de somnoler. Robin semblait choqué et même triste puisque des larmes avaient coulé sur ses joues. Je pouvais en voir les sillons. Pourquoi moi, je ne pleurais pas ?

Ça m’était déjà arrivé, comme pour nourrir ma propre anxiété, d’imaginer des scénarios où tout irait mal… Où je perdrais Bailey ou l’une de mes filles dans ce genre d’accident… Et chaque fois que je l’avais fait, je m’étais imaginé dévasté, incapable de m’arrêter de pleurer, incapable même de me tenir debout.

Et maintenant que j’étais dans le cas…

Rien.

Est-ce que je n’avais pas assez aimé Bailey pour la pleurer ?

Est-ce que je m’étais tellement fait de films que maintenant que ça arrivait, j’étais préparé ?

Ou est-ce que j’étais tout simplement bloqué ?

Je n’avais pas la réponse parce que là tout de suite, j’étais incapable d’introspection. Ma vie intérieure n’existait plus. Mon cerveau ne me faisait que marcher, conduire, porter les filles… Bref, tout ce qui était « externe »…

Robin disait qu’il ne pouvait pas imaginer ce que je devais être en train de vivre.

-C’est… une sensation très bizarre… C’est comme si… Il y a un vide mais… Voilà, c’est comme ça.

Là-dessus, je demandai de ses nouvelles à Robin,, comme si ce qui m’était arrivé, c’était que j’avais marché sur une crotte de chien entre ma voiture et l’entrée de l’appartement. Rien de plus grave que ça.

Parce que je ne me rendais plus compte. Quelque chose ne voulait pas se rendre compte. Je me protégeais, sans le vouloir.

J’appris alors que Sloan et Robin, c’était fini depuis deux jours. Je frottai doucement le dos de ma fille endormie dans les bras.

-Han… je suis désolé, Robin… J’aurais souhaité que ton couple marche… Mais il y a apparemment des choses qui se passent… Et qu’on ne peut éviter.

J’avais toujours un ton monocorde… Moi qui m’énervait pour une oui ou pour un non, ça devait faire bizarre à Robin de me voir dans cet était de « calme » complètement anormal.

Robin disait que sa rupture n’avait pas d’importance et recadra la conversation sur moi et sur mon deuil. Il disait que je devais être dévasté.

-Ouais, je devrais. J’ai imaginé ça un milliard de fois… Peut-être que… du coup… j’ai l’habitude. Je me suis préparé.

C’était probablement exagéré, ce que je disais.

-Et j’ai dit aux filles, « maman est partie », « maman est morte » mais…

Mais comme je n’y croyais pas moi-même, les filles n’avaient pas du percuter. D’autant qu’elles étaient encore un peu jeunes pour comprendre le concept de la mort.

Quant à aller voir le corps…

-C’est moins pour l’identifier que parce que les policiers m’ont dit que ça pourrait m’aider de lui dire au revoir. Elle avait tous ses papiers sur elle. Il n’y a aucun doute sur son identité.

Je regardai Robin dans les yeux pour la première fois depuis que j’étais entré mais toujours aucune larme, aucun trémolo dans ma voix.

-J’étais venu voir si tu voudrais bien garder les filles le temps que je fasse ça.

Hank avait toujours la même expression neutre figée sur son visage. Son ton était tout aussi neutre. J’ignorais ce qu’on pouvait ressentir dans son cas… Je n’avais jamais subi pareil deuil. Jusqu’ici, ce qui m’avait le plus choqué était la fausse couche d’une de mes ex-petite amie.

Mais là… Apprendre la mort de Bailey alors qu’elle était encore jeune, c’était horrible. Ça l’était déjà pour moi alors je n’osais pas imaginer ce que ça faisait à Hank.

Il affirma que c’était une sensation bizarre… Qu’il y avait comme un vide mais que c’était comme ça. Il disait ça d’une façon détachée mais m’est d’avis que le choc y était pour quelque chose.

-C’est comme ça…

C’est ce que je soufflai assez troublé par l’attitude d’Hank. Je m’attendais à ce qu’il soit effondré mais c’était tout autre chose que je voyais devant moi. J’ignorais si c’était une réaction normal à une telle nouvelle. C’était fort possible. Comme si le cerveau d’Hank essayait de se protéger de l’inévitable.

Ce fut d’autant plus flagrant quand il me demanda des nouvelles comme si l’autre sujet était clos. Je lui parlai de ma rupture sans entrer dans les détails. Ma rupture était loin d’être ce qu’il y avait de plus important aujourd’hui. Mais Hank y réagit tout de même d’un ton toujours monocorde. Il se disait désolé avant de dire qu’il y avait des choses qui se passaient et qu’on ne pouvait éviter. Je savais que, dans ce cas, il ne parlait pas uniquement de mon couple…

-Ouais… On ne voulait pas la même chose elle et moi que ça soit dans le boulot qu’en dehors. Donc, c’était mieux de se séparer.

C’était plus respectueux l’un envers l’autre mais, là tout de suite, tout ça n’avait pas vraiment d’importance. Je recentrai, donc, la conversation sur la chose la plus importante : le décès prématuré de Bailey. Hank avoua que, en effet, il devrait être dévasté. Il disait avoir imaginé ça des milliers de fois… Je le savais très anxieux, toujours à se faire des films horribles sur ce qu’il pourrait se passé. Il pensait que cette habitude faisait qu’il était préparé à ce qu’il s’était passé aujourd’hui. Je secouai la tête.

-Je crois que même si on peut parfois se faire un tas de film, ça ne nous prépare pas pour tant à ça… Rien ne peut préparer personne à ça, Hank…

Il disait avoir dit à ses filles que leur mère était morte et ça de diverses manières… Je regardais Haley et Hope qui dormaient paisiblement. Haley était encore petite. Je doutais qu’elle comprenne… Mais Hope, elle, pouvait comprendre mais ne semblait pas, vu son attitude, avoir compris ce qu’il se passait. Du moins, c’est ce que je pensais en les voyant toutes les deux.

-Mais elles n’ont pas réalisé, c’est ça ? Du moins Hope… Haley, est encore petite…

Il m’avait dit qu’il devait aller voir le corps de Bailey cet après-midi. Apparemment, ce n’était pas tellement pour l’identification que pour permettre à Hank de dire au revoir à sa femme. Je déglutis. Ma gorge était serré car je commençais, moi aussi, à me rendre compte que Bailey ne reviendra jamais.

-Je… Je comprends. Ça pourra t’aider, peut-être…

Je n’en savais rien… Mais si les policiers le pensaient c’était sûrement que c’était le cas. Moi, j’aurais eu des réticence à aller voir le cadavre de quelqu’un que j’aime… Mais Hank semblait vouloir y aller.

Il disait être venu ici pour voir si je voulais bien garder les filles le temps qu’il faisait ça.

-Bien sûr. Je veux bien les garder aussi longtemps que tu voudras… Mais… Si tu veux que je vienne à ta villa le temps que vous aillez mieux, je peux aussi. Les prochaines jours vont être difficile. Il y aura l’enterrement et tout… Je peux rester chez toi tout ce temps là pour t’aider avec les filles.

Chez moi c’était trop petit mais je pouvais bien aller chez Hank le temps qu’il aille mieux. En réalité, je voulais qu’il accepte parce que je voyais bien qu’il était loin d’être dans son état normal. Et s’il venait à un moment à s’écrouler ? Il ne fallait pas qu’il reste seul.

-Si c’est trop dur pour toi, je pourrais, aussi, prévenir mon père et tout le reste de la famille… En tout cas, je suis là pour toi.

Ma voix tremblait parce que je vivais aussi mon propre deuil. Mais ça ne m’empêchait pas de garder la tête froide. Il fallait que je la garde froide pour aider mon oncle.

C’est comme ça.

Bailey était morte.

C’est comme ça.

On pouvait passer à autre chose alors. Une partie de moi le croyait et c’est pour ça que je demandai à Robin comment ça allait de son côté. Il avait rompu avec Sloan… Et à la limite, cette nouvelle me fit un rien plus d’effet que les deux types en uniforme qui étaient venu me dire que ma femme ne reviendrait jamais.

Robin m’expliqua qu’ils n’étaient plus sur la même longueur d’onde que ce soit dans le travail ou le reste.

-Alors ouais, fallait pas insister.

Puis Bailey revint sur le tapis… Comme si c’était un sujet qu’on ne pouvait éviter. Je pensais que les films que je m’étais faits tout au long de ma relation avec Bailey, des scénarios dans lesquels elle mourrait de toutes les façons possibles et imaginables m’avaient préparé à ce jour fatidique.

Mais je n’en étais pas sûr.

Il y avait un barrage quelque part. Mais quand celui-ci viendrait à céder, ce serait l’horreur.

Robin, lui, pensait que rien ne pouvait préparer à ce qui arrivait à ma famille. Parce que non, ça n’arrivait pas qu’à moi. Il y avait mes filles, mais aussi Robin lui-même, Christopher et Grace… C’était toute la famille qui vivrait cette tragédie. Pour toute réponse, je haussai des épaules impuissantes.

Il voulut savoir si j’avais expliqué à Hope et Haley ce qu’il se passait. Je le leur avait dit, mais on ne pouvait pas dire qu’un « maman est morte, elle ne reviendra pas » était une réelle explication pour des enfants qui n’avaient pas encore intégré le concept que toute vie a une fin.

Je tapotai le dos d’Hope, toujours appuyée sur mon épaule.

-Non… Je crois pas qu’elle réalise… Même si elle a demandé plusieurs fois après sa mère sur le trajet. Je crois qu’elle se rend compte que quelque chose n’est pas normal mais elle n’arrive pas à dire ce que c’est.

Toujours était-il que je ne réalisais pas beaucoup plus que mon aînée… Les policiers, voyant mon manque de réaction, m’avait dit d’aller voir le corps. Et j’allais le faire. Je ressentais le besoin de le faire. Sinon, tout ça me donnait l’impression d’être un très mauvais film.

-J’espère que ça aidera…

Bref, tout ça pour dire qu’il me fallait quelqu’un pour s’occuper des petites pendant que j’irais essayer de faire péter mon barrage mental à coup de dynamite. Parce qu’une part de moi réalisait bien que mon état n’était pas normal du tout dans ces circonstances.

Et Robin était bien sûr partant pour me les garder jusqu’à mon retour. Il voulait même bien venir à la villa partager notre deuil.

Je soupirai.

-Ouais, j’aimerais que tu viennes, merci.

Il proposa aussi de prévenir le reste de la famille, mais je lui fis le geste de ne pas se tracasser pour ça.

-Je le ferai… D’ici, si tu veux bien que je reste jusqu’à ce que je doive partir pour le Good Samaritan. Il faut que… que je m’occupe… annoncer la nouvelle m’occupera et peut-être qu’à force je… Enfin… je réagirai…

Je regardai ma main que je fermai et ouvris plusieurs fois devant mes yeux, comme si je n’étais pas sûr d’exister.

-Je suis… engourdi… Tu connais la chanson de Sniper, The Dream Is Gone ? Je me sens comme ça.

J’utilisai la même main pour frotter mon visage.

-T’aurais pas du café ? Je boirais bien un café… Puis je passerai les coups de fils.

Hank avait confirmé, toujours sur un ton neutre, que si Sloan et moi on était plus d’accord sur rien, il valait mieux ne pas insister… Sauf que c’était loin d’être le sujet le plus important du jour. La mort de Bailey me semblait être quelque chose de bien plus grave qu’une simple rupture.

Pourtant, c’est comme si Hank voulait éviter le sujet ou le trouvait très peu important. Il faut dire qu’il était loin d’être dans son état normal. Il était comme déconnecté de la réalité. Comme s’il la fuyait la nouvelle. Ce que je pouvais totalement comprendre.

J’essayais de trouver les mots et de chercher à percer la carapace d’Hank qui semblait se protéger en évitant de réaliser que sa femme ne reviendra jamais. Pas qu’il niait qu’elle soit morte mais il faisait d’un évènement tragique un fait dans une journée tout à fait normal. Il cherchait lui-même une explication à son état en mettant en avant qu’angoissé comme il était, il s’était déjà fait suffisamment de films dans sa tête que pour se préparer à ça… Mais je doutais que les choses marchaient ainsi…

Je m’étais, alors, demandé si ses filles étaient au courant. Il leur avait dit mais, apparemment, elles non plus ne réalisaient pas. Elles étaient encore très jeune et ça n’aidait sans doute pas à réaliser les choses. Hank confirma d’ailleurs que son ainée ne semblait pas se rendre compte qu’elle ne reverrait jamais sa mère. Elle se rendait toutefois compte que quelque chose n’allait pas. Mes lèvres se pincèrent.

-Je ne sais pas du tout comment on fait pour qu’un aussi jeune enfant puisse réaliser… Mais… Elle finira par comprendre…

C’était inévitable… Et j’ignorais comment Hope allait réagir à ça. Je n’avais pas d’enfants… Avant les naissances d’Hope et Haley, c’était moi l’enfant de la famille et j’avais presque 30 ans…

Il n’y avait pas qu’Hope qui ne réalisait pas encore… Il y avait Hank aussi. C’est d’ailleurs, pour ça, que les policiers lui avait conseillé d’aller voir le corps de Bailey. Ça allait être une épreuve mais Hank espérait que ça allait l’aider.

-S’ils te l’ont conseillé, j’imagine que ça aide…

J’avais accepté de garder les filles pendant qu’Hank ira voir le corps. Je proposai aussi de venir soutenir Hank chez lui pour ne pas qu’il reste tout seul. C’était le moins que je pouvais faire et je fus soulagé qu’il accepte.

-D’accord. Je resterais autant qu’il le faudra.

Je me proposai aussi pour l’annoncer au reste de la famille mais Hank refusa. Il voulait s’en charger lui-même. Il voulait simplement rester jusqu’à-ce qu’il doive partir pour l’hôpital.

-Oui, bien sûr que tu peux rester. Je m’occuperais des filles pendant que tu passeras les coups de fils.

Il espérait que ça lui ferait réaliser. Je l’espérais pour lui. C’était une phrase importante pour qu’il puisse, à force, faire son deuil.

Il regarda sa main qu’il ouvrit et ferma plusieurs fois avant qu’il ne dise être engourdi comme dans la chanson de Sniper.

-Je comprends… Ça va être des journées difficiles qui vont arriver, Hank… Mais je suis là. Et mes parents aussi.

La famille sera toujours là.

Il voulait un café. Je me levai.

-Je vais te préparer ça… Puis on fera un pas à la fois.