Je croyais que plus les jours allaient passer, mieux ça allait aller.

Je me trompais.

Ou alors c’était juste parce que la cérémonie funèbre remuait une dernière fois le couteau dans la plaie, je ne savais pas trop.

Il y avait eu une veillée, d’abord, hier et avant-hier… Et tout le long des visites, je m’étais tenu à côté du cercueil ouvert de Sydney. Je ne pouvais pas m’empêcher de la regarder et de me dire que si je la secouais un peu, elle allait se réveiller… Parce que préparée comme elle l’avait été, on aurait vraiment dit qu’elle dormait tout simplement d’un sommeil paisible.

Pas qu’elle était morte… Je refusais qu’elle soit morte.

Et pourtant, elle l’était, je le savais.

J’avais serré des mains, étreint d’autres gens, reçu un tas de condoléances et des dessins d’enfants à placer sur le cercueil bien fleuri.

Trois jours avaient passé depuis l’accident et il était temps de mettre Sydney en terre. Et c’était là que j’avais réalisé, lors de la cérémonie que j’avais choisi de faire au funérarium, rien de religieux, juste que les gens qui l’avaient connue viennent se succéder pour dire quelques mots, que Sydney n’avait pas de famille. Ou pratiquement pas.

Heureusement, moi, j’en avais une et les gens étaient venus nombreux quand même. Même Daniele avait fait le déplacement et je savais que s’il l’avait fait, c’était plus pour me soutenir moi que pour n’importe quelle autre raison. Parce qu’il savait ce que ça faisait. Il avait perdu Samantha il y avait seulement un mois et moi aussi, j’avais été là à l’enterrement.

Jess avait versé des larmes… Moi, j’avais essayé au mieux de les retenir pendant toute la cérémonie, n’en écrasant qu’une ou l’autre de temps en temps.

Il y eu quelques derniers mots prononcer autour de la tombe. Puis les gens étaient chacun passés devant le cercueil pour le toucher une dernière fois avant de reprendre leurs voitures et le cours de leurs vies.

-Allez m’attendre à la voiture, les filles… S’il vous plait…

Il n’y avait plus personne… A part moi et le fossoyeur qui attendait que je sois parti pour faire descendre le cercueil dans la fosse.

Mais je n’arrivais pas à me résoudre à la laisser… Je m’accroupis au pied du cercueil et, réalisant que c’était terminé, que Billie Blue ne connaîtrait jamais sa mère, je me mis à sangloter.

J’étais seul avec le fossoyeur.

Ou tout du moins, c’était ce que je croyais.

Un cercueil… Encore une fois, je me retrouvais devant un cercueil.

Il y a environs un mois c’était devant celui de ma femme que je m’étais retrouvé et – aujourd’hui – c’était la petite amie d’Evan qu’on entourait. Je connaissais un peu Sydney Grey. C’était une journaliste que j’appréciais et qui m’appréciais aussi. Elle avait une certaine joie de vivre et elle avait été le soutien d’Evan pendant quelques années. Encore une belle âme que L.A. avait décidé d’emporter bien trop tôt.

Un accident de voiture. Un malheureux accident… C’est ça qui avait mis fin à la vie de Sydney. Mais aussi de celle de Tiffany Quinn et Bailey North. Tant de gens que je connaissais dont une était la mère biologique de mon fils, Tony. Trois femmes fauchées dans la fleur de l’âge. Quatre enfants orphelins… Ça faisait beaucoup.

Si j’étais venu à l’enterrement c’était pour soutenir Evan. Je ne connaissais pas assez bien Sydney que pour me qualifier de « proche » mais j’étais, par contre, proche de mon poulain. Je devais aussi lui rendre la pareille. Il était venu à l’enterrement de Sammy, après tout. Et je pouvais parfaitement comprendre sa douleur.

Une douleur qu’il essaya de retenir pendant la petite cérémonie faite dans la plus stricte intimité. Le fait est que Sydney n’avait quasi pas de famille ce qui rendait l’assemblée étonnamment petite.

L’ambiance était morose comme elle l’avait été à l’enterrement de Sammy. Le fait est que je déteste les enterrements. C’est bien pour ça que fin du mois derniers j’avais organisé une énorme fête à mes yacht. Comme pour me forcer à continuer ma vie. Car c’est ce que je devais faire. Continuer ma vie. C’est ce que j’avais fait avant qu’elle ne s’arrête pour Evan… Je me sentais investi du devoir de lui montrer qu’il fallait aller de l’avant comme Jim l’avait fait avec moi après la mort de Sammy.

C’était vital. Autant pour lui que pour ses enfants et que pour sa carrière. Une carrière liée à la mienne d’autant plus depuis que Jackson Holland avait décidé de se mettre à la retraite pour faire autre chose et que Tobby Cooper – dévasté par sa rupture – avait décidé de casser son contrat. Ce n’étaient pas ceux qui me rapportaient le plus et, en soi, c’était mieux ainsi mais ça n’empêchait que j’allais devoir combler le vide.

Je n’avais prononcé aucun mot laissant les plus proches de Sydney le faire. Après, chacun passa devant le cercueil. Je le fis avant que l’endroit ne se vide tout doucement. Je regardais Evan alors que j’étais un peu en retrait. Bientôt il ne resta plus que Sniper, le fossoyeur et moi.

Et Evan se mit à pleurer. Il ne semblait pas vouloir se résoudre à la voir partir. Je m’avançai mettant ma main sur mon épaule. J’envoyai un regard au fossoyeur qui compris qu’il devait nous laisser un peu d’intimité. Il s’éloigna.

-Evan… Je sais ce que tu ressens. Je sais les questions que tu te poses et je sais à quel point tout ça est difficile, dis-je doucement alors que j’étais passé par là il y a très peu de temps d’ici.

J’aurais voulu, à mon enterrement, que quelqu’un qui ait déjà vécu ce genre de chose soit là… Mais ça n’avait pas été le cas. Evan avait cette chance. Il m’avait moi.

-Sydney était quelqu’un de bien. Elle t’a laissé une fille. Il y aura toujours un peu d’elle en Billie Blue, dis-je ne faisant, finalement, que redire ce qu’on m’avait dit à moi.

Je pleurais ce qu’il me restait de larmes. Je n’aurais pas cru qu’il m’en restait, à vrai dire. Mais il fallait croire que le flot de mes sanglots ne se tarirait jamais. J’avais réussi à me retenir devant mes filles, devant nos proches.

Mais là, alors que je vivais mon dernier tête-à-tête avec Sydney, je n’en pouvais plus. Je ne pouvais pas me résoudre à voir son cercueil descendre lentement dans la terre… une terre sèche à cette époque de l’année où le soleil tapait comme un fou toute la journée, rendant L.A. encore plus cruelle, si c’était possible.

-Syd… Syd ne me laisse pas… On a besoin de toi… J’ai besoin de toi.

Une main se posa sur mon épaule et pendant l’espace d’une milliseconde, je crus qu’en me retournant, j’allais voir Syd, là, souriant, éclipsant le soleil dur et froid de mon chagrin.

Mais non, c’était Daniele…

Il était resté… Il m’avait attendu. Je n’étais pas aussi seul que je pouvais le croire.

Le fossoyeur s’éloigna sur un signe discret de mon manager et ami.

Ne restait plus que nous trois. Daniele. Sydney et moi.

Parce que pour moi, Syd était encore là.

Daniele se mit alors à parler et, entre mes sanglots, je l’écoutais, frottant parfois mes yeux, la morve coulant sur ma lèvre supérieure sans que je puisse le contrôler… Et je m’en foutais, sincèrement, s’avoir le visage complètement bouffi et le nez dégueulasse.

Je n’étais pas à la remise des AMA, j’étais au foutu enterrement de celle que j’aimais.

Les mots de Daniele m’atteignirent. Parce que je savais très bien qu’il était bien placé pour savoir ce que je traversais aujourd’hui. Il l’avait vécu. Il savait les sensations, les questions et la difficulté que ça engendrait.

Je n’arrivais pas à me redresser alors je levai juste mes yeux rougis vers lui.

-Est-ce que la douleur va s’arrêter un jour ? J’ai déjà perdu tant de gens…

Mon groupe, mon père et maintenant Syd. Et à part pour mon père, aucun n’était décédé de causes naturelles. Toutes avaient été des morts violentes.

Daniele ajouta que Syd m’avait laissé une part d’elle, qui résidait en Billie Blue. Je hochai la tête et puis… Et puis une nouvelle vague violente de douleur m’envahi. Je me retournai à demi et me cramponnait à Daniele, le serrant fort contre moi comme une bouée de sauvetage. Et je pleurai de plus belle.

-Je suis maudit. Je crois que je suis maudit ! J’ai peur pour tout le monde maintenant.

Je sanglotai :

-J’ai peur quand Jess prend le volant. J’ai peur la nuit et je vais vérifier que Billie Blue respire. J’ai peur qu’un jour, tu m’annonces que tu as attrapé une saloperie en phase terminale.

Je le serrai encore plus fort.

-Je ne pourrai plus jamais vivre tranquille.

J’entendais Evan pleurer. Je l’entendais demander à sa petite amie décédée de ne pas le laisser. Il était dévasté et qui ne le serait pas dans un moment pareil ? J’avais vécu la même chose… C’est sans doute ça qui m’avait poussé à rester alors que tout le monde, excepté le fossoyeur et Evan, avait quitté le cimetière.

J’avais posé la main sur son épaule demandant, d’un discret regard, au fossoyeur de nous laisser quelques minutes. Je ne pouvais pas laisser Evan seul ici. Je n’allais pas faire la même erreur en 72. J’étais plus malin que ça… Daniele Ricci ne peut pas faire plusieurs fois la même erreur – c’est inconcevable.

J’avais réfléchis à mes mots bien avant de les prononcer. J’affirmai comprendre sa douleur pour l’avoir vécu pas plus tard que le mois dernier quand ma femme avait rendu son dernier souffle après avoir été assassiné par son propre passé. Je savais – au fond – avoir la même épée de Damoclès au-dessus de la tête à cause de mon implication dans la Famille de Los Angeles mais j’avais la sale manie de me penser quasi intouchable.

Evan était accroupi et semblait ne pas pouvoir se relever alors qu’il pleurait encore et encore. Ce n’était pas la première fois que je le voyais pleurer et je ne pus que me faire la réflexion que, moi, je n’avais pas autant pleurer à l’enterrement de Sammy. Était-ce parce que je ne l’aimais pas assez ? La question risquait bien de me torturer jusqu’à demain.

Il demanda si la douleur allait s’arrêter un jour. Il déclara avoir déjà perdu tant de gens. Mon visage s’assombri. Il avait perdu trois de ses amis et je ne pouvais que me sentir en partie responsable de ces morts. Cette culpabilité, j’allais l’emporter avec moi dans ma tombe.

-S’arrêter ? Je ne pense pas… S’estomper avec le temps… Prendre une autre forme… Ça oui, dis-je en ne faisant, encore une fois, que répété ce que d’autres m’avaient dit. Tu le sais d’expérience, Evan… Tu es déjà passé par là… Tu as déjà perdu des gens. Tu t’es déjà relevé.

Il avait pris 10 ans… Mais cette fois-ci, il n’était plus seul. Il avait ses filles mais, aussi, moi et Erik.

C’est sa fille – d’ailleurs – que je mis en avant en disant qu’une partie de Sydney vivait en Billie Blue. Evan se retourna alors et se cramponna à moi. Je fus surpris dans un premier temps et je finis par le serrer contre moi. Il en avait besoin et même si je n’avais pas l’habitude de ce genre de geste, je le lui devais.

Il affirma être maudit. Il disait avoir peur pour tout le monde… Pour ses filles… Pour moi… Je ne sus pas quoi dire pendant quelques secondes. Et c’était rare quand Daniele Ricci était à court de mots ! Je finis, finalement, par les trouver, les mots.

-Il ne faut pas avoir peur et tu n’es pas maudit. C’est juste un hasard… Un coup de malchance… Mais tu ne dois pas t’empêcher de vivre à cause de cette peur, Evan… Tes filles vont bien et je vais bien, dis-je en cherchant à le rassurer. Dans tous les cas, la mort, c’est hors de notre contrôle… On ne peut rien faire contre. Tout ce qu’on peut faire, c’est vivre. C’est ce que j’ai fais quand Samantha est morte. J’ai continué à vivre, dis-je simplement.

J’avais même fait une fête.

-C’est ce que Sydney voudrait pour toi et les filles. Elle ne voudrait pas que tu t’arrêtes tout le temps par peur que la vie s’arrête pour l’un de tes proches, dis-je en essayant de lui faire voir ce que Jim m’avait aider à voir.

J’avais mal, très mal, et c’était mon cœur qui était le plus touché. Ce cœur qui avait déjà vécu tant de désastres et de tragédies. Les gens semblaient mourir les uns après les autres, surtout quand je les aimais.

J’avais l’impression que cette douleur ne s’arrêterait jamais. Ce fut ce que je déclarai en pleurant à Daniele, mon ami qui était resté. Mon ami qui connaissait trop bien cette douleur lui aussi.

Il disait que ça ne s’arrêterait pas, mais que ça allait s’estomper ou prendre une autre forme. Il disait qu’il ne m’apprenait rien parce que j’avais déjà vécu tout ça. Je secouai la tête, envoyant valser des larmes.

-C’est pas chaque fois plus facile… C’est chaque fois plus dur !

Parce que la liste de mes proches morts s’allongeait de plus en plus. Des morts atroces, des morts violentes. Mon groupe avait sombré avec la mort de mes mais. Maintenant, il me semblait que c’était au tour de ma famille.

Ma famille pour laquelle j’avais très peur ! Atrocement peur.

Et si j’étais maudit ?

Je fis part de cette idée superstitieuse à Daniele qui me dit qu’il ne fallait pas que j’aie peur, et que je n’étais pas maudit. Que tout ça n’était que le fruit du hasard. Il me serrait maintenant dans ses bras. Je pleurai d’bord plus fort, sur son épaule, avant de me calmer un peu, écoutant sa voix comme s’il ce fut agi d’une musique rassurante.

La mort est hors de notre contrôle.

C’était ce que Daniele disait.

Je le serrai un rien plus fort.

-J’ai peur. Je crève de trouille, Daniele. Si c'est le hasard, il s'acharne sur moi... Je ne sais pas comment tu fais.

Je le désserrai un peu et m’écartai pour frotter mes yeux, essuyant des larmes. Mais pour chaque larme essuyée, une autre lui succédait.

Daniele disait que Sydney ne voudrait pas que je mette ma vie en standby pour la consacrée toute entière à la peur que j’éprouvais de perdre mes proches.

Je soupirai.

-Je sais… Mais je te jure que je ne supporterai pas une mort de plus. Alors tu as intérêt à faire bien attention à toi.

Je passai la manche de mon costume sur mes yeux.

-Je ne sais pas ce que je ferais si je te perdais… Ou une des filles.

J’eus un pauvre sourire.

-Je risque de devenir étouffant pour elles, les pauvres. Mais je ne sais pas comment lâcher prise. Comment tu fais, toi ?