Aujourd’hui, on mettait mon père, Hunter Kurtz, ancien combattant et figure célèbre, à son échelle, de la ville, puisqu’il avait vendu des disques et des cassettes à pratiquement tous les adolescents de la ville. Des adolescents qui n’en étaient plus aujourd’hui.

Mais tout qui était passé au Rock Paradise, le magasin de mon père, avait été marqué par le charisme de ce vieil homme qui, malgré le poids des années, s’était toujours tenu droit et fier, serviable, à conseiller les meilleurs groupes de rock à ceux qui le désiraient.

Il y avait d’ailleurs bien d’autres commerçants du centre-commercial réunis aujourd’hui, autour de ce qui serait la tombe de mon père, juste à côté de là où était enterrée ma mère depuis 1978.

Jess était là, Syd était là et Billie Blue regardait tout ce monde réuni dans la tristesse de ses grands yeux d’enfant. Elle sortait tout juste du néant de la non-existence… C’était comme si mon père lui avait laissé sa place.

Il y avait aussi Cash Izbel, Savannah Prescott, mon ex-femme, Barbara Sherman, et surtout, mon ami Daniele Ricci qui avait fait le déplacement depuis la tournée de Livia pour rendre un dernier hommage à mon vieux père. Et il ne pouvait imaginer combien sa présence était importante pour moi et me faisait chaud au cœur.

Il y avait eu une courte messe à l’église avant qu’on ne se retrouve tous ici pour un dernier au revoir.

Je n’avais rien dit à l’église, me contentant de me recueillir, tête baissée, les yeux fermés.

Mais j’avais quand même des choses à dire et, emportant ma fille, Jess, par la main pour qu’elle se tienne à côté de moi, je me plaçai devant le cercueil.

Et j’essayai de sourire, malgré mes yeux mouillés.

-Je vous remercie à tous d’être venus… On est nombreux, c’est dingue… Mais en 96 ans d’existence, il est vrai que mon père a su se faire nombre d’amis, toute génération confondue.

Je me raclai la gorge.

-Mon père était un combattant. Il a survécu à trois guerres, même s’il n’a pas fait cette guerre injuste qu’était celle du Vietnam. Mais c’était aussi un grand amateur de musique et je sais que nombre d’entre vous y ont, comme moi, été initiés par lui.

Je souris. Mes larmes coulèrent silencieusement.

-Il ne voudrait pas qu’on passe son temps à le pleurer. Ce qu’il voudrait, c’est qu’on se rappelle de lui entendant une chanson et en se disant : « Oh ! Cette chanson, je l’ai entende la première fois chez Rock Paradise ! »

Je me tournai vers le cercueil, tenant toujours Jess, qui portait un bouquet de fleurs, par la main.

-Tu étais bon, généreux, avide de transmettre tes passions. Et tous ceux qui sont ici sont là pour te remercier. Pour le reste, ce n’est qu’un au revoir, Papa.

Je soupirai… Jess déposa les fleurs et j’allais embrasser Syd puis serrer les mains de tous ceux qui avaient fait le déplacement.

@ Billy Lighter

La tournée de Livia était, jusqu’ici, un triomphe et je ne pouvais qu’être fier de la fille de Jim. Elle gagnait en popularité chaque fois qu’elle mettait le pied dans une nouvelle ville… Elle aura – bientôt – autant de popularité que Lola qui, elle, avait dû reporter un tas de dates.

Les malheur des uns font le bonheur des autres ! Et je voyais ça comme un retour de karma pour la diva qui, par la passé, se pensait maitresse du monde.

Mais, aujourd’hui, ce n’était pas sur la tournée de Livia que j’étais mais bien à Los Angeles. J’étais revenu en quatrième vitesse quand j’avais appris le décès du père d’Evan – Hunter Kurtz.

Hunter avait 96 ans. Un âge avancé qui montrait à quel point le vieil homme avait bien vécu. Evan était très proche de ce père qui avait eu son unique fils à plus de 50 ans. Le vieil Hunter aurait – en fait – pu être le père de mon père. C’est dire à quel point Evan avait été « l’enfant surprise » des Kurtz. Un enfant qui avait toujours admiré son père. Je savais qu’Hunter était une des inspirations qui avait donné naissance à The Army – l’œuvre de la vie d’Evan et, aussi, de la mienne en quelque sorte.

C’est donc pour tout ce que représentait Hunter pour le début de ma carrière et pour L.A. mais, surtout, pour Evan que j’avais décidé de faire le chemin pour être présent à l’enterrement. Ça m’avait permis de passer voir Sammy qui était revenue à Los Angeles depuis que Lola avait fuit à New York.

J’étais allé seul – laissant Sammy s’occuper de nos enfants – armé de mes lunettes de soleil. Il y avait pas mal de monde dont pas personnalité connue comme Prescott, Sherman et Izbel. Je savais qu’Hunter – à travers son magasin – avait pu rencontrer les futures stars de Los Angeles avant même qu’ils ne deviennent ce qu’ils sont aujourd’hui.

La messe avait été courte et on avait atterri – juste après – au grand cimetière de South L.A. qui sera la dernière demeure d’Hunter. Et si Evan n’avait rien dit à l’église, il s’avança, cette fois, devant nous tous, pour dire quelques mots accompagné de sa fille ainée. Car oui, Evan avait – maintenant – deux filles.

Evan avait commencé par des remerciements avant de se lancer dans une évocation de son père – ancien combattant et grand amateur de musique. Un père qui n’aurait pas voulu voir tout le monde pleurer. Je voyais pourtant bien que c’était difficile de se retenir pour Evan…

Il aimait son père. Un père que tous aurait voulu avoir – moi le premier. Bien qu’Erik avait rempli le rôle d’Antonio, j’avais toujours intérieurement jalousé la relation entre Evan et son père.

Il termina ses paroles sur un « au revoir » rapelant à tout le monde que personne n’est éternel.

Sauf ce qu’on laisse derrière nous – bien sûr. Et c’est pour être en partie éternelle que je bossais chaque jour à ma légende. Hunter avait réussi – dans un sens – ça en étant devenue une figure familière de la vie angelenos.

Après qu’Evan ait déposé des fleurs, on était chacun passé pour déposer quelque chose. Moi, je m’étais juste recueilli un moment devant la tombe du père de Sniper avant de me reculer alors que Sniper passait de personne en personne pour les remercier d’être venus.

Quand il vint vers moi, je lui serrai la main.

-Ton père était quelqu’un de bien Sniper, dis-je sur un ton réconfortant. Personne, à L.A., ne l’oubliera.

Je lui avais amicalement fait l’accolade avant de le laisser à ses obligations et à son deuil.

@ Billy Lighter

J’avais serré la main de Daniele Ricci, à l’église, quand celui-ci était arrivé. Il était à l’heure pour l’occasion. Les Morts n’attendent pas les petits caprices des vivants… Et apparemment, ce fait n’avait pas échappé à l’Italien.

Pendant la courte messe dédiée au vieux Hunter, qui m’avait un jour ramassé devant son magasin alors que je m’étais planté en BMX, je m’étais recueilli en priant mes propres Dieux, mes animaux totems, demandant réconfort et protection pour l’âme d’Hunter mais aussi pour sa famille qui était installée au premier rang. Je marmonnais tout bas cette prière sifflotante en tenant dans la mienne la main de Savannah.

Ma Savannah avait accepté de m’accompagner et je me demandais si cette mort la faisait penser à sa propre fin. Celle-ci n’arriverait peut-être que dans dix ou quinze ans, suivant la progression de sa maladie, mais le temps passait vite.

Beaucoup trop vite.

La messe terminée, nous nous étions déplacé en un long convoi silencieux jusqu’au cimetière… C’était un endroit magnifique, empli de magie… Une ancienne magie que les croyants de toute sorte, musulmans, chrétiens, juifs, hindous et autres, essayaient de contrôler en faisant trôner leurs symboles sur les tombes de leurs défunts.

Mais personne ne pouvais contrôler, canaliser ou comprendre cette énergie qui émanait des tombeaux. Même moi, je ne prétendais pas pouvoir le faire.

Le cercueil fut placé au-dessus d’un trou noir comme la nuit alors que le soleil de mai brillait de tous ses feux.

Je me collai contre Savannah, me demandant si elle ressentait la présence du vieux Hunter qui planait sur l’assemblée, son âme fortifiée par toutes les pensées des gens présents qui étaient toutes dirigée vers lui.

Sniper parla alors, serrant la main de sa fille, Jess… Une vraie petite déesse.

Le discours de Sniper me serra la gorge. Pas tant par ce qu’il disait, mais parce que je sentais qu’il luttait pour garder sa dignité malgré les larmes qui coulaient sur ses joues.

Jess déposa les fleurs et on forma une grande file pour passer chacun devant le cercueil une dernière fois. Les chrétiens secouaient en forme du signe de la croix un genre de petit plumeau enduit d’eau bénite. Mais quand ce fut notre tour, à Savannah et moi, je m’accroupis et posai ma main sur le bois poli et verni du cercueil avant de sourire à celle que j’aimais.

-Où qu’il aille, L.A. ne l’oubliera jamais car il a laissé une marque sur la ville.

Je me relevai et fit un signe de tête vers le cercueil qui marquait mon dernier « au revoir ».

Puis je souris encore à Savannah.

-Toi aussi, tu laisseras ta marque. Et elle sera éclatante.

Puis on serra les mains de la famille de Sniper et de Sniper lui-même, avant de nous retirer en silence et de reprendre notre route… Dans le monde des vivants.

Pour l’instant.

@ Billy Lighter

Triste était ce jour où nous portion à son dernier repos, Hunter Kurtz, le père de mon amoureux. L’église avait été pleine et pour le dernier hommage, la foule n’était pas moindre. Il fallait dire que mon beau-père était un visage connu de Los Angeles, un monument. Plusieurs étaient là pour lui dire au revoir autant que pour soutenir Evan dans cette difficile et douloureuse épreuve.

Jess se tenait au bras de son père et moi, tenant Billie Blue dans mes bras, j’étais tout près pour soutenir autant le père que la fille. J’aurais aimé pouvoir prendre leur peine et l’atténuée, que le départ d’Hunter soit une célébration de sa belle et longue vie riche d’histoires. Cet homme allait nous manquer terriblement. Pour l’heure, le garder en mémoire et bien au chaud dans nos cœurs était un maigre réconfort.

Nous avions salué tellement de gens, serrés tant de mains !

Ce fut comme vivre une semaine en une seule journée et elle n’était pas finie.

Puis, il fut le temps pour Evan de prendre la parole devant tout ce beau monde. Je ne savais pas s’il avait vraiment préparé une allocution pour son père mais je savais que ce qu’il dirait serait émouvant, que cela viendrait du cœur.

Il se dirigea avec Jess en avant de l’assemblée et après avoir rassemblé son courage et raclé sa gorge pour s’éclaircir la voix, il parla. Il parla d’une vois forte bien qu’émue. Une voix teinté de fierté et de chagrin. Il fit monter mes larmes que je chassais en embrassant le sommet du crâne de Billie Blue.

Puis, quand Evan termina son discours et que Jess déposa des fleurs sur la tombe de son grand-père, un silence solennel s’installa avant qu’il ne se brise sous naturellement par des murmures de sympathies des gens. Evan m’embrassa et je déposais à mon tour des fleurs alors que la file des sympathies commença.

Il y avait tant de gens que je me rendis comte à un moment que je ne voyais même plus tout le monde. Je ne savais plus à qui j’avais serré la main, à qui j’avais adressé des remerciements. Ça devenait presque mécanique. Mais au travers de tout ceci, ce qui me marqua le plus fut le soutient et la sollicitude des gens. On se sent toujours bien seul dans ce genre d’épreuves mais au final, on est toujours bien entourés.

@ Billy Lighter

J’accompagnais Cash au service funéraire d’Hunter Kurtz. Je ne le connaissais que de réputation mais je tenais à aller lui témoigner mon respect, moi aussi. Peut-être était-ce le fait d’être confronté tous les jours à ma propre mort qui me donnait la force de soutenir ceux qui en avaient besoin.

Forcément, d’assister à ce genre de commémoration me faisais réfléchir à mon propre enterrement. J’avais déjà commencé des démarches pour mes funérailles, décider de mon vivant comment je voulais qu’on célèbre ma mort. Je n’en avais pas parlé à Cash, je ne voyais pas l’utilité d’ajouter une couche supplémentaire à ce qui nous accablais.

Je voyais tous ces gens serrer la main d’Evan ‘’Sniper’’ Kurtz et je ne pouvais m’empêcher de me demander s’il y aurait autant de gens qui seraient attristé par mon départ. Est-ce qu’on aurait envie, tout simplement, de venir me dire au revoir où ne serai-je qu’une simple photo en noire et blanc publié dans la rubrique nécrologique ? Avais-je suffisamment fait de mon vivant pour qu’on tente de se souvenir de moi ou n’étais-je qu’une étoile filante dans le firmament de Los Angeles ?

Toute la cérémonie du début à la fin avait été émouvante bien qu’il arrivait parfois que nous esquissions un sourire parce qu’une anecdote évoquée de la vie du défunt réchauffait les cœurs ou parce qu’un souvenir était réconfortant. C’était une très belle cérémonie et quand elle prit fin et que Nous fûmes tous invités à aller serrer la main de la famille endeuillée, je serrais la main de Cash dans la mienne.

Est-ce qu’il se tiendrait à la place de Sniper, mon jour venu ? S’il ne le faisait pas, qui le ferait ? Qui se lèverait pour moi, pour recueillir les mots et les marques de soutiens ?  Il y avait tant de question comme celles-là qui me venaient en tête que j’en étais étourdie.

Cash, après avoir serré la main de Sniper et de ses proches, s’agenouilla près de la tombe pour poser sa main sur la tombe d’Hunter Kurtz puis, me regardant, m’offrit un doux sourire avant de dire qu’à jamais Los Angeles se souviendrait du père d’Evan.

- Une âme bienveillante qui veillera sur nous tous.

Puis comme s’il avait lu dans mes pensées, Cash me murmura que je laisserais moi aussi ma marque. Je l’espérais. J’espérais que mon existence écourtée aura servie à quelque chose, ne serait-ce qu’à toucher une seule personne par ma musique.

- Tu crois ?

Je lui offris un sourire en retour avant que nous procédions à offrir nos sympathies à Sniper et sa famille.

@ Billy Lighter