La salle de sport de l’école avait été aménagée, aujourd’hui, pour le concours de dessin auquel, moi, je participais. Il y avait plein de dessins partout fait par les élèves de différentes années. Certains étaient très nuls comme celui d’Arnold qui avait fait ce qui semblait ressembler à une maison avec, devant, ses parents, son petit frère et lui. Ou encore celui de Dylan qui avait dessiné un joueur de baseball en train de jouer. Le seul qui était un peu bien, c’était celui de Gala Roberts du 8th grade. Un espèce d’intello que les profs aiment beaucoup. Elle avait dessiné un dauphin mais avait réussi à faire les reflets de l’eau dans différents tons de bleus et turquoises. Sauf que les dauphins, c’est pas difficile à faire et moi, je pensais bien avoir le meilleur dessin de tous.

J’avais dessiné un cimetière avec des squelettes. Moi, j’avais fait tous les détails en noir et blanc rien qu’avec des crayons gris. Il y avait la lune, les tombes, des squelettes qui sortaient des tombes ou qui était déjà sortis. Moi, j’avais fait tout ça bien mieux que n’importe qui ici. Moi, je pensais que les autres n’avaient aucune chance et que j’allais gagné.

Chaque élève devait rester devant son dessin pour l’expliquer aux parents et autres personnes qui venaient pour voir. Il y avait du monde et j’attendais que Jordan vienne. Il n’allait pas tardé, le concours ayant lieu après l’école. Moi, je n’avais pas voulu lui montrer mon dessin avant le jour-J. Moi, je voulais qu’il le voit en même temps que les autres.

Des gens passaient devant mon dessin. Certains s’arrêtaient… D’autres grimaçaient… Certains disait que c’était très sombre. C’est un cimetière. Un cimetière ce n’est pas coloré. Moi, c’est ce que je disais aux gens. Ils n’ont jamais été dans un cimetière ? Moi, parfois, je trouve que les gens sont vraiment bêtes. Mais ce qui m’ennuyaient c’est qu’il n’y en avait aucun qui disait : « ton dessin est très beau, Grant. C’est le meilleur qu’il y a ici… ». Heureusement, c’est un jury qui va décidé qui gagne. Dans le jury, il y avait la directrice, quelques professeurs dont le professeur Jenkins et des gens qui venaient de l’extérieur et que je connaissais pas. Moi, j’étais sûr que Jenkins allaient tous leur dire que mon dessin est le meilleur. Jenkins m’aime bien.

-C’est permis de faire des dessins comme ça ?

C’est ce que s’exclama, choquée, une dame que je ne connaissais pas. Elle était accompagné d’un homme. Sûrement son mari. C’était les parents de quelqu’un, je crois. Je tiquai.

-Moi, j’ai dessiné un cimetière… Moi, je vois pas pourquoi c’est mal.

Elle prit un air à la fois choqué et dégouté. Moi, je comprenais pas pourquoi elle faisait cet air-là. Moi, je trouvais mon dessins beau. J’avais passé beaucoup de temps à le faire, moi, pour qu’on voit bien les reflets de la lune.

-Ce n’est pas ce qu’un enfant devrait dessiner… Seigneur Dieu… Est-ce que tu vas parfois à la messe, jeune homme ?

La messe ? Moi, je levai un sourcil.

-Non. Moi, j’aime pas la messe. Pourquoi j’irais à la messe ? Dieu n’existe même pas…

La dame pris un air choqué alors que je vis Jordan arriver. Je me tournai vers lui.

-Te voilà, enfin !

La dame était toujours là et, toujours choquée, elle se tourna vers Jordan.

-C’est votre fils ? Vous ne l’emmener pas à la messe ? Regardez ce qui arrive quand on éloigne trop son enfant de la lumière du Seigneur.

Et elle pointa du doigt mon dessin pour expliquer ce qu’elle disait. Moi, je trouve qu’elle est folle. C’est tout.

Je devais me coltiner Jackson, aujourd’hui… J’aurais bien voulu être avec Conrad mais j’avais demandé un changement de shift en début de semaine afin de pouvoir être présent au concours de dessin auquel participait Grant à la West Hollywood Elementary School, son école. Du coup, je n’étais pas avec Conrad.

Mais pour Grant, c’était le moins que je pouvais faire. Je tenais absolument à voir le dessin qu’il allait présenter parce que jusqu’ici, il l’avait gardé secret.

Une main sur le volant, la clope dans ma bouche, je jetai un regard à ma montre. Ouf ! Plus qu’un quart d’heure avant de rentrer au commissariat et j’allais être débarrassé de ce foutu Jackson. Parce que s’il y en avait beaucoup que je ne pouvais pas supporter pour travailler, Jackson était quelque part dans mon top 3.

Heureusement que c’était moi qui conduisais. Je ne lui avais pas laissé le choix. Je n’avais pas envie qu’on se tue bêtement dans une course poursuite entamée pour une connerie.

On ne parlait pas beaucoup, mon binôme du jour et moi. Parce qu’on avait rien à se dire. Nous n’étions pas amis. Nous n’étions pas binôme. Je crois que chacun de nous tenait juste à ce que les heures passe et qu’on soit débarrasser l’un de l’autre.

Mais brusquement, Jackson me sortit de mes pensées, me faisant presque sursauter.

-Là ! Poursuis cette voiture ! Il vient de couper la priorité de droite à l’autre !

En effet, je l’avais vu, mais il n’y avait pas eu d’accrochage, pas même un geste de mécontentement du conducteur lésé de sa priorité. En fait, les deux conducteurs avaient tous les deux eu l’air surpris. Ils ne s’étaient tout simplement pas vus l’n l’autre, comme ça arrivait toujours dans les priorités de droite.

-C’est bon, laisse couler, il n’y a pas de casse et ce n’était pas une intention méchante. Ils ne se sont juste pas vus.

Et il restait 5 minutes avant qu’on ne fasse demi-tour pour le commissariat. Si on prenait cette bête petite infraction qui n’en était même limite pas une, on serait encore coincés une demi-heure à taper le PV. Et je ne pouvais pas me permettre cette demi-heure. Je devais aller voir Grant.

Jackson essaya de protester.

-Mais ! Ce nègre… !

Je le fusillai du regard.

-Ah ! Voilà pourquoi tu veux le prendre ! Parce que celui qui a coupé la priorité sans le faire exprès est noir ! Et ben raison de plus pour que je te ramène direct à l’unité, tiens…

Je fis donc demi-tour en grommelant.

-Putain de raciste.

Je larguai donc Jackson au commissariat et sans plus un mot, allai vite me changer. Je n’avais pas le temps pour un débat philosophique qui ne mènerait quand même à rien.

Une fois habillé, j’allai saluer le chef, le remerciai encore d’avoir bien voulu me changer de shift et partis en direction d’Hollywood.

J’entrai dans la salle de sport et cherchai Grant du regard. Il y avait beaucoup de dessins exposés, mais j’avais déjà vu certaines œuvres de Grant et non seulement elles étaient mieux réalisées que la plupart des dessins que je voyais ici, mais en plus, il y avait quelque chose de plus mature dans la façon de Grant de dessiner.

Enfin, en même temps, je n’étais peut-être pas objectif…

Quand je trouvai enfin Grant, je lui souris. Il était apparemment content que j’arrive, mais à sa façon, presque sur un ton de reproche alors que j’étais à l’heure.

-Salut, Grant.

Et directement, je me fis alpaguer par une femme qui se tourna vers moi, me demandant si Grant était mon fils et désigna le dessin que je n’avais même pas encore eu le temps d’admirer pour me reprocher d’éloigner Grant de la lumière de Dieu.

Surpris, d’abord, je répondis :

-C’est mon pupille.

Puis, réalisant ce qu’elle venait de dire…

-Si votre Dieu existait vraiment, il n’aurait pas laissé faire toutes les horreurs que j’ai vues au Vietnam.

En gros, qu’elle aille se faire foutre… J’étais conservateur sur beaucoup de choses mais je n’étais ni raciste, ni un extrémiste religieux. Mais aujourd’hui, j’étais servi, d’où ma réponse sèche à cette bonne femme. Je me détournai totalement d’elle pour d’abord regarder Grant, lui sourire puis m’intéressé à son tableau, sombre, qui était exposé.

-Alors voilà le fameux dessin que je ne pouvais pas voir !

Je m’approchai un petit peu pour regarder les détails.

-Comment tu as réussi à dessiner tous les os avec cette précision ?

C’était, au premier regard, ce qui m’impressionnait le plus.

Jordan venait d’arriver et je l’accueillis comme s’il était en retard. Moi, je savais qu’il n’était pas en retard mais la dame m’avait un peu agacé avec ces histoires de messe. Pourquoi j’irais à la messe ? C’est ennuyeux et je sais que Dieu n’existe pas. S’il existait, il n’aurait pas tué ma mère !

Un dame qui s’adressa alors à Jordan alors que je plissais des yeux. Pourquoi tout le monde pensait toujours que Jordan est mon père ? Il ne me ressemble même pas. Il a les cheveux plus claire que moi et il a les yeux bleus. Moi, je ne lui ressemble pas !

Jordan corrigea la dame disant que j’étais son pupille. Oui. C’est ce que je suis. Et j’esquissai un petit sourire en coin quand Jordan déclara à la dame que si Dieu existait, il n’aurait pas laissé faire ce qu’il s’était passé au Vietnam. Moi, je savais qu’il y avait eu une guerre et que Jordan y avait participé. La dame parue choquée.

-Ce n’est pas étonnant que cet enfant dessine des choses pareilles… Des non-croyants… L’état n’a pas donné ce pauvre jeune homme à la bonne personne.

Et elle finit par s’éloigner toujours choquée. Moi, j’espérais que la dame allait se faire écraser par une voiture en sortant d’ici, comme ça, elle ira rejoindre son Seigneur et pourra nous laisser tranquille.

-Moi, je pense que la dame devrait aller rejoindre le Seigneur…

Moi, j’aimais mon dessin. Je le trouvais beau et très réussi. Et c’est vers celui-là que Jordan se tourna. Il se mit à la regarder et je plissai des yeux regardant le visage de Jordan pour voir s’il arrivait à voir que mon dessin était mille fois mieux que tous les autres même si Jordan avait sûrement pas encore tout vu des autres.

Il demanda comment j’avais réussi à dessiner les os avec précision.

-Moi, j’ai d’abord fait les contour de tout au crayon pour donner les bonnes formes. Moi, je dessine souvent des squelettes. Je les trouves beaux. Alors, moi, je sais bien faire les os maintenant. J’ai l’habitude. Puis, après j’ai fis tous les détails en appuyant plus sur mon crayons. J’ai tout fait au crayons gris. Moi, je trouve que le crayon gris c’est le mieux pour dessiner les cimetières. Puis, j’ai fait les reflets de la lune sur les os des squelettes et sur les tombes.

C’est comme ça que j’avais fait. Ça m’a pris plusieurs jours pour que le dessin soit fini. Je veux vraiment gagné ce concours mais quand j’ai vu ce qu’on fait les autres, je suis sûr de le gagner maintenant.

-Moi, je pense que je vais gagner facilement. Moi, j’ai vu ce qu’ont fait les autres. Il n’y a que Gala Roberts qui a plutôt bien dessiné mais c’est quand même moins bien que ce que j’ai fait. Le premiers prix gagne des tickets pour le parc d’attraction. Moi, je veux gagner ça.

Oui. Je veux gagner ça.

-On ira sur le train fantôme au parc d’attraction.

Et je suis sûr que je vais gagner.

J’étais là pour voir Grant et son œuvre et voilà que j’étais encore obligé de me coltiner des gens à l’esprit étroits. Bon, ok, je n’étais pas toujours l’homme le plus ouvert du monde sur certaines choses, mais je ne pensais pas non plus être un extrémiste au sujet de quoi que ce soit. Chacun faisait ce qu’il voulait. Si cette femme voulait se taper la messe trois fois par semaines, c’était son problème.

Mais ni Grant, ni moi ne croyions en Dieu, alors… Quel intérêt ?

Elle critiqua le dessin de Grant, puis moi, ne disant qu’on aurait jamais dû me confier l’enfant.

-C’est de l’art. Grant ne fait de mal à personne en dessinant ce qu’il dessine.

Je savais que pour lui, c’était un exutoire… Qu’il savait mieux faire passer ce qu’il ressentait sur le papier qu’en en parlant. Je n’étais pas psy alors je ne saisissais pas toujours la signification métaphorique des dessins de mon pupille. Mais je l’encourageais toujours à continuer, parce qu’il était vraiment doué.

La femme s’en allant en fulminant, choquée, je pus enfin m’approcher pour admirer ce que Grant m’avait caché jusqu’ici pour que j’aie la surprise le jour du concours.

Et je devais dire que j’étais bluffé !

Grant déclara que la bonne femme devrait aller rejoindre son Seigneur. Je me retins de sourire parce que c’était un peu ce que je pensais aussi, mais je ne pouvais pas décemment encourager Grant dans cette voie-là…

-C’est pas cool de souhaiter la mort des gens, Grant. Mais elle n’avait pas à dire ce qu’elle a dit, ça c’est vrai.

Je m’intéressai alors au dessin, le regardant de très près. Le coup de crayon de Grant était sûr et précis. Et il avait une façon de travailler la lumière qui était impressionnante pour son âge. Je n’avais pas regardé les dessins des autres avec une réelle attention, mais j’en avais vu assez pour comprendre que les autres enfants ne maîtrisaient pas encore les effets de lumière ou la perspective comme Grant le faisait.

Mon gamin semblait content (autant que c’était possible pour lui), de me raconter en détails comment il avait réalisé son œuvre.

-C’est vrai qu’il y a une certaine beauté dans les squelettes… Sinon, les rockers ne se baladeraient pas avec des têtes de mort partout. La nature est bien faite.

Je détournai le regard du dessin pour regarder Grant, mes mains enfoncées dans les poches de mon jeans. Il pensait pouvoir gagner facilement.

-Je pense que tu as toutes tes chances. Je suis sûr que les autres enfants n’ont pas passé autant de temps sur leurs dessins que toi. Mais si tu ne gagnes pas, moi, je t’offrirai le parc d’attraction. Parce que pour moi, tu es gagnant.

Je rigolai quand il demanda à aller sur le train fantôme.

-Ok, on ira…

Puis, regardant à nouveau le dessin.

-Où tu trouves ton inspiration ? Dans les films ? Tu as été dessiné au cimetière pour avoir un modèle ?

Parce que je laissais Grant regarder les films qu’il voulait, maintenant, même quand ce n’était pas vraiment de son âge. Tout comme j’estimais qu’il était assez grand pour se balader en ville tout seul maintenant que sa phase de fugue était passée.

La dame n’aimait pas mon dessin. Moi, je l’avais bien compris. Elle ne comprenait rien à l’art, moi, je pense. Jordan me défendit avant que la dame ne finisse par partir. Moi, je pense que la dame devrait aller se laver les yeux et arrêter de penser à Dieu. D’ailleurs, je déclarai tout haut qu’elle devrait aller rejoindre le Seigneur. Mais Jordan disait que je devais pas souhaiter la mort des gens. Je fronçai un peu les sourcils. Même les gens bête comme la dame ?

-Elle est méchante et bête… Moi, je ne pense pas que le monde a besoin d’elle.

Donc, elle peut rejoindre le Seigneur. Moi, je pense que c’est mieux pour tout le monde et je n’avais pas de remords de souhaiter ça.

Jordan regarda, alors, mon dessin et, moi, j’expliquai comment j’avais fait pour dessiner les os. J’aimais bien les squelettes, les cimetières, les démons… Moi, j’aimais beaucoup dessiner ça et Jordan disait que les squelettes étaient beaux aussi. Il disait que les rockers se baladaient aussi avec des têtes de morts partout. Oui. Puis, il y avait Nameless qui venaient de l’Enfer et étaient des démons. Moi, j’avais compris que la musique venait de là. C’est ce que je veux croire, maintenant.

-Oui. C’est parce que la musique vient de l’Enfer. Les rockers le savent. Moi, j’aime dessiner tout ça.

Moi, je savais que j’allais gagné. Moi, je ne pensais pas qu’il y avait d’autres solutions possibles. Les autres ont fait des dessins mais on dirait des dessins d’enfants de maternelles. Sauf peut-être celui de Gala mais le mien est quand même bien mieux que celui de Gala. Jordan pensait bien que j’avais toutes mes chances. Je n’ai pas toutes mes chances… Je vais gagner ! Moi, je ne vois pas comment ça pourrait être autrement. Il disait que si je gagnais pas, il m’emmènera quand même au parc d’attraction.

-Oui. Je suis le gagnant. Mais tu n’auras pas besoin de payer. Moi, je vais gagner. C’est sûr. J’ai vu les autres dessins. On dirait des dessins d’enfants de maternelles. Moi, j’ai pris des jours à faire mon dessin. Je vais gagner.

Je disais ça sur un ton sûr de moi.

Jordan rigola quand je demandai à aller dans le train fantôme. Il accepta. J’hochai de la tête. Oui. On ira dans le train fantôme.

Il demanda alors où je trouvais mon inspiration pour mes dessins. Je montrai ma tête.

-Parfois là…

Oui. Souvent là. J’avais des images et je les dessinais. Il fallait que je les dessine quand je les voyais. C’est comme ça.

-Pour ce dessin, oui, je suis un peu allé au cimetière. J’aime bien les cimetières. Je les trouve beau. J’aime être là-bas. Il y a souvent pas de monde, là-bas. C’est calme pour dessiner. Mais parfois, je m’inspire des films d’horreurs aussi. Il y a des beaux monstres dans les films d’horreur. Des squelettes parfois aussi. Moi, j’aime dessiner tout ça.

Oui. J’aimais aller au cimetière. Depuis que Jordan me laisse sortir souvent, je vais là-bas. Je sais quel bus va au cimetière.

C’est à ce moment-là que les membres du jury arrivèrent. Madame Summers, la directrice, s’avança vers nous avec un grands sourires suivis de professeurs de l’école et de quelques autres gens que je connaissais pas… Elle s’adressa à nous.

-Bonjour, Grant. Bonjour, Monsieur Keller. J’espère que vous allez bien.

Elle regarda le dessin avec un sourire avant de se tourner pour s’adresser aux gens que je ne connaissais pas.

-Voici le dessin de Grant Fleming, un de nos élève de 11 ans. Grant, Monsieur Keller, je vous présente les professeurs Brown, Zimmerman et Mullins. Ce sont des professeurs venus d’écoles d’art réputées. Messieurs, Dames, je vous présente Grant et son tuteur, Jordan Keller.

Mullins était une femme, les deux autres des hommes assez vieux…

-'Jour…

C’est ce que je dis mon visage un peu fermé alors que les professeurs nous saluèrent avant de regarder notre dessin. Mullins s’exclama alors :

-Et bien ! Ça c’est un thème pas courant dans une école primaire !

Elle se tourna vers Jordan.

-Est-ce que Grant dessine souvent des choses comme ça ? Ou bien c’est pour se démarquer des autres ? Il a décidé tout seul ou bien vous l’avez aidé autant à choisir le thème qu’à dessiner ?

Je plissai les yeux. Elle pense que je triche, là ? Jordan ne m’a pas aidé !

Grant n’avait aucun remords à souhaiter la morte de l’autre bigote qui venait de nous quitter. Dans mon rôle de tuteur, j’étais obligé de lui dire que souhaiter la mort des gens, c’était mal, mais je n’en pensais pas moins. C’était un peu hypocrite de ma part, mais je pensais bien que tout parent devait parfois dire le contraire de ce qu’il pensait pour que son enfant ait de bonnes valeurs.

Grant déclara que la dame était méchante et bête et que le monde n’avait pas besoin d’elle.

Je soupirai puis lui souris, légèrement complice, mais pas trop.

-Je sais. Mais dans la vie, il faut apprendre à composer avec tout le monde, malheureusement.

Je continuai de regarder son dessin, assez impressionné par le rendu des détails. Les os, la lumière de la lune, les décorations des tombes. Il y avait des fleurs nouvelles sur certaines, fanées pour d’autre, quelques-unes délabrée, d’autres bien entretenue. Si on m’avait dit : « Jordan, dessine un cimetière. », j’aurais dessiné un champ plat avec des croix toutes les mêmes et pas seulement parce que ça ressemblerait à un cimetière militaire, non… Tout simplement parce que je n’avais pas ce sens de la précision, du détail.

Même avec un modèle, j’aurais essayé de dessiner tout de façon assez formatée… Le dessin de Grant, lui, n’était pas du tout comme ça.

Il disait aimer les squelettes, les trouver beaux. Il n’était pas le seul et même moi, je devais avouer que le corps humain, extérieur ou intérieur était beau. La nature était extrêmement bien faite. D’ailleurs, ce n’était pas pour rien que le squelette humain était devenu une décoration pour beaucoup de gens… Certains trouvaient ça sombre…

Moi, je me disais que c’était chacun ses goûts, comme pour un peu tout. Il y a des gens qui aiment décorer leur maison avec des fleurs et d’autre avec des têtes de mort… Ou encore d’autre, comme moi, à l’imagination limitée, se contentaient de quelques rares photos de famille.

Grant, quand je lui expliquai un peu ça, déclara que la musique venait de l’Enfer. C’était sa nouvelle lubie depuis sa rencontre avec Nameless. Il disait que les rockers le savaient et qu’il aimait dessiner tout ça. Il était vrai que ce n’était pas le premier dessin du genre qu’il me montrait mais pour celui-ci, il avait mis les bouchées doubles.

-J’aime beaucoup celui-ci… Tu as vraiment mis tout ton cœur dedans et ça se ressent…

Puis, me tournant vers lui.

-Et si tu te chargeais de décorer la maison ? Tu ferais des dessins et on les encadrerait pour les mettre aux murs. Parce que je ne suis pas doué en décoration… Et puis, au moins, on aurait une déco unique !

Grant me parla alors de ses chances de gagner. Il était sûr qu’il ne pouvait pas rater le coche. Je n’avais pas pris le temps de regarder les dessins des autres concurrents mais je doutais que d’autres enfants de 11 ans aient pu dessiner quelque chose de plus abouti que le dessin de Grant. Bon, encore une fois, je n’étais certainement pas objectif… Pas du tout, même.

Je lui promis que quoi qu’il arrive, on irait au parc d’attraction, parce que pour moi, il était gagnant. Mais il était certain de sa victoire. J’espérais qu’il ne soit pas trop déçu si ce n’était pas le cas. Ce dont j’avais peur, c’était que le jury ait la même réaction que la nonne de tout à l’heure.

-Ok ! Pourvu que le jury n’ait pas de la merde dans les yeux alors.

Je lui demandai alors où il trouvait son inspiration et la première chose qu’il me désigna fut sa tête. Je savais qu’il avait beaucoup de choses dans la tête et pas toujours les choses les plus joyeuses. Mais ces derniers temps, je trouvais que ça s’améliorait. Déjà, il souriait un peu plus et me parlait plus aussi, ce que je considérais déjà comme une sacrée petite victoire.

-Tu as une belle imagination, je trouve. Je pense qu’il y a moyen que tu en fasses quelque chose de très intéressant.

Il était bel et bien allé au cimetière pour s’inspirer aussi un peu. Il trouvait les cimetières beaux. Je hochai la tête.

-Les cimetières sont parfois de vraies œuvres d’art. Il y en a qui sont très anciens et d’autres qui sont classés. On pourra aller en visiter, si tu veux. Ah ! Et tu savais que sur les plus anciennes tombes, parfois, il est précisé de quoi les gens sont morts ? Ça, je crois que ça pourrais te plaire.

Est-ce que c’était encourager le côté sombre que Grant avait en lui en lui donnant du morbide à se mettre sous la dent ? Je ne pensais pas. Les cimetières, de mon avis, faisaient partie de la culture humaine.

Ce fut à ce moment-là que le jury arriva, présidé par la directrice, Madame Summers, qui fit les présentations. Je serrai la main à chacun…

-Bonjour, enchanté.

Ils s’intéressèrent au dessin et je ne sus pas trop comment interpréter la réaction de Mullins. Etait-il impressionné, décontenancé ou dégoûté ? Impossible pour moi de le dire.

Et ce fut vers moi et non vers l’artiste que le professeur se tourna pour demander si Grant ne dessinait que ce genre de chose.

Je me grattai la tête.

-heu… non, il ne dessine pas que ça, bien qu’il aime tout ce qui touche à… l’occulte ? Les squelettes, les cimetières, les démons… Il aime aussi dessiner des choses en rapport avec ses groupes préférés… Pour le moment, c’est surtout Nameless et son masque de démon. Parfois il dessine Batman ou T’Kor, de Spaceship, je ne sais pas si vous connaissez… Il fait aussi des bandes-dessinées parfois.

Je marquai une pause, fronçant les sourcils.

-Il décide toujours lui-même ce qu’il dessine. Je n’aurais pas su l’aider, je suis complètement dépourvu d’imagination. Et je dessine beaucoup moins bien que tous les enfants qui exposent aujourd’hui.

Je souris et désignai Grant.

-Mais c’est à lui de vous expliquer ce dessin-ci, je pense… C’est lui, l’artiste, pas moi.

Je plissai du nez quand Jordan disait que, dans la vie, il fallait composer avec tout le monde… Même les gens bêtes ? Moi, je crois pas, non…

Mais je ne dis rien laissant Jordan regarder mon dessin. Il aimait bien et j’expliquai comment j’avais fait pour faire tous les détails. J’aimais bien les squelettes car je les trouvais beaux. J’aimais les dessiner. Ce n’est pas facile à dessiner mais j’aime bien. Puis, plus c’est difficile à dessiner mieux j’aime.

Jordan aimait vraiment bien. Il disait que j’y avais mis tout mon cœur. J’hochai de la tête.

-Oui. C’est parce que je veux gagner.

Oui. Dès que j’ai appris qu’il y avait un concours, moi, j’ai voulu tout de suite gagner. Je voulais montrer que des gens comme Guillermo Quinn ne valent pas mieux que moi. Il se la joue parce qu’il est acteur et tout mais je sais faire des choses aussi ! Acteur, c’est même pas un vrai métier, en plus. Dessinateur, oui.

Je plissai les yeux quand Jordan se tourna vers moi pour me demander si je voulais bien redécorer la maison. Moi, je m’attendais pas à ça. Je réfléchis un peu. Moi, j’avais déjà quelques idées. Le salon était très moche. C’est vrai que ça serait bien d’avoir quelque chose pour le rendre mieux. J’hochai de la tête.

-Oui. Je vais faire ça. Moi, je mettrais beaucoup de têtes de mort. Comme ça, s’il y a encore un voleur, il partira tout seul. On devrait décorer un peu comme chez mon père.

Oui. Chez mon père c’était tout noir. J’aimais bien la décoration de chez Ward Ward Fleming. C’était la seule chose que j’aimais encore de lui : la décoration de son appartement.

Moi, je voulais gagner et je savais que j’allais gagner. C’est ce que je dis à Jordan. Moi, j’en étais certain ! Ce n’était pas possible autrement. Et Jordan disait qu’il fallait espérer que le jury n’ait pas de merde dans les yeux. J’hochai de la tête.

-Oui. Sinon, je leur dirais qu’ils sont nuls.

Je serais très fâché surtout ! Moi, je ne comprendrais pas pourquoi je ne gagnerais pas. Les autres dessins sont bien moins bien que le mien. Normalement, je dois facilement gagner. Moi, je sais juger un beau dessin et le mien est le meilleur.

Moi, j’avais expliqué à Jordan où je m’inspirais. Moi, beaucoup de choses venait de ma tête. Il trouvait que j’avais une belle imagination. Moi, je regarde beaucoup de films. J’aime regarder des films. Ça m’aide pour l’inspiration.

-Oui. Moi, je dessine toujours des choses intéressantes.

J’allais au cimetière aussi et Jordan semblait aussi aimer les cimetières. Je l’écoutai et il voulait bien en visiter. Oui. Je voulais en voir d’autres que celui de South L.A.. Moi, je n’en avais pas vu beaucoup d’autres sauf dans le Maine. Il y a de beaux cimetières dans le Maine.

-Je veux bien voir les cimetières où on voit comment les gens sont morts. Moi, je veux vraiment voir ça. Je voudrais aller revoir le cimetière dans le Maine. Il est beau.

C’est là que Madame Summers et les autres membres du jury arrivèrent et regardèrent mon dessins après qu’ils nous ait salué. Ils avaient, avec eux, des gens qui venaient de grandes écoles d’art. Dedans, il y avait une femme, Mullins. C’est elle qui parla en premier de mon dessin et sa remarque me fit plisser des yeux. C’est mon dessin… Pourquoi elle parle à Jordan ? Jordan ne sait même pas dessiner.

Jordan expliqua que je ne dessinais pas que de cimetière. Non. Je dessine plein de trucs. Je dessine Batman, T’Kor et plein d’autres gens que je vois dans mes Comics. J’aime lire des Comics… Je dessine parfois des Comics aussi. Avec Batman, souvent.

-Si, je connais Spaceship…

Mullins avait dit ça d’un ton que j’aime pas trop. C’est bien Spaceship. Si elle n’aime pas c’est qu’elle est un peu bête.

Jordan expliqua qu’il saurait pas m’aider pour dessiner car il savait pas dessiner. Oui. Moi, j’ai besoin de personne pour ça. Il disait que je pouvais mieux expliquer le dessin que lui. Mullins et les deux autres me regardèrent.

-Moi, j’ai pas eu besoin d’aide pour faire le dessin… Moi, j’ai tout fait tout seul.

On sentait un peu de contrariété dans ma voix. Mullins plissa des yeux. Elle était pas convaincue. Zimmerman détourna son regard vers le dessins.

-Moi, j’ai voulu faire au crayon gris pour faire ressortir mieux la lune et les reflets. La lune qui illumine le cimetière et se reflète sur les squelettes. J’ai dessiné une partie quand j’étais au cimetière. Puis, l’autre dans ma chambre. Moi, je voulais que ça soit sombre mais clair en même temps.

Zimmerman ne dit rien. Il analysait toujours le dessin mais Brown, lui, fit une petite moue.

-Venant d’un gamin de 11 ans, c’est assez impressionnant. Même si j’ai trouvé que le dessin de la jeune Gala était pas mal non plus avec toutes ces dégradés de bleus. Ce sont deux élèves doués.

Je fis la moue.

-Moi, je trouve que Gala a fait un truc pas mal mais elle a juste utilisé des pastel bleus et elle a fait les vagues d’un bleus différent à chaque fois. C’est pas comme moi j’ai fait pour les reflets. Il n’y a même pas d’ombre dans ce qu’a fait Gala. Puis, un dauphin c’est facile à faire…

Brown fit la moue.

-Vous êtes jeune, Monsieur Fleming… Laissez les juges juger… Gala a fait un petit chef d’œuvre. Vous aussi, je ne dis pas le contraire.

Zimmerman n’avait toujours rien dit alors que j’étais un peu contrarié. Je fronçais les sourcils et Summers intervint.

-Bien ! On va passer au dessin suivant avant de délibérer… Merci Grant et merci, Monsieur Keller.

Ils s’en allèrent tous sans que j’ai le retour de Zimmerman. Je grommelai.

-Le dessin de Gala est moins bien. C’est un dessin de primaire… Moi, j’ai fait mieux ! Et la vieille Mullins pas belle, elle pense que j'ai triché...

Grant avait vraiment mis tout ce qu’il avait dans ce dessin d’un cimetière envahi par des squelettes morts-vivants. Le thème pouvait sembler sombre, peut-être perturbant de la part d’un garçon de 11 ans… Mais ça, c’était pour les gens qui ne connaissaient pas Grant. Moi, je commençais tout doucement à comprendre comment fonctionnait son imagination. Je savais que ce n’était pas parce que ses dessins étaient sombres qu’il avait pour autant des idées noires.

Non… Je le voyais plutôt devenir un dessinateur de BD d’horreur ou alors faire les storyboards pour des films d’horreur plus tard.

Je lui souris.

-Tu veux que je te dise sincèrement ? Je crois que tu pourrais en faire ton métier, du dessin. Je ne te forcerai à rien, tu feras ce que tu veux au final, mais je pense juste que tu as assez de talent pour ça.

Et il avait encore des années pour peaufiner sa technique et son style. Ouais, j’avais bon espoir que Grant grandisse pour devenir un homme à mille lieues d’un Ward Fleming.

Et continuant sur ma lancée, je lui proposai de redécorer l’appartement qui était cruellement impersonnel. Il sembla hésiter un peu ou être plongé dans une profonde réflexion… puis finalement, il hocha la tête pour me dire qu’il était d’accord et que le thème serait les têtes de mort.

Je rigolai.

-Marché conclus.

En effet, je préférais que les voleurs fuient en voyant des têtes de morts sur les murs plutôt qu’en voyant un enfant de 11 ans avec un flingue entre les mains. D’ailleurs, depuis ce jour-là, mon arme était bien cachée et démontée dans un coffre quand je ne le laissais pas tout simplement dans un coffre au commissariat pour être sûr !

Restait à savoir ce que le jury allait en dire, de ce fameux dessin… Parce que me convaincre moi, c’était un peu facile : je n’avais aucun talent artistique, que ce soit en dessin, en musique ou autre. Mon imagination était clairement limitée.

En attendant que ceux-ci arrivent, je proposai à Grant, puisqu’il aimait tant les cimetières, d’aller en visiter. Il était vraiment partant et parla du cimetière qu’il avait vu dans le Maine où sa mère s’était exilée à avec lui pour fuir Ward Fleming…

Ce que je cachais à Grant, c’était que tous les mois, j’essayais d’économiser un peu pour qu’on aille tous les deux passer quelques jours dans le Maine. Mais j’attendais son anniversaire pour le lui annoncer.

Alors je me contentai de sourire.

Puis le jury arriva enfin face à nous. Mais tout comme Grant, je n’aimai pas trop leur façon de soupçonner le garçon d’avoir triché en me demandant de l’aide. Comme si un enfant de 11 ans ne pouvait pas avoir autant de talent. Alors je répondis aux questions en mettant en avant que s’ils voulaient en savoir plus sur l’œuvre qu’ils regardaient, ils devaient s’adresser directement à Grant.

Grant qui s’était, à raison, renfrogné. J’aurais été à sa place, j’aurais râlé aussi.

Il affirma qu’il avait fait le dessin seul puis expliqua la technique du crayon gris qu’il avait utilisée.

Je regardai Summers dans les yeux.

-Et je vous garantis que je n’ai pas pu poser les yeux sur son travail avant aujourd’hui. Je le découvre, tout comme vous.

Brown eut quand même le bon mot de dire que ce dessin était impressionnant au vu de l’âge de Grant. Mais il y avait un « mais » et ce « mais » était la fameuse Gala et son dauphin dont Grant m’avait parlé un peu plus tôt.

Et en écoutant les juges, je me dis que tout allait se jouer entre les deux enfants.

Grant monta donc au créneau, mais avec une critique qui m’impressionna. Il ne se contenta pas de dire que le dessin de sa condisciple était nul, il expliqua pourquoi le dessin de Gala avait des lacunes. En gros, il le trouvait un rien simpliste par rapport à ce que lui avait produit.

Brown tempéra un peu les arguments de Grant… mais avoua quand même que le dessin de Grant, comme celui de Gala, était « un petit chef d’œuvre ». Ils nous saluèrent ensuite puis se retirèrent pour délibérer.

Zimmerman, lui, n’avait pas dit un mot. Et je ne savais pas ce que silence augurait. Une fois les juges partis, Grant grommela son mécontentement.

-Je suis d’accord avec toi. Mais je trouve que tu as bien expliqué pourquoi ils devaient choisir ton dessin et pas celui de Gala. Et tu l’as fait sans la descendre. Je suis vraiment fier de toi.

Je posai ma main sur l’épaule de Grant en signe de soutien.

-Tu crois que Zimmerman a aimé ? Je n’ai pas su lire sur son visage ce qu’il en pensait.

Jordan, il pensait bien que je pourrais faire du dessin mon métier. Moi, j’avais de plus en plus d’idées de ce que je voulais faire plus tard. Policier, garde du corps, boxeur… Moi, j’étais bon en plein de choses. En dessin aussi. Moi, je pourrais, aussi, faire de ça mon métier.

-Oui. Je pourrais faire ça. J’ai du talent.

Moi, je ne doutais pas de mon talent. Je savais que j’en avais. Maman disait toujours que je dessinais bien. Jordan aussi. Et d’autres gens aussi. Moi, je savais que j’étais bon et j’aimais faire ça alors pourquoi pas ? Moi, je pourrais dessiner des BD comme ceux qui font Batman.

Jordan me proposa de redécorer la maison aussi et j’acceptais à condition que je puisse dessiner des têtes de morts. Moi, j’aimais bien les têtes de morts. Il accepta.

Ce fut là que les jury arrivèrent. Il y avait les professeurs de mon école mais ceux d’écoles d’art aussi. Moi, rapidement, j’ai pris Mullins en grippe parce qu’elle semblait croire qu’on m’avait aidé pour faire mon dessin… Puis, elle avait pas l’air d’aimer Spaceship. Moi, je pense simplement que Mullins est stupide et n’a pas de goût. Voilà. Tout simplement. Et je me renfrognai un peu quand elle insista sur le fait que j’avais triché.

Moi, j’ai pas triché. Moi, j’ai du talent, c’est tout.

Jordan confirma encore qu’il ne m’avait pas aidé et qu’il avait découvert mon dessin aujourd’hui. J’hochai de la tête.

-Oui. Je lui avais pas montré avant. Moi, j’ai tout fait tout seul.

Brown trouvait mon dessin bien mais il trouvait aussi que celui de Gala était bien. Moi, je savais que Gala avait fait un bon dessin mais il était simple et le mien était mieux. Elle avait mis trop de couleurs… Puis, un dauphin c’est facile à faire. Plus facile qu’un squelette ! Moi c’est ce que je dis et je savais que j’avais raison mais Mullins lança que ça sera à eux d’en décider.

Je plissai les yeux assez contrarié parce ce qu’avait dit les juges. Seul Zimmerman n’avait pas parlé et quand ils s’en allèrent, moi, je râlai un peu. Jordan était d’accord avec moi et trouvait que j’avais bien expliqué pourquoi mon dessin était le mieux. Il était fier de moi. Je levai les yeux vers lui.

-Moi, si je l’avais descendue, ils m’auraient sanctionné. Moi, je sais comment les gens fonctionnent dans cette école… Mais mon dessin est meilleur.

Il posa sa main sur mon épaule et je le lassais faire alors qu’il demanda si Zimmerman avait aimé. J’haussai des épaules.

-Je sais pas… Moi, je lis pas dans les pensées. Moi, j’espère juste qu’il aime bien mon dessin. Je veux gagner.

Oui. Parce que c’est moi le meilleur.

Plusieurs autres parents passèrent devant mon dessin sans faire de commentaires. Parfois, certaines étaient étonné ou fronçaient les sourcils. D’autres souriaient mais aucun ne me parla. Moi, je m’en fiche. Je vais gagner à la fin.

J’y croyais.

On nous demanda alors de rejoindre les tribunes de la salle de gym. On allait savoir le gagnant… Je m’installai au premier rang avec Jordan.

-Je vais gagner.

Moi c’est ce que je soufflai alors que devant le micro devant nous Madame Summers fit son petit discours pour dire qu’elle était contente d’être là, qu’elle était content du monde qu’il y avait et qu’elle nous remerciait d’avoir fait de magnifiques dessins. Arrête le blabla et dit le gagnant !

Je soufflai à Jordan.

-Elle va s’arrêter de parler quand ?

C’est quand je dis ça qu’elle en vint au fait :

-Et le gagnant de ce concours n’est autre que Gala Roberts, notre grande artiste de dernière année !

Tout le monde applaudis alors que, moi, mon visage s’assombri d’un coup. Gala ? Non !

-C’est pas juste !

C’est ce que je dis mais ma remarque était couverte par les applaudissements. Gala avait pas le droit de gagner !

-Mon dessin était mieux !!

Gala s’avança vers Summers et reçut sa coupe. Elle remercia tout le monde alors que je la regardais d’un regard très noir. Elle m’a volé ma coupe !

-C’est ma coupe !

Oui. C’est ma coupe.

Gala se plaça alors sur la côté et Summers repris.

-Et en second position, on retrouve Grant Fleming de 11 ans seulement !

Tout le monde applaudis à nouveau. Mais moi, j’étais fâché. Summers regarda vers moi et me fit signe de venir. Je me levai, m’avançait, pris ma médaille d’argent et me retournai vers le micro.

-Moi, je devais gagné. Le jury est nul !

C’est tout ce que je dis avant de rejoindre ma place. Summers était un rien choquée mais s’empressa de reprendre contenance pour donner le nom du troisième du concours. Moi, je me refrognais croisant les bras.

Le jury nous avait quitté sur une notre douce-amère… Parce que leurs réactions étaient mitigées. Pourtant, je trouvais que Grant avait bien défendu son dessin. Mieux encore, il avait su parler de sa rivale en termes mesurés.

Ce pour quoi je le félicitai une fois que tout ce petit monde passa au dessin suivant. Grant m’expliqua alors que s’il avait été calme dans ses propos, c’était uniquement parce qu’il redoutait une sanction. C’était déjà bien. Fut un temps pas si éloigné que ça où il n’en aurait rien eu à foutre de se faire sanctionner et où il se serait laissé complètement emporter par ses émotions.

Il réaffirma que son dessin était meilleur que celui de Gala. Je hochai la tête.

-Moi, c’est ce que je pense aussi. Un dauphin, c’est assez classique comme dessin… Le tien sort clairement de l’ordinaire.

Je dis ça en grimaçant un peu. J’avais peur que ce soit cette originalité qui lui fasse louper la coupe du gagnant. Je commençais moi aussi à connaître les mœurs de cette école et je devais dire que des fois, ils étaient un peu trop politiquement corrects… un peu coincés…

Alors un enfant de 11 ans qui dessine de zombie, ça dépassait leur conception des choses.

On ne savait pas, en plus, ce que Zimmerman en avait pensé et Grant n’en savait pas plus que moi. En tout cas, mon garçon n’avait qu’un objectif bien clair : gagner.

J’étais en train de réaliser que peut-être, la leçon d’aujourd’hui serait pour lui d’apprendre à perdre. Et en même temps, c’était un peu injuste parce que son dessin était clairement au-dessus des autres. La défaite et l’injustice en prime, ça allait être pas facile pour moi de le lui expliquer.

-On verra bien. Je sais que tu veux gagner mais tu sais, parfois, les jurys, ils ont un cahier des charges à respecter.

Des critères que les dessins devaient remplir… Et si « joie de vivre » ou « couleurs » en faisait partie, Grant était un peu mal barré.

Après quelques minutes, nous furent invités à rejoindre les gradins pour la remise des prix. Summers se lança dans un discours bien trop long pour Grant que je sentais de plus en plus tendu à côté de moi. Quand il s’impatienta tout haut, je me contentai de poser ma main sur sa nuque et de le masser légèrement. Ouais, il était tendu.

Et le coup de grâce arriva. Gala Roberts remporta le concours et la coupe qui allait avec. Une injustice que Grant souligna tout haut, ses mots engloutis par les applaudissements. Moi, je n’applaudissais pas : ça aurait été une trahison envers mon pupille.

-Du calme, Grant. Du calme. Je sais que ce n’est pas juste, mais on ne peut rien y faire.

Il remporta quand même la deuxième place et donc la médaille d’argent qui allait avec et ne se gêna pas pour faire une annonce au micro en passant comme quoi le jury était nul. Je ne savais pas si je devais rougir de la franchise de Grant ou rire de son culot.

Il revint près de moi, sa médaille au cou et se renfrogna en croisant les bras.

-Attend, laisse-moi voir.

J’admirai sa médaille et lui dit, alors que la remise des prix continuait :

-Tu sais, j’ai fait le Vietnam et on ne m’a jamais donné de médaille pour ça. Pourtant, j’ai mené toutes mes missions à bien. Ça aussi, c’était injuste… Et tous les jours, j’aide des gens et je ne reçois pas de médaille non plus.

Je haussai les épaules.

-Toi, tu en a une… C’est déjà bien. Et je suis sûr que tu en auras d’autres. Je suis fier de toi.

Je lui souris.

-Tu veux qu’on laisse ces losers continuer et qu’on se fasse un McDonald ?

Oui. Le dauphin de Gala est trop simple. Le mien est mieux. Jordan était d’accord. J’hochai de la tête. Moi, je voulais que les juges s’en rendent compte. Mais je n’avais pas vraiment aimer leurs commentaires. Surtout ceux de Mullins. Je ne savais pas ce que Zimmerman avait pensé, lui. Il avait rien dit. Moi, j’espérais qu’il soit moins bête que les deux autres.

Parce que je méritais de gagner. C’est ce que je pensais et ce que je disais. Mais Jordan, lui, ne semblait pas aussi sûr que je gagne car il ne cessait de dire « on verra bien ». Il ajouta que les juges avaient parfois des cahiers des charges à respecter. Je plissais des yeux. Un cahier des charges ?

-Pourquoi ? Un dessin c’est beau ou non. On avait pas de thème. Moi, je ne vois pas quel cahier des charges il pourrait il y avoir s’il y avait pas de thème.

Oui. C’était libre. Ils pouvaient pas faire des règles sans nous les dires. Ça serait injuste.

Après un moment, on fut appelé pour savoir qui était le gagnant. Madame Summers fit, avant ça, un trop long discours et, ensuite, le gagnant fut annoncé.

Sauf que ce n’était pas moi mais Gala.

Moi, je ne comprenais pas ! J’étais frustré et je le fis assez vite remarqué même si personne m’avait entendu à cause de tous les applaudissements pour Gala. Jordan me disait de rester calme. Il trouvait aussi que ce n’était pas juste mais qu’on ne pouvait rien faire.

-C’est pas juste !

Vraiment pas ! Je serrai très fort des poings et quand je reçus la seconde place, je me déplaçai près du micro pour prendre ma médaille et dire à tout le monde que ce n’était pas juste DU TOUT ! Summers ne dit rien et je retournai à ma place toujours aussi frustré.

Jordan voulait voir ma médaille. Je ne bougeai pas le regard fixe devant moi mais le laissait faire. Il regarda ma médaille et disait que, lui, on lui avait pas donné de médaille quand il est revenu de la guerre. Je détournai mon regard vers lui plissant les yeux. Il disait aussi aider les gens tous les jours sans avoir de médailles.

-Quand je fais la justice, je n’en ai pas non plus. C’est injuste aussi.

Oui. Parfois, quand je fais la justice à l’école, on m’engueule. C’est encore pire que de pas recevoir de médailles. Mais tout ça n’empêchait pas vraiment la frustration de m’envahir.

-Moi, j’en ai marre des injustices. Il y en a tout le temps.

Il disait qu’avoir une médaille c’était bien et j’en avais eu une. En argent. Je voulais la coupe, moi. Il disait être fier de moi. Ce n’était pas la première fois que Jordan me disait ça mais, aujourd’hui, ça me dérida un peu le visage. Je ne dis rien regardant Jordan dans les yeux avant de dire.

-Oui. Mais j’aurais dû gagné.

Et j’avais, maintenant, envie de partir. Jordan aussi. Il voulait qu’on aille au McDonald.

-Oui. Et on ira au parc d’attraction un jour aussi parce que je pense que je mérite.

Oui. Je mérites. On quitta notre place pour se diriger vers la sortie alors que les discours continuaient. Moi, j’avais envie de partir. Sauf qu’une fois qu’on fut dans le couloir de l’école on fut rattrapé par Zimmerman qui s’était, aussi, éclipsé de la remise de prix.

-Attendez, Monsieur Keller.

On se retourna vers Zimmerman qui avait interpellé Jordan. Je plissai des yeux. Il vient pour quoi ?

Il arriva à notre hauteur et souris.

-Sachez que je n’étais pas d’accord concernant le classement. Pour moi, Grant était largement au-dessus de ses autres congénères. Il a un talent exceptionnel pour son âge. J’ai rarement vu autant de précision chez un enfant de 11 ans. Le thème choisi montre aussi une grande imagination.

Je levai un sourcil. Il pensait que j’aurais dû gagner ? Et bien c’est le seul qui n’avait pas de merde dans les yeux.

-Oui, j’aurais dû gagner !

Zimmerman rigola un peu.

-Certes. Mais ce n’est qu’un concours d’école primaire. En soi, le gagnant a peu d’importance. Ce qui compte pour moi, ici, c’est de voir s’il n’y a pas un jeune talent à faire grandir. Et j’en ai trouvé un aujourd’hui. Vous, Monsieur Fleming.

Il trouvait que j’avais du talent. Il n’avait rien dit tout à l’heure mais maintenant, oui. Ça ne me rendra pas ma coupe et ça m’énervait un peu.

Il fixa alors Jordan.

-Je viens pour vous proposer que Grant participe à mes cours destinés aux adolescents. Ce sont des cours ayant lieu le mardi soir. Il pourra y apprendre bon nombre de technique et perfectionné les siennes. Certes, ces cours ont un coût mais vu le talent de Grant, je peux intervenir pour demander à ce qu’il puisse bénéficier d’une réduction. A savoir que suivre ce cours lui donnera de bonnes références si jamais il veut entrer dans une école d’art après son cursus de secondaire.

Des cours ? Avec un professeur pour grands ? Oui. Je voulais ça. Je levai les yeux vers Jordan.

-Moi, je veux aller à ce cours !

Oui. Je voulais ça.

J’essayais de préparer Grant à une éventuelle défaite. Pas que je pensais que son dessin n’en valait pas le coup, que du contraire ! Mais l’art, c’est tellement subjectif ! Quelqu’un peu adorer un tableau et une autre personne, détester ce même tableau.

Alors je lui parlai de l’éventuel cahier des charges qu’avaient peut-être les juges. Mais Grant ne voyait pas en quoi ils pourraient en avoir un, vu qu’il n’y avait pas de thème défini… Je frottai mes yeux d’une main, enfonçant fort mes yeux dans mes orbites, cherchant à m’expliquer plus clairement.

-Il ne faut pas oublier que ce concours est un concours d’école primaire. Pour moi, mais ce n’est que mon avis, tu dépasses ce niveau. Ton dessin a quelque chose de plus mature, tu comprends ?

Je haussai les épaules.

-Les juges privilégieront peut-être quelque chose de plus « classique » qui plaira aux enfants et aux parents.

J’avais appris qu’il ne servait à rien de m’adresser à Grant comme à un enfant. Déjà parce que ça l’énervait et de deux, parce qu’il était très capable de comprendre énormément de choses. A mon avis, il était en avance sur les enfants sur les enfants de son âge… Ce qui le rendait un peu intolérant à la frustration.

Et comme de fait, quand Gala remporta le concours et lui, seulement la deuxième place, il ne se gêna pas pour dire son mécontentement au micro. Fort heureusement, cela ne déstabilisa pas grand monde.

Et puis… Les artistes, il n’y a rien à faire, ne pouvaient pas s’empêcher de s’exprimer.

Quand il revint près de moi avec sa médaille d’argent, j’essayai de lui expliquer que, malheureusement, souvent, les bonnes actions autant que les belles œuvres, étaient mal récompensées. Et toutes ces injustices tapaient clairement sur le système de Grant.

Je soupirai en lui frottant le haut du dos d’une main.

-Je sais, moi aussi ça m’énerve. Mais si tu veux devenir un artiste, tu seras souvent confronté à des gens qui n’aimeront pas ce que tu fais. Mais c’est ton art. C’est toi qui t’exprimes…

Je lui souris.

-Même les plus grands artistes ont leurs ennemis.

Sans compter tous ceux dont les œuvres n’étaient reconnue que posthume, mais j’avais une trop mauvaise culture générale que pour lui citer des exemples.

Là-dessus, je proposai à Grant qu’on s’éclipse pour aller manger un McDonald. Il était partant bien qu’encore un peu renfrogné. Ah… Et il voulait aller au parc d’attraction, aussi, vu que c’était le premier prix du concours.

-On ira ce week-end, si tu veux.

Mais alors qu’on se dirigeait vers la sortie, une voix d’homme m’interpela. Je me retournai dans le même mouvement que Grant pour découvrir que Zimmerman nous courait après.

-Monsieur Zimmerman ?

Je haussai un sourcil intrigué quand il sourit.

Et je ne m’attendais vraiment pas au discours qu’il tint ensuite.

D’abord, il valorisa le talent hors norme de Grant. Grant qui réitéra qu’il devait gagner d’un air outré. Mais Zimmerman n’avait pas fini. Il n’était pas seulement venu faire son mea culpa. S’adressant à Grant, il affirma qu’en fait, il était un découvreur de talents. Le dessin de Grant l’avait apparemment bluffé.

En enfin, Zimmerman proposa que Grant suive ses cours du soir. Les mardis soirs. Un cours pour les adolescents et donc au-delà de l’âge de Grant. Il voulait même nous faire bénéficier d’une réduction, ce qui prouvait qu’il voulait vraiment avoir le petit dans ses rangs. Sans compter les références que ça donnerait à Grant.

J’étais encore bouche bée, suffisamment pour avaler des mouches, quand Grant, lui, réagit au quart de tour. Je regardai Zimmerman… Puis Grant… Puis à nouveau Zimmerman.

-Où est-ce qu’on signe ?