Pour l'instant, mes journées se résumaient comme suit: le matin, j'allais travailler au garage, puis, je traçais en voiture jusqu'aux studios MTI. Là-bas, je m'occupais de tout ce qui était plus ou moins logistique étant donné qu'il n'y avait pas de scène à monter. Je m'occupais des caprices de Billy... Aussi. Je rigolais beaucoup avec Cash qui était toujours à côté de ses pompes. L'incendie de l'appartement du chanteur avait réveillé le métisse pendant un concert. Un concert génial où je n'avait pu que regarder, les yeux grands ouverts devant tant de puissance et de haine envers les médias.

Et puis ils étaient retournés en studio, bien décidé à continuer leur album et portés par la motivation que les quelques nouvelles chansons jouées en public avant même d'être sur l'album leur avait apportée. Je n'avais jamais vu une telle frénésie chez eux. Ni une telle harmonie d'ailleurs.

Mais ce matin, Lenny m'avait sonné alors que j'étais au garage. Il était complètement paniqué et je pensais bien que Cash nous avait fait une overdose ou que Billy avait trouvé autre chose à quoi bouter le feu. Mais non... Le gros Lenny paniquait simplement parce que notre responsable lumière venait de s'électrocuter. Heureusement, il n'était pas mort, mais allait être en incapacité de travail quelques jours.

Lenny me demanda... Non, il me supplia de venir remplacer le gars. J'aurais bien voulu, mais je n'y connaissais rien lumière et vu que Billy était pointilleux, valait mieux pas jouer avec le feu... Cependant, je pensais quand même bien pouvoir l'aider. Il me suffirait d'un coup de fil et d'une petite discussion. Et ça devrait aller. C'est ce que je dis à Lenny.

Une fois le combiné raccroché, je le décrochai à nouveau. Et je composai la numéro de Willy Harris. C'était un gars sympa, mais aussi très indépendant. Il pouvait prendre le job, mais aucun doute qu'une fois le remplacement fini, il irait voir ailleurs. Il ne tenait pas en place, ce mec. C'est à un festival, alors qu'il était responsable lumière pour un petit groupe pas très connu que je l'avais rencontré. Moi, je travaillais déjà pour The Lightening. C'était lors de leur première tournée. Et on avait très vite sympathisé.

Quelques tonalités puis il répondis. Je lui dis de passer chez moi le soir même, qu'on discuterait d'un boulot autour d'une bière et de chips. Il eu l'air d'accord et je raccrochai.

Le soir même, les bières et les chips étaient au rendez-vous. Il ne restait plus que Willy.

En ce moment, Willy ne pétait pas la forme. Il restait allongé sur son sofa, à zapper toute la nuit. Résultat : de grosses cernes s'étaient creusées sous ses yeux. Et puis, côté alimentation, c'était malsain et pas équilibré. Heureusement, son appartement n'était pas un taudis non plus. Quelques vieilles canettes de bières ou de coca jonchaient le sol, mais ce n'était rien en comparaison... de la salle de bain. Inutile de la décrire, ce serait traumatisant.

Il avait bien pensé à engager une femme de ménage, mais c'était trop cher. Surtout qu'en ce moment, les propositions de job ne couraient pas les rues... Certains groupes, lorsqu'ils avaient besoin de lui, voulaient le retenir encore quelques semaines, mais question ambiance, ils n'étaient pas au top. Willy avait besoin de se sentir intégré et qu'il y ait un vrai esprit de camaraderie. Sinon, on le payait, puis il se cassait.

Alors quand il reçut un appel d'un certain Abel Hudson, il en resta perplexe. Abel... Il reconnaissait son nom et sa voix, mais il n'arrivait pas à les associer à un visage. Pendant quelques secondes, il se mit à réfléchir intensément, puis, soudain, il se rappela que c'était un roadie, qu'il avait rencontré lors d'un festival. Même si ça n'était pas très loin, en fait, il ne s'en souvenait que vaguement. Ce type travaillait pour The Lightening. Willy avait mis du temps à le croire. Il décida d'être au rendez-vous, surtout si Abel avait quelque chose à lui proposer.

Le soir venu, il ne se pressa pas. S'habillant comme à son habitude, il se rendit chez Abel. À pieds, parce que d'une part il avait besoin de se remettre les idées en place, de l'autre parce qu'il voulait réfléchir un peu avant d'y aller. Il sonna à sa porte, attendit quelques instants, puis le jeune homme lui ouvrit la porte. Ne sachant pas s'il fallait lui serrer la main, Willy se contenta de le saluer de la tête, pénétrant dans son appartement.

- Tu as de la bonne bière, au moins ? fit-il avec un sourire narquois, propre à l'expression habituelle qui apparaissait sur son visage.

Il jeta un coup d’œil autour de lui, puis, jugeant qu'il pouvait faire comme chez lui, s'assit sur le canapé. Avant de prendre une poignée de chips, il déclara sans ciller :

- Alors, pourquoi tu m'as fait venir ?

Il se rappelait maintenant exactement de leur rencontre. Ils avaient discuté quelques instants et il fallait dire qu'Abel était plutôt sympathique. Willy haussa un sourcil, détendu, et s'installa plus confortablement sur le sofa.

Le jeune roadie fini par arriver avec des cernes monumentales et son air détaché que j'avais déjà pu lui voir lors du festival. A le voir avec une tronche aussi fatiguée, je me demandais s'il était pas aussi débordé que moi. J'espérais que non, sinon, aucune chance qu'il rejoingne The Lightening, même pour quelques mois. Il ne me serra pas la main, se contentant d'un hochement de tête en me demandant si il y avait de la bière... Je fermai la porte derrière lui.

-Salut à toi aussi, Willy.

Mais je souriais, loin d'être vexé. J'étais Roadie de The Lightening et par extension, de Billy Lighter, je cotoyais aussi ce gros nerveux suant de Lenny, Cash toujours à côté de ses pompes, et beaucoup d'autres personnages haut en couleurs. Willy n'en était qu'un de plus. Mais de chacun d'eux, je ne tirais que le positif: Billy était l'être le plus humain sur cette terre, Lenny était totalement dévoué à The Lightening et tenait le coup là où beaucoup d'autres auraient déserté depuis longtemps, la distraction de Cash lui donnait un humour hors norme... Et Willy... Willy, je ne le connaissais pas encore assez bien pour savoir ce qu'il y avait de bien en lui. Mais je savais déjà une chose: dans son domaine, c'était un des meilleurs, même si c'était un putain de mercenaire incapable de se stabiliser et de rester fidèle à un groupe.

Le jeune homme s'était installé dans le divan. Et je lui tendis une bière que j'avais pris au passage sur la table de la cuisine, une fois décapsulée. Les chips, eux, étaient déjà sur la table du petit salon. J'en pris une poignée et la fourrai dans ma bouche avant de parler la bouche pleine.

-On a eu un problème avec notre responsable lumière.

J'avalai avant de continuer parce que je postillonnais partout.

-Il s'est fait juté. Alors il nous faut un remplaçant.

Je souris.

-Remplaçant donc pas de contrat à long terme. Je me suis dis que c'était un truc pour toi.

Willy semblait parfaitement à l'aise, mais il cachait son embarras. Il s'était installé confortablement, comme s'il était chez lui, et il écoutait maintenant Abel avec attention, un pli se formant entre ses sourcils. Il pensait comprendre de quelle manière le roadie avait besoin de lui. Il attrapa la bière que son collègue lui tendait, et l'ouvrit, puis en but une goulée. Il la posa sur la table basse, prit une chips au passage, et l'avala avant de répondre.

- Je vois.

Ce qui l'intéressait, c'était le salaire. Bon, ok, travailler – même à court terme – pour The Lightening, c'était un grand honneur, et il ne devait pas laisser passer l'occasion. Il réfléchit un moment, puis déclara lentement :

- Et... quand avez-vous besoin de moi ?

Il sourit. Cette phrase signifiait qu'il acceptait la proposition d'Abel, et avec joie surtout. Il aurait du travail, au moins. Ça lui permettrait de se changer les idées. Surtout qu'en ce moment, c'était pas la grande forme... Et puis ce responsable lumière qui s'était fait juté, il n'était vraiment pas doué. Malheureusement, ça faisait partie de cette profession, et il fallait s'attendre à tout.

Willy ne comprenait pas trop pourquoi Abel ne lui en avait pas parlé simplement au téléphone... Peut-être parce qu'ici, ça leur permettait de parler plus librement et longuement. Et le faire autour d'une bière et de quelques chips, c'était encore mieux. Le jeune homme but quelques gorgées de sa canettes et se décida enfin à demander :

- Je serais payé combien ?

Il fallait avouer que ce n'était pas tout ce qui l'intéressait. Voir un concert de The Lightening tout près et faire en sorte que tout se passe bien niveau éclairage, c'était quand même fun.

Fallait juste un peu de patience avec Willy. Mais je savais que tout irait bien. Au pire, il ne pouvait que refuser ma proposition, pas besoin, pour ça, de me faire un deuxième trou de balle... Mais j'avais avant tout pensé à lui parce que dans le genre, il avait pas mal d'imagination. Et comme je savais que Billy Lighter aimait travailler et parler avec des pros, Willy serait tout à fait le gars qu'il nous fallait. Sans compter que son travail bien fait et toujours dans les délais rassurerait Lenny.

Du coup, notre conversation, pour l'instant, se limitait à ce que Willy devait savoir pour que le proposition l'intéresse encore plus. Mais son petit sourire quand il demanda quand on aurait besoin de lui m'éclaira sur le fait qu'il était déjà à deux doigts d'accepter la proposition. Mais il devait bien faire attention à sa réputation de mercenaire... Ça me fit sourire moi aussi et je bus une bonne gorgée de bière avant de lui répondre.

-Et bien... Si ça t'intéresse, demain à 8 heures, on peut aller voir Lenny. Le manager de The Lightening. Le pauvre est tellement stressé par cette histoire de loupiottes qu'il ne dira pas non à un pro comme toi.

Je lui balançai un chips à la figure quand il demanda combien on était payé. Tout ça en rigolant évidemment. Fallait pas me la faire à moi! Il allait quand même pas me dire qu'il refuserait une place de roadie pour The Lightening! Parce que sans compter le salaire, cela signifiait pourvoir rencontrer le groupe, Billy, Cash, mais aussi tous les gens qui les entouraient et qui, sans avoir la même notoriété, gravitaient autour du groupe et n'en étaient pas moins intéressants et originaux.

-9 dollars de l'heure, repas payés par MTI...

Je fis de grands gestes avec mes bras tellement ça, c'était rien comparé à:

-Et la putain d'opportunité de rencontrer le groupes! De passer des soirées entourés de groupies comme si on était nous-même The Lightening! Merde c'est pas rien tout ça!

Je le bousculai un peu.

-Tu n'auras qu'à venir avec moi! Je te présenterai et je te montrerai avec qui il faut parler et avec qui il faut traîner! En plus, tu pourras parler de certaines de tes idées à Lighter! T'as de l’imagination, mec! C'est le moment de mettre ton talent en avant! Souris un peu!

Je lui ouvris une deuxième bière alors qu'il n'avait pas encore fini la première...

-D'ailleurs, The Lightening enregistre pour le moment. Bientôt l'album et puis la tournée...

Je poussai la bière vers lui.

-Alors je te garantis qu'on a intérêt à commencer l'entraînement maintenant!