Le coup de fil tant attendu de Daniele Ricci avait fini par arriver. Vers onze heures du matin, après une soirée à jouer au Stryge et où on s'étaient tous retrouvés chez Clepto complètement bourrés. Enfin, je savais pas vraiment pour les autres, mais ça avait été mon cas. Après avoir été malade trois fois pendant ce qu'il restait de nuit, j'avais fini par m'endormir sur mon vieux matelas miteux, avec Zoey dans mes bras. Et elle s'était endormie en faisant tourner une mèche de mes cheveux autour de ses doigts. Je ne savais pas depuis combien de temps on sortait ensemble parce que dans ma tête, des événements qu'on avaient vécus en tant qu'amis se mélangeaient avec les plus récents, brouillant mes repères. Mais de toute façon, le savoir n'était pas vraiment important je préférais vivre le moment présent.

Et c'était la sonnerie stridente du téléphone qui nous avait tous réveillés. J'avais d'abord eu pour réflexe de placer mon coussin sur ma tête pour ne plus entendre ce bruit qui me vrillait mon cerveau encore embrumé. Et pourtant, j'étais quand même, au final, le seul qui avait su lever son cul pour aller répondre. Bon, ok, plus parce que je voulais que ça s'arrête qu'autre chose.

Et pourtant, ma gueule de bois fut très vite passée quand je reconnu la voix du manager italien. Celui-ci, sans tourner autour du pot, nous faisait la grâce de nous autoriser à utiliser un de ses studios du centre-ville pour y enregistrer une démo. Mais attention : nous n'avons que trois jours pour le faire. Un pour la guitare et la voix, un autre pour la batterie et les basses et le troisième pour peaufiner le tout. Et ce serait là-dessus qu'il se baserait pour savoir s'il nous financerait pour un album entier ou nous.

Bref, on avait intérêt à faire ça bien.

On m'avait enlevé mon bandage il y avait de ça trois jours, et Ricci semblait être au courant. J'avais la main encore un peu raide et ma peau avait une couleur bizarre, mais j’avais directement recommencé à jouer de la guitare et je récupérais vite.

Le jour même, Clepto et les autres étaient allés enregistrer les lignes de batterie, de basse et la lead guitar. Notre guitariste avait travaillé son solo, faisant enregistrement sur enregistrement, et descendant bière sur bière avec nous, qui étions restés dans l'aquarium de l'ingénieur du son, jusqu'à 3 heures du matin. Certes, on avait bu... Mais ça ne les avait pas empêcher de faire du très bon boulot, nous laissant le studio, dès le lendemain, à moi et Zoey pour enregistrer la guitare rythmique et le chant. Les autres avaient leur boulot à assurer... Parce que l'argent de cet enregistrement, on ne s'attendait pas à le voir de si tôt et il fallait bien bouffer.

Sauf que Zoey ne s'attendait à venir avec moi que pour m'encourager. On a pris le bus jusqu'aux studio, elle sur mes genoux parce qu'il y avait énormément de monde. Et quand on entra au studio et que j'ouvris le boîtier de mon guitare, ce n'était pas ma Flying V qu'il y avait dedans, mais celle de Zoey que je lui tendis.

-Allez, au boulot.

On avait décidé, avec Roadtramp, d'enregistrer la chanson préférée de notre public, celle qu'on faisait à chaque fin de concert, long ou court. Je souris à Zoey.

-Le groupe tient à ce que ce soit toi qui joue de la guitare rythmique sur le single...

L'ingénieur du son nous installa dans le studio, me donnant deux casques. Je mis le sien à Zoey avant de mettre le mien. Puis l'ingénieur du son revint, avec un casier de bière.

-De la part de Ricci.

Je souris. Ce mec avait vraiment tout prévu !

Je connaissais tellement bien Zo que même trois jours avant, alors que notre idée de faire jouer la jeune femme sur le single avait été bien décidé par tous les membres du groupe, j'avais pu imaginer comment elle allait réagir. Oh, pas au mot près, bien sûr, Zoey allait quelques fois chercher ses répliques sur je ne savais quelle planète d'où elle venait et il était impossible de former ses phrases à sa place.

Mais je savais qu'elle allait être d'abord surprise, un peu gênée, qu'elle allait argumenter comme quoi ce n'était pas son job, même si c'était un cadeau génial, et qu'elle allait saupoudrer ça d'une pointe d'humour ou de dérision. Bref, Zoey, quoi...

Et c'est exactement ça qu'elle fit, valorisant le groupe et son travail à son propre détriment. Et heureusement que je savais que c'était du jeu, entre elle et moi. Parce que les ingénieurs du son présents, eux, nous regardaient comme si on était sur le point de vraiment s'engueuler. Alors que non, c'était juste la façon Zoeyienne de dire « merci ». Je souris d'ailleurs aux trois gars qui faisaient les branchements pour leur montrer que tout allait bien.

Zoey se calma, ou plutôt, fit mine de se calmer, quand elle eu le casque sur la tête. Et c'est là qu'un véritable petit stress naquit en elle. Quand elle me demanda si j'allais rester là. Je me penchai et déposai un baiser rapide sur les lèvres de Zoey, pour la rassurer.

Je remerciai le roadie pour les bières et lui fit signe de déposer le casier à côté du micro destiné au chant. Puis, je reportai mon attention sur Zo.

-Évidemment que je reste là... Je vais pas te laisser seule dans cet aquarium... Et puis faut que je te surveille ! Faudrait pas que la chanson devienne d'un coup un truc de gonzesse !

Je rigolai de ma propre connerie et lui fit un clin d’œil. Si y avait bien une fille qui faisait pas les choses comme une fille, c'était bien Zo ! Et évidemment, elle savait que je blaguais...

Je caressai sa joue tout en lui expliquant, sérieusement cette fois, comment je voyais les choses.

-Heu... En fait, j'aimerais bien essayé une fois de voir ce que ça donne si on ne dissocie pas la rythmique du chant. Donc on ferait ça une fois ensemble. Puis après on fera en séparé. Sauf si t'as une autre idée.

J'allais chercher une bière dans le casier. Puis me retournai vers elle. Même si je parlais aussi pour les gars qui nous encadraient.

-Mais même quand on enregistrera ta track puis la mienne, je resterai avec toi dans cet aquarium...

Je lui tirai la langue.

-Mais uniquement parce que les bières sont ici !

J'étais déjà prêt à courir dans le studio s'il fallait échapper au courroux de la jeune femme. Tout en évitant le matériel précieux qui nous entourait, évidemment... J'avais du mal à me retenir de rire, déjà...

-Alors, on s'y met ? C'est pas comme si on avait que ça à faire !

Provocation ultime !

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