J'entrepris de descendre du bus, titubant sans m'en rendre compte, désorienté, mon cerveau cherchant à équilibrer mon corps tout en profitant des dernières vapeurs d'adrénaline provoquées par l'accident. L'avant de notre moyen de transport s'était écrasé contre un panneau de signalisation dont on ne pouvait plus vraiment dire ce qu'il signalait. Pictogrammes que je n'aurais de toute façon pas compris.

Je bougeai mes boucles de cheveux de mes yeux. J'étais parti en éclaireur, Billy étant resté caché dans le ventre du bus. Les autres, Lenny, le chauffeur et les membres du groupe, eux, étaient déjà sortis et étaient pris en charge par des hommes en uniformes, mélange abstrait de pompiers, de policiers et d'ambulanciers. Un dispositif bien trop important comparé à la gravité de l'accident.

Mais ce n'était pas tant l'accident que The Lightening qui avait mobilisé les troupes.

Toute la largeur de la route avait été bloquée et je ne voyais que des couleurs : des lumières bleues clignotantes, le bleus des uniformes de police, le rouge des pompiers, le jaune rouge orange des ambulances. Un buvard de LSD n'aurait pas pu faire mieux comme stroboscope.  

Je descendis une marche de plus, m'accrochant à la courte rampe du véhicule. Je n'avais mal nulle part, j'étais juste fasciné par ce qui se déroulait devant les yeux.

Ce chaos, c'était nous qui l'avions créé. D'une certaine façon, nous étions des Dieux.

La peur que m'avait transmise le chanteur quant à notre présence dans le Midwest où il était né s'était envolée avec la fascination qui était née dans mon esprit.

Mes vieilles baskets blanches touchèrent le tarmac. Mais je me tenais toujours au bus. Ce qui ne prenait que quelques secondes me semblait durer une éternité. J'étais désormais capable de distordre le temps, ma notion du temps. Et je souris.

Ce qui devait être un ambulancier vint vers moi, essayant d'attirer mon attention en claquant des doigts devant mes yeux. Mais je ne le regardais pas, je regardait plus loin, je regardais les lumières. Et surtout, je bloquais le passage qui menait à mon meilleur ami. Qu'ils essayent de l'extirper maintenant de ce bus et c'en serait fini de la tournée.

Je ne répondais pas aux questions de l'ambulancier, mais dans mon champs de vision, un visage plus ou moins connu apparu. Celui de... C'était quoi, son nom, encore, à celui-là ?

Le charmeur de serpent...

Je ne sais plus...

Mais il s'avançait vers ici. Et je n'avais aucune idée de si sa présence me plaisait ou non. Était-ce lui qui avait donné l'alerte ? Qui avait appelé les secours ? Je ne savais pas non plus.

Et je m'en foutais.

Tout ça était vraiment trop excitant pour que je m'en soucie.

D'un geste las, je repoussai la main de l'ambulancier qui claquait des doigts.

Je m'étais rendu le premier sur le lieu de l'accident du bus de The Ligthening. Ce qui avait provoqué ce terrible accident? Un pétage de plombs du chanteur, apparemment... Le seul réflexe que j'avais eu à ce moment-là ? Celui d'appeler les secours évidemment. Le chauffeur et les autres membres de l'équipe étaient sortis bien avant les musiciens. D'ailleurs, en parlant d'eux, je ne les avais pas vus avec les autres membres. Ils étaient encore dans le bus ? Je vis Cash descendre de celui-ci en titubant, merde ! Il devait surement être blessé... Et quand les secours furent enfin là, je fus soulagé mais inquiet. Comment mon protégé allait-il se remettre de cet accident ? Je me dirigeais vers lui parce que je voulais savoir comment il allait et s'il avait mal quelque part, mais non, heureusement. Il devait être sonné par la violence du choc... Un ambulancier voulait l'ausculter, mais celui-ci repoussa sa main. Mauvaise idée... Cash n'était pas blessé alors inutile de le toucher. Je regardais l'ambulancier et lui parlai doucement pour qu'il s'éloigne du musicien. Puis, je me mis devant Cash et lui parlait doucement, pour ne pas lui faire peur. Je m'étais beaucoup inquiété pour lui et le reste de l'équipe. J'avais même pleuré en pensant au pire... Après tout, il restait un être humain avant tout.

Comment tu te sens, Cash ?

Lui avais-je demandé en le regardant droit dans les yeux. L'ambulancier s'était éloigné de Cash et puis de toute manière, il avait bien vu qu'il n'était pas complétement à côté de la plaque non ?! Si seulement j'avais été là, j'aurai pu empêcher cette catastrophe... Je soupirais et repris la conversation, en restant toujours à côté de mon protégé.

C'est moi qui ai appelé les secours, quand j'ai su ce qui s'était passé... J'ai vraiment eu peur, je m'attendais au pire. Si seulement j'avais été présent à ce moment-là, j'aurai pu empêcher ce drame...

Je sentais les larmes monter, mais je résistais tant bien que mal pour qu'elles ne sortent pas, surtout devant Cash. Les tremblements dans ma voix, trahissaient mon angoisse vis a vis des membres du groupe, mais surtout de mon protégé. Je tenais vraiment à lui. Je comprenais mieux à présent pourquoi, le bus du groupe avait eu du retard... J'espère qu'il comprend que je tiens vraiment à lui et aux autres membres. Je me suis terriblement inquiété pour lui, j'étais honnête et sincère. J'avais eu tellement peur que j'eut du mal a arrêter mes tremblements dans les jambes et les mains. Les pompiers, policiers, ambulanciers s'occupaient des autres et moi ? Je restais avec Cash. Acceptera-t-il ma présence cette fois ? Prendra-t-il conscience que j'ai eu vraiment peur qu'il lui arrive quelque chose ?

Je restais recroquevillé dans un coin du bus alors que tout le monde désertait le carnage que j’avais créé. Ma tête était enfuie entre mes genoux. Cash s’était relevé et avait titubé jusqu’à la porte du bus me privant, par la même occasion, de son aura protectrice. Aux alentours de mon corps encore tremblant du massacre que j’avais créé régnait un véritable chaos. Celui que j’avais créé en appuyant sur la détente.

J’entendais les sirènes des ambulances, des voitures de flics et de pompiers au dehors. Le son faisait une véritable cacophonie qui venait agresser mes oreilles alors que les lumières bleues qui filtraient à travers les fenêtres brisées du bus éblouissaient mes yeux bleu-vert. Ils devaient être nombreux. A la mesure du drame qui venait de se produire. A la mesure de l’ampleur des conséquences qui allait nous tomber dessus. Toute cette animation était trop grande et je n’osais pas me relever pour sortir du bus. Qu’allait-il me faire quand j’allais sortir ? M’interroger ? Me condamner ? M’enfermer ? Je ne voulais pas avoir la réponse…

Personne n’entra encore dans le bus m’est j’avais cette cruelle impression qu’unes armées d’hommes habillés en blouse blanche n’allaient pas tarder à venir essayer de me sortir de ma torpeur et de me remettre sur la route du Midwest. Je savais qu’ils allaient user de toutes les tortures pour m’y remettre. Je savais que je n’avais aucune chance de m’en sortir.

Au milieu des sirènes, j’entendis une voix. Celle de Luke Werner, le garde du corps de Cash. Je relevais la tête et me concentra sur les paroles de Luke qui me venaient de loin. C’était les seules paroles compréhensibles que j’entendais depuis l’arrivée des secours. Le reste n’était que des sons assourdissants, des ordres, des paroles trop vives pour être comprises. Le garde du corps disait avoir appelé les secours et qu’il s’était inquiété. Il s’adressait à Cash. Les lumières, les sirènes étaient là parce qu’il les avait appelé. Si ça n’avait pas été lui, ça aurait été quelqu’un d’autre. Devais-je lui en vouloir ? Ou le remercier ?

Je me relevai difficilement. Mon corps me faisait mal car je l’avais contracté lors du choc. Je titubais jusque près de la porte, ma vision brouillée rendant le chaos encore plus chaotique. Je me tenais à un mètre de Cash toujours incapable de sortir du bus. Je savais que si je le faisais, les hommes en blouse blanche allaient me sauter dessus. Et tout serait fini, et tout allait recommencer…

Luke s'était avancé vers moi lorsqu'il m'avait repéré. Il avança au milieu des lumières bleues, oranges et rouges, son visage reflétant ces lumières qui lui donnaient tantôt l'air d'être en fureur, tantôt de mourir de peur ou d'être malade... Comme s'il changeait de visage à chaque clignotement. Et puis il y avait cet ambulancier qui m'empêchait de le voir convenablement en essayant d'attirer mon attention. Quelque part, au fond de moi, quelque chose essayait de s'accrocher à l'image de mon garde du corps. Je ne le connaissais pas depuis longtemps et jusque-là, hormis une épine dans le pieds que m'avait enfoncée MTI, il ne représentait rien pour moi. Juste un gars en plus dans le staff, pétri d'une arrogance malsaine, et qui croyait qu'il allait, à lui seul, pouvoir changer la donne. Comme s'il avait un quelconque pouvoir parce qu'il était garde du corps.

N'empêche, dans ce chaos qu'on avait créé et qui ne faisait que grandir, il était la seul image sortant du monde d'avant la catastrophe.

Je pensais qu'il allait éjecter littéralement l'ambulancier, lui parler comme à une merde comme je l'avait déjà vu faire avec des fans exaltés à l'idée de nous voir. Et bien je me trompais. C'est très calmement qu'il annonça qui il était à l'ambulancier qui, désespéré que je ne réagisse pas à ses tests, était bien content de refiler la patate chaude à quelqu'un qui me connaissait.

Et je m'étais alors retrouvé face aux yeux bleus de mon garde du corps qui me demandait comment ça allait... Je lui souris, me tenant toujours au bus.

-Excité... On a frôlé la mort... Encore une fois...

Je quittai ses yeux bleus pour admirer à nouveau notre œuvre clignotante. Les autres étaient pris en charge par les ambulanciers et seul Lenny gueulait comme un goret. Pas de mal, mais de colère et de peur mêlée. Chaque fois qu'on frôlait la mort, ce bon vieux Lenny la frôlait avec nous... Et la presse pouvait bien en penser ce qu'elle voulait, le traiter de mou et de mauviette, de mauvais gestionnaire... Les gens avaient tendance à oublier qu'il avait une sacrée paire de couilles de ne pas encore avoir démissionné.

Mon regard revint sur Luke quand celui-ci se remis à parler. C'était lui qui avait appelé les secours, lui qui avait contribué à rendre le chaos qu'on avait créé encore plus visible. C'était lui qui avait amené les lumière et avait rendu tout ça extrêmement beau. J'accordais à Luke une forme de reconnaissance pour avoir nimbé notre chaos de toute ces lumières.

Mais me mis à rire directement après. Un rire mêlé de douleur parce que mes muscles en avaient pris un coup lorsque le bus s'était mis à tournoyer et que je m'étais crispé. Mais un rire quand même. Je ne me moquais pas vraiment de Luke. Pas de lui. Mais de ce qu'il croyait. Il pensait que s'il avait été là, tout ça ne se serait jamais produit.

Quand je parlais d'arrogance.

Je ne rigolai pas longtemps, j'avais trop mal. Alors je le regardai à nouveau droit dans les yeux, dégageant mes boucles de cheveux de mes yeux, lui dévoilant les trous noirs qui me servaient d'iris. Mon visage était devenu brusquement très sérieux. Mon regard étrangement fixe, verrouillé sur celui du garde du corps, alors que je sentais la présence de Billy juste derrière moi.

-Qu'est-ce que tu crois ?

Il avait les larmes aux yeux, je le voyais bien. C'était un être hypersensible que j'avais en face de moi. Un être instable autant qu’égocentrique... Un type qui voulait être un héros, qui voulais être respecté, sans arriver à aucun de ces deux buts.

-Personne ne peut nous arrêter.

Personne ne se mettrait sur notre chemin.

Je posai ma main sur l'épaule de mon garde du corps. C'était une idée à laquelle il allait devoir se faire : sa présence ne changerait rien.

-Sauf la mort...

Je souris. Même elle n'avait pas encore réussi à nous avoir.

Je faisais toujours la séparation entre mon chanteur et le reste du monde. Et je ne cesserais de le faire que lorsque ce dernier serait prêt. Et même Luke, s'il essayait d'atteindre le rouquin, risquait d'avoir une très mauvaise surprise. Même si j'avais mal.

De la main qui était posée sur l'épaule de Luke, je lui fit une tape amicale avant de rompre le contact. Ce qui venait de se passé se serait passé de toute façon. La seule différence, c'était que Luke se serait peut-être trouvé sur le chemin de la balle tirée par Billy.

Bordel... Mais pourquoi prenait-il cet air cool, alors qu'il y avait eu un accident ! Et encore une fois, c'était raté ce que je voulais faire avec Cash... Je voulais l'aider, mais lui non, une fois de plus. Il n'avait pas besoin de moi, très bien. Après tout ce que j'avais fait pour lui, ainsi que d'avoir appelé les secours en ayant su pour l'accident... Rien... Juste qu'il m'avait dit qu'il était excité par ce qui venait de se passer... Comment pouvait-on ignorer un tel drame ?! La seule chose qu'il m'avait dite, c'était qu'ils avaient frôlé la mort, encore une fois... Toujours face à lui, j'essuyais mes larmes et lui répondis.

Cash.. Je.. Je ne sais pas trop quoi te dire..

C'est vrai, j'avais encore de plus en plus mal à dire ce que je ressentais vraiment depuis l'accident.. Mais pourquoi fallait-il qu'il ne m'apprécie pas ?! Qu'est-ce que j'avais fait au bon dieu pour qu'il refuse de m'écouter ? Tout ce que je disais lui paraissait complétement hors sujet... Je ne pouvais plus continuer comme ça, il fallait que je prenne une décision et rapidement. Ce que je crois ? J'en sais rien et c'est bien là le problème.. Je le laissais parler, car ça ne servait à rien de répondre de toute façon. J'avais épuisé toutes mes ressources pour essayer de me faire accepter par Cash, mais c'était impossible dorénavant et j'en avais plus que marre. Quand il déposa sa main sur mon épaule, je la repoussais gentiment, mais au fond de moi, je savais ce qu'il fallait faire pour que je ne sois plus une ombre vis a vis du musicien. Je n'avais pas vu que Billy était derrière Cash et puis quoi ? Je m'en foutais aussi. J'allais dire ce que j'avais sur le cœur au musicien, ils me perdront et je ne reviendrai pas sur ma décision.

Ce que je crois ? Quand je vois un musicien qui ne prend même pas la peine de m'écouter et qui s'en fout de ce que je dis à chaque fois, me tape sur les nerfs. J'en ai plus qu'assez d'essayer de faire en sorte que ça fonctionne entre nous. Je voulais être ton ami, mais apparemment ça ne marche pas, c'est impossible. À chaque fois, c'est un échec. J'ai fait tout ce que je pouvais pour essayer de me faire une place a tes côtés, mais visiblement, tu n'en veux pas. Tu sais quoi, Cash ? Ce que je vais te dire ne va pas te plaire, mais je n'ai pas le choix.. Et ça fait longtemps que j'y pense..

Je fit une pause.

Je ne veux plus être ton garde du corps, je démissionne. A présent, tu te débrouilleras pour trouver un gars qui te protège ou pas, j'en ai rien à foutre. Moi, c'est terminé, je m'en vais. J'en ai plus que marre qu'on me prenne pour un con. Adieu Cash et si Billy est dans le coin, dis-lui qu'il se porte bien. Tu as perdu quelqu'un d'important et sache le, je ne reviendrai pas sur ma décision.

Je ne sais pas comment il allait le prendre, mais là non, franchement ce n'était plus possible. Vivre avec un musicien qui a des sautes d'humeur ? Insupportable ! Sur ce, je décidais de m'en aller en laissant sur place, comme un con, Cash et Billy, s'il est dans le coin.

Je voyais Cash et je voyais Luke. Je voyais Luke concerné par Cash et Cash concerné par le flot de lumière et de bruit qui entourait le bus. Il y avait un décalage… Un énorme décalage. Je connaissais Cash, je connaissais un peu Luke mais je ne connaissais pas Cash et Luke. Je découvrais la dynamique que les deux avaient ensemble. Une dynamique grippée…

« On a frôlé la mort », disait un Cash excité par les sons et lumières qui d’étendaient à perte du vue. Le périmètre de sécurité ne devait pas être si grand que cela mais j’avais l’impression qu’il s’étendait jusqu’à la côté est et ouest. Je frissonnais aux paroles de Cash. Tout ce qui me choquait le fascinait. Tout ce chaos que j’avais créé, seul lui y trouvais satisfaction. Et Luke ne savait que répondre à ça.

Cash riait, mon cœur battait plus fort. Il riait des paroles de Luke… Du sauvetage de son garde du corps. Il riait de l’importance que voulait prendre Luke dans sa vie. Du chemin qu’essayait de se frayer Luke dans le chaos The Lightening. Et moi j’observais, sans rien dire encore trop choqué par les évènements passés et ceux à venir.

Je voyais la tristesse de Luke et l’indifférence de Cash. Une indifférence qui faisait mal. Cash était cruel, et Luke le voyait. Comme je l’avais mainte fois vu par le passé. Comme la presse ne le voit pas. Comme les gens en général ne le voit pas. Parce que Cash sait les rendre aveugle.

« Personne ne peut nous arrêter, sauf la mort », enchaina mon guitariste. Je reculais d’un pas. La mort était sans cesse à nos trousses. Elle nous traquait encore et encore. Elle nous traquera jusqu’à ce qu’elle ait atteint son but.

*Son but sera atteint tôt ou tard*

Je secouais la tête… Non… Pas encore… Je ne voulais pas de ce aujourd’hui. Luke brisa le lien physique qu’avait créé Cash. Ce lien si artificiel. Rien ne les liait. Rien ne voulait les lier. Puis vint les mots de Luke. Il en avait marre, il démissionnait. The Lightening avait eu raison de sa motivation. Et Cash prouvait à MTI qu’on ne pouvait rien lui imposer.

*Tu savais que ça finirait comme ça…*

-Non…

J’avais dit ça tout haut alors que Luke tourna le dos à Cash et s’en alla. Probablement pour toujours. Je perdais plus que Cash dans l’histoire car Luke était mon espion… Il aurait pu me dire quand Cash se droguait. Mais Cash était à nouveau un électron libre.

-Il reviendra pas…

Je n’étais pas triste parce que je n’avais pas eu le temps de m’attacher à Luke.  Il n’y avait d’ailleurs pas vraiment d’émotion dans ma voix. Les émotions étaient partie toutes ensembles avec le coup de feu. Maintenant, j’étais fatigué. Puis, j’avais pris l’habitude des roadies qui démissionnaient à cause de The Lightening. Ils avaient été si nombreux…

Parce que la mort, avant de nous atteindre, nous esseule.

Luke avait ouvert toutes les vannes. Non seulement il pleurait, mais c'était parti pour une avalanche de mots. Je l'écoutai attentivement, tout du moins au début. Mais ça devint vite très long. Beaucoup de mots pour ne rien dire. Enfin si. Mais un: « Tu m'emmerdes, je démissionne, démerde-toi ! » aurait eu bien plus d'impact sur moi et aurait bien plus imposer le respect.

Billy avait un garde du corps. Liam. Je n'avais jamais vu Liam pleurer. Je n'avais jamais vu Liam dire à Billy ce qu'il devait faire ou pas. Je n'avais jamais vu Liam empêcher quoi que ce soit, ni prétendre pourvoir empêcher quoi que ce soit. Liam était juste là. Il ne parlait ni trop, ni trop peu.

Liam acceptait The Lightening tel qu'il était. Et ne voulait rien changer.

Mais ce n'était pas tant la comparaison avec le garde du corps de Billy qui avait fait la différence. Je n'avais, en réalité, pas encore pu définir ce que je ressentais vis à vis du garde du corps que m'avait imposé MTI. Comment aurais-je pu en avoir le temps ? Luke était arrivé dans le staff après notre concert à Oklahoma City. C'est-à-dire, il y avait seulement deux jours. Et durant ces deux jours, j'avais peut-être passé deux heures avec Werner... A tout cassé.

Et entre temps, je n'avais fait qu'une seule chose : être moi-même, sans masque, sans me cacher, sans faire de faux-semblant. A l'instar de notre toute première rencontre où nous avions essayé de communiquer sans y arriver, alors que j'étais totalement nu, sans rien à cacher.

Il disait qu'il avait essayé d'être mon ami, qu'il avait essayé de devenir important pour moi... En deux heures... Même en deux jours, ça semblait bien court même pour le commun des mortels. Si on avait travaillé ensemble pendant 10 ans, le discours se serait justifié. Mais ce n'était pas le cas.

J'avais finalement arrêté de l'écouter, laissant mon esprit vagabonder de nouveau du côté des lumières. Ces si belles lumières. C'était Noël avant l'heure.

Finalement, Luke tourna les talons. Bon... Ça, c'était fait.

Un sourire se dessina sur mon visage. J'étais à nouveau libre, et satisfait.

MTI allait voir revenir son émissaire bredouille et à deux doigts du burn-out. Ils comprendraient alors qu'on ne m'impose rien.

Je fouillai dans mon pantalon en cuir et sortit avec difficulté un paquet de cigarette complètement écrasé par les chocs qu'on avait subit durant l'accident. J'allumai ensuite une clope tout aussi plate.

Il ne reviendra pas...

Soufflant la fumée de ma clope, je me tournai vers Billy qui s'était approché et haussai les épaules...

-Mais il n'est pas mort, comme tous les autres...

Je m'accrochai à la rambarde pour remonter difficilement les marches qui menaient à l'intérieur du bus et rejoindre Billy dans son antre dévastée. Une fois à ses côtés, je regardai avec lui vers les lumières.

-Il n'a même pas eu le temps de naître...

Luke avait été avorté, aux yeux de The Lightening. Pas le temps de s'y attacher. Un avorton qu'on allait brûler et oublier. Un être qui n'aurait même pas existé.

Des infirmiers et ambulanciers discutaient ensemble avec un Lenny au visage complètement tuméfié et qui enflait encore. Je n'étais pas dupe. Ils cherchaient un moyen de nous approcher sans que nous fassions de vagues. Sans que Billy ne pète un câble.

J'allais les aider un peu... J'avais trop mal pour rester là. Je tirai un grand coup sur ma clope avant de regarder Billy dans les yeux.

-Et si on allait se faire soigner, hein ?

La silhouette de Luke s’évapora parmi les lumières. Allais-je le revoir un jour ? Je n’en savais rien. Je n’étais même pas sûr qu’on allait survivre à cette traversée du Midwest. J’étais sûr qu’on allait mourir à Saint-Louis et qu’on allait être enterré à Indianapolis. Parce que cette terre voulait m’emprisonner pour m’y voir mourir. C’est là-bas que je suis né, c’est là-bas que j’allais mourir

*C’est là-bas que tu es mort depuis longtemps.*

Je secouais la tête alors que Cash se retourna vers moi. Il déclara que Luke n’était pas mort. Je fis « non » de la tête approuvant mon guitariste. Non, il n’était pas mort. Il n’avait pas eu le temps d’être grillé par le feu The Lightening. Il n’avait pas était détruit par notre déferlante. Il n’en avait pas eu le temps. Luke avait choisi de partir. Il avait choisi de vivre. Il s’était éloigné du danger. Il ne mourra pas avec nous, dans le Midwest. Cash remonta les escaliers du bus et se mis à mes côtés. Je n’avais pas encore osé descendre de peur d’être tué par les lumières qu’on regardait Cash et moi. Lui avec fascination, moi avec angoisse.

« Il n’a même pas eu le temps de naitre ». Etait-ce vraiment le cas ? Ou avait-il simplement décidé de vivre ailleurs sans risque de mourir brûlé ? Pour Cash, rien d’autre ne comptait que le monde The Lightening. Luke, en démissionnant, s’en était éloigné et n’était donc jamais né aux yeux de Cash. Moi je voyais notre monde comme un lieu de destruction dont nous étions le centre. On était le cocktail chimique. Et au-delà, il y avait un autre monde aussi froid que serein. Un monde complètement contradictoire que je n’arrivais pas à comprendre.

-Ou peut-être a-t-il simplement choisi de vivre. Là-bas avec eux…

J’avais dit ça en montrant le vide. Ce vide qui représentait le monde en dehors de The Lightening. Un monde vaste, inquiétant et qui, autrefois, m’avait rejeté.

Je regardais de plus en plus le vide quand Cash me ramena à la réalité. Il proposa d’aller se soigner. Je regardais longuement mon guitariste et pris, enfin, conscience de mon corps. J’avais mal…

-D’accord…

Je descendis alors enfin les marches. Me dirigeant vers les lumières et la mort.