J'étais aux studios BSC depuis le tout début de l'après-midi. J'y avais notamment rencontré Zoey Dandeth à qui j'avais fait une proposition sur laquelle je la laissais méditer. Un truc win-win, bon pour elle, bon pour moi et, qui sait, dans l'avenir, peut-être bon pour Livia aussi.

J'avais donné rendez-vous à ma petite protégée à 19 heures et elle m'avait promis d'être à l'heure. Je comptais sur ce genre de détails comme la ponctualité, non seulement parce que pour le manager que j'étais, un poulain sérieux était beaucoup plus facile à gérer, mais aussi parce que je me sentais un peu responsable de son éducation, désormais.

Oh, Olivia n'était pas mal élevée, ça aurait été injuste de dire ça d'elle. Mais elle n'était plus totalement une enfant et pas encore vraiment une adulte et c'était une phase critique à ne pas louper... Je me demandais si ça aurait été plus simple si elle avait été ma fille depuis le début ou si ça aurait été le même combat.

Parce que des conneries, la petite m'en avait déjà fait au moins une grosse, avec Howard Stone. Connerie qui m'avait valu de paraître dans L.A.People.

D'ailleurs, si Livia avait lu le dernier numéro du magazine, ça allait être mon tour de m'expliquer sur mon comportement. On verrait bien... Si elle posait la question, je serais franc... Si elle abordait pas le sujet... Je ne l'aborderais pas non plus...

C'était pas très fair-play, mais elle non plus ne m'avait pas parlé de Stone avant que je ne tombe sur l'article qui en parlait...

Enfin soit... Tout était prêt pour l'arrivée de la jeune fille... Et nos frasques, à l'un comme à l'autre, ne devaient pas nous dévier du projet qui allait prendre forme ici ce soir.

Au parc d'attraction, je lui avais demandé de préparer quelque chose, chanson et mélodie... Pour que cela serve à la fois ses intérêts professionnels (et les miens, fallait pas se leurrer) et sa quête concernant son père (dont l'identité ne faisait pratiquement aucun doute à nos yeux), je lui avais proposé de « crypter » son premier single, d'en faire un message que seul l'intéressé pourrait comprendre, jusqu'à la pochette du single même. Quelque chose susceptible d'amuser ou d'intriguer assez Jimmy Reed pour rendre Livia intéressante à ses yeux.

Les roadies qui avaient tout mis en place étaient partis à ma demande. Je ne voulais, ce soir, que ma jeune artiste et moi, dans ce studio, afin qu'on puisse parler de tout ça librement. J'étais de toute façon depuis assez longtemps dans le business pour pouvoir gérer à moi tout seul les premiers jets d'un enregistrement. On n'aurait réellement besoin d'ingénieurs du son que pour les sessions suivantes.

Le studio était séparé en deux : la partie mixage et enregistrement dans laquelle j'allais rester la plupart du temps et la partie où Olivia pourrait s'en donner à cœur joie.

Je levai le regard vers l'horloge, impatient de voir Olivia à l’œuvre, dans un environnement conçu pour son talent, pour la première fois.

@ Billy Lighter

La journée au parc d’attraction avec Jack avait été riche en émotions, passant de l’amusement au cri du cœur et à la promesse d’être là l’un pour l’autre. Sans le savoir, mon manager m’offrait la stabilité émotionnelle que j’avais toujours souhaité vivre.

En fait, Jack, correspond exactement à l’image parfaite que je me suis toujours fait de mon père. Ça explique probablement pourquoi j’ai toujours peur de le décevoir et que je cherche continuellement  et inconsciemment, à  le provoquer.  

Parce que son attention prime sur tout le reste. Alors qu’importe comment je l’obtiens, tant que je l’ai…

C’est Dean qui me conduit au studio de BSC qui se trouve À San Fernando Valley. Je trouve ça franchement un peu loin et je me demande pourquoi faut que les studios soient dans un local indépendant des bureaux, Ne serait-ce pas plus simple que tout soit au même endroit ?

18h50 pile poils quand la voiture de Dean s’immobilise devant la bâtisse. Dans sa grande mansuétude, Dean  me fait comprendre que c’était un allé simple et que je devrais compter sur Jack pour me ramener. Ou un bus.

J’entre donc dans le studio armée de ma guitare et de mon sac dans lequel ma composition toute chaude sortit de mon cerveau attend l’approbation de Jack. J’suis nerveuse comme jamais avant parce que ce soir, ça passe ou ça casse.

Jack est déjà installé, prêt à bosser et j’lui souris largement quand je le vois. En fait, j’ai un petit quelque chose pour lui, question de lui remettre en tête la promesse qu’il m’a faite la veille «  j’te lâcherai pas… ».

Je dépose donc devant lui le dernier numéro du L.A. People et je me recule  sans rien dire, en l’observant. J’appréhende un peu sa réaction mais en fait ce que je veux qu’il comprenne c’est que ce geste vient carrément de le propulser au rang de héro dans mon palmarès des gens admirables.

Je sais que toute cette histoire l’avait mis sans dessus dessous, et probablement pour des raisons que j’ignore, mais à ce point là ?

Mon sac toujours sur mon épaule, j’en extirpe m on calepin  et, excitée, j’attends de savoir ce qu’il en pense.

- J’espère que ça répond à tes attentes… J’ai bossé dessus toute la nuit et, la mélodie… oh ! attend !

Je sors ma guitare de son étui pour en gratter quelques notes afin de lui donner une idée de ce que pourrait avoir l’air le résultat final.

- J’sais avec les arrangements professionnels ça sera beaucoup mieux que ce que je te montre mais… tu en penses quoi  ?

@ Billy Lighter

Un large sourire se dessina sur mon visage quand Olivia débarqua dans le studio réservé pour nous, sa guitare sur le dos et son sac à l'épaule. Je me levai pour l'accueillir, ravi qu'elle soit à l'heure. C'était un excellent début, que ce soit pour le manager ou le père de substitution que j'avais bien compris que j'étais non seulement à ses yeux mais aussi, malgré moi, aux miens.

-Salut !... Alors, tu es prête ? Aujourd'hui, il n'y a aucun pression, il s'agit de faire des essais, de t'amuser et de tenter des nouvelles choses si tu as des idées.

Mais à peine ma petite introduction terminée, alors que je reprenais place dans mon fauteuil, pourvu de roulettes pour passer plus facilement d'une table de mixage à l'autre sur le large panneau de contrôle, je vis le dernier numéro de L.A.People atterrir devant mes yeux. Ça me coupa instantanément le sifflet et mes yeux restèrent d'abord bloqués sur la une, qui n'avait rien à voir avec mon altercation avec Howard... Mais je me doutais bien du pourquoi elle venait de me le faire claquer sur la table.

Mon regard se releva ensuite lentement pour aller croiser le regard de ma protégée, mes mains au doigts croisés devant moi, mes coudes sur les accoudoirs, dans une position de gêne pas vraiment dissimulée.

-Mouais...

Je pouvais lire sur son visage que, loin de m'en vouloir pour avoir frapper Howard Stone, elle... m'idolâtrait ?

Je fronçai les sourcils, faisant une moue qui hésitait entre le sérieux et un sourire.

-Faut que tu comprennes que ce que j'ai fait à Stone n'a rien d'intelligent...

Je l'avais fait quand même, et, à mon avis, c'était inutile d'ajouter que même si je trouvais ça con de m'être emporté à ce point-là contre le batteur, ça avait quand même été ce que j'avais eu viscéralement envie de faire. Elle était bien assez futée pour se douter que si je l'avais fait, c'était parce que son histoire avec le batteur, et surtout ses remords et sa peur ensuite, m'avait touché.

Une fois ce point brièvement abordé, Olivia avait sorti son carnet, me le donnant ouvert à une page sur des paroles qu'elle avait écrites. Puis, alors même que je n'avais pas encore eu le temps de lire une seule ligne, elle avait déjà sorti sa guitare et s'était mise à jouer.

Elle égraina quelques notes avant de se dire qu'avec des arrangements, ce serait mieux. Installé dans mon siège, j'avais écouté la musique tout en essayant de lire... Mais j'avais déjà l'impression qu'Olivia allait vite m'essouffler.

Cependant, je gardai mon calme, en bonne partie parce que dans ce qu'elle avait apporté là, il y avait plus que le squelette nécessaire à son single. Elle avait une bonne chanson, bien écrite... Et une bonne idée de ce qu'elle voulait au niveau de la musique.

En gros, 50 à 60% du boulot était déjà fait, et elle l'avait fait seule.

Je ne lui répondis pas tout de suite, prenant le temps de lire la chanson jusqu'au bout sans rien dire.

-Une chose à la fois, Livia. On a le temps.

De plus en plus, je l'appelais Livia et non Olivia.

La chanson avait quelque chose de mystique... Tout était dit sans l'être pour quelqu'un qui ne connaissait pas l'histoire d'Olivia Cortez. Pour le commun des mortels, cela pouvait être l'histoire d'un fantôme... Mais Livia n'était-elle pas un fantôme, d'une certaine façon ?

-Il t'a fallu plus qu'une nuit pour écrire quelque chose comme ça... Ou alors tu y penses depuis un bail... Dernière hypothèse : tu es un petit génie.

Je me penchai en avant et replongeai mon regard dans le carnet pour lire un passage tout haut :

-You can't hear me.
You can't hear me.
You can't feel me
Here in the room with you now.
You can't hear what I'm saying.
You don't hear what I'm saying, do you?

Je la regardai dans les yeux...

-Cette partie est inspirée de la fois où tu l'as vu chez Ricci?

Je murmurai ensuite :

-Don't ignore me... Don't ignore me...

@ Billy Lighter

Si une image vaut milles mots, le visage de Jack en exprime tout autant quand je dépose le dernier numéro du L.A. People devant lui.  Ce n’est en rien une provocation de ma part. Simplement une façon de lui diremerci. Parce que jamais personne n’avait encore prit les devant et démontrer assez d’intérêt pour moi, au point d’aller foutre une raclée à un type.

Et si, selon lui, ce geste n’avait rien d’intelligent, pour moi, à mes yeux c’est héroïque. Quelle fille n’a jamais rêvé qu’on se batte pour elle ? J’suis la première à lever la main ! J’ai toujours cru, cependant que ce serait le genre d’action que mon père aurait fait pour moi. Au lieu de ça, c’est mon manager qui s’était trempé. Et plus le temps passe, plus j’ai la certitude que je n’ai plus besoin de mon père, maintenant que j’ai Jack.

Je n’ajoute rien  de plus de toute façon, nous avons tellement mieux à faire que de nous attarder au cas de Stone.

Mon single prend toute la place dans ma tête depuis que Jack m’a fait la proposition de lancer le projet et, fière de moi, je lui tends mon carnet dans lequel j’ai travaillé sur la chanson qu’il m’a demandé.

Lui fait aussi un petit résumé auditif de ce que pourrait avoir l’air la mélodie tout en lui expliquant ce que j’ai pensé ajouter ou modifier. Un vrai p’tit moulin à parole mais que voulez-vous ? J’suis emballée par le projet !

- Une chose à la fois, Livia. On a le temps

- Oui… je sais… faut apprendre à marcher avant de courir mais…

Je ne tiens pas en place. N’est-ce pas normal quand on accède enfin aux portes qui ouvrent sur un rêve que nous caressons depuis des lustres ?

Devenir une artiste connue et reconnue. Vivre de mon art et partager à mes fans ma vision en chansons de l’amour, de la vie, de l’amitié et de la famille ou qu’importe le sujet qui m’allumera. Je suis motivée plus que jamais et prête à travailler plus que jamais.

Après une première lecture surprenant, Jack semble agréablement surprit ce qui me rassure. Parce que la dernière chose dont j’avais besoin, aujourd’hui, c’est de décevoir une nouvelle fois mon manager.

- Il t’a fallu plus qu’une nuit pour écrire quelque chose comme ça… Ou alors tu y penses depuis un bail… Dernière hypothèse : tu es un petit génie.

- Bah, t’sais, je suis un petit génie.

J’éclate de rire un moment avant de reprendre mon sérieux et de lui confié avoir passé tant de nuit blanche à discourir toute seule sur toutes les choses que je veux dire à mon père, qu’il ne m’a pas été très difficile de coucher sur papier mes mots.

Jack fait lecture à haute voix d’un passage de ma chanson et leva ensuite le regard vers moi, me demandant si ça m’a été inspiré de ma brève mais marquante rencontre avec mon père chez Ricci.

- Je ne peux rien te cacher… Tu crois que… ce sera assez percutant pour qu’il comprenne ?

@ Billy Lighter

Exit Stone, on avait bien mieux à faire.

Et pour la première fois depuis notre rencontre, la jeune fille et moi étions sur la même longueur d'onde. Elle avait quelque chose à offrir au monde et mon rôle était de l'aider à concrétiser ses idées sous une forme matérielle.

Mais contrairement aux groupes que je manageais depuis le début de ma carrière chez BSC, Olivia avait quelque chose de plus : des messages à faire passer. Le talent ne faisait pas tout, cela ne suffisait pas à produire quelque chose de vraiment exceptionnel. Et je ne parle pas ici uniquement de quelque chose qui pourrait la projeter au devant de la scène, lui amener la célébrité. Non, même si ça faisait partie du package.

Non, ce dont je parle, c'est de ce qui fait la différence entre une bonne chanson et une chanson qui a du sens, une véritable raison d'exister en dehors de cette recherche de célébrité.

C'était ce qui faisait de Billy Lighter quelqu'un d'exceptionnel, c'est ce qui faisait d'Izbel quelqu'un d'exceptionnel, ce qui avait fait d'Atticus Fetch et de The Army des gens exceptionnels : parce qu'avant qu'ils trouvent la musique comme moyen d'exprimer leurs histoires et leurs idées, leurs vies étaient déjà hors normes.

L'art n'est qu'une forme non pathologique de stress post-traumatique.

Ce fut la première idée qui me vint en lisant les lignes écrites à la main, avec des lettres rondes encore infantiles, dans le carnet de ma protégée. Le terme « poulain » ne lui allant pas du tout.

Livia était jeune, enthousiaste et pressée. Je lui avais donc signifié, les yeux toujours rivés sur son carnet, qu'on avait le temps... Et c'est avec un sourire fier aux lèvres que je l'entendis répéter une phrase que je lui avais dite. La gamine apprenait vite. Et avec un peu de chance, elle survivrait aux pièges de L.A. et de la célébrité.

Une fois ma lecture terminée, impressionné, j'avais émis trois hypothèses pour qu'elle me sorte un si bon texte en si peu de temps : soit il était écrit depuis longtemps, soit il lui avait fallut des jours, voire des semaines pour l'écrire... Soit c'était un génie...

Je rigolai, même pas surpris, quand Livia affirma être un petit génie.

-Sans blague...

Elle avait probablement de qui tenir.

Une partie du texte avait, en particulier, attiré mon attention. Et je lui avais demandé s'il s'agissait d'une référence au bref face à face qu'elle avait eu avec son père biologique dans le bureau du manager italien. Réponse affirmative, évidemment. Mais elle s'inquiétait de savoir si ce serait assez percutant.

Je la regardai dans les yeux.

-Tu sais, Jimmy Reed aussi est un petit génie. Je connais mieux le chef d'entreprise que l'homme. Mais si ce que tu penses est vrai, s'il t'a réellement reconnue, s'il sait qui tu es, alors je suppose qu'il suivra ce que tu fais... Si ce n'est pas par curiosité, j'imagine qu'il le fera parce que, dans tous les cas, tu fais partie des talents produits par sa boîte.

Je me penchai un peu en avant pour donner plus de poids à ma dernière phrase.

-Dans tous les cas, ça ne coûte rien d'essayer. Tu n'as rien à perdre, tout à gagner.

Je me levai et lui tendis la main.

-Tu viens avec moi ? On va faire des tests.

Je l'emmenai dans l'autre pièce, séparée de la première par une vitre. Il y avait là des amplis, des micros dont un déjà installé au milieu de la pièce. J'invitai Livia à se placer derrière et lui donnai quelques explication tout en réglant la perche à sa hauteur.

-Tu as l'habitude de jouer en chantant. Pour l'enregistrement, il faudra faire les choses séparément. A toi de voir si tu veux enregistrer d'abord ta voix ou d'abord la guitare.

Je resserrai le micro pour qu'il soit fixe. Ça me semblait bon.  

-Je vais repasser de l'autre côté. Et je te ferai signe de la main quand tu pourras commencer.

@ Billy Lighter

Jack se montre rassurant sur le possible impact qu’aura ma chanson sur mon père et je lui fait confiance.  Pourtant, il y a un petit je ne sais quoi qui me travail depuis que j’ai commencé à coucher mes idées sur papier et qui vient m’égratigner une coche plus fort maintenant qu’elle que Jack en a prit connaissance.

J’sais pas exactement ce que c’est mais j’aime pas la sensation que ça me fait en dedans. C’est comme si ça venait ajouter un ombre pas cool au projet le plus excitant qu’il m’est été donné de vivre.

Mais, comme toujours, Jack à raison et rien ne me coûte d’essayer.  Et puis si Jimmy Reed ne voit pas d’intérêt dans ma chanson, d’autres en auront et ça aussi, c’est important pour moi. Et pour Jack, bien entendu.

Mon manager me tend la main et m’invite à le suivre dans la pièce adjacente. C’est si professionnel que je me sens un peu intimidé. C’est pas un jeu, c’est réel et on va vraiment commencer à travailler sur mon tout premier single. Y’a de quoi donner un peu le tournis.

Mais c’est un étourdissement agréable.

Guidée par Jack, je prends place derrière un micro central, beaucoup trop haut pour moi, mais Jack le règle dans problème à ma hauteur.  Et beh ! Il pense à tout quand même ! J’serai pas obligé de chanter debout sur un tabouret.

- Tu as l’habitude de jouer en chantant. Pour l’enregistrement, il faudra faire les choses séparément. A toi de voir si tu veux enregistrer d’abord ta voix ou d’abord la guitare.

- Ben… j’en sais rien… La voix j’crois…

Sans ma guitare, je me sens « nue » . Je sais pas quoi faire de mes mains, je me mets à jouer avec mes cheveux, à tordre le bas de mon chandail, bref, j’ai l’air d’une potiche un peu nunuche.  Le truc, c’est que je me fis toujours à ma guitare pour savoir quand commencer et qu’avec la voix, selon l’intonation que je désire pour la chanson, j’ajuste la mélodie.

Jack repasse de l’autre côté et je me positionne donc, derrière le micro, comme j’étais mais en faisant face à la vitre qui me sépare maintenant de mon manager. Je ne m’étais pas rendu compte avant de me retrouver seule de ce côté à quel point le son est étanche et que je n’entends rien d’autre que le son de ma respiration.

Il y a une paire d’écouteur accroché au pied du micro et je me les place sur la tête. Parce que franchement, si ça ne va pas là, sortez-moi de là et vite !

Jack est de l’autre côté et je le vois s’installer, il semble savoir ce qu’il fait. En même temps, c’est son métier donc c’est un peu normal tout de même.

Et là, j’ai un blanc. Elle commence par quoi déjà ma chanson ?

@ Billy Lighter

J'avais emmené Olivia dans la pièce qui lui était entièrement destinée, avec tout ce qu'il fallait pour capter le moindre son qu'elle produirait. Pour moi, ça n'avait plus rien d'impressionnant, ni d'intimidant. J'avais fait des tas d'enregistrements, même si jusque-là, les quelques albums produits par mes groupes n'avaient eu qu'un succès limité à la population de L.A. qui les connaissait de part leurs concerts dans les clubs et autres. Des groupes locaux, en gros, avec suffisamment de talent pour ne pas passer inaperçu à L.A. (et me permettre de garder ma place chez BSC), mais pas assez pour franchir les frontières de leur ville natale.

Et, du coup, je ne remarquai pas tout de suite que la jeune fille était complètement impressionnée par tout ce qui l'entourait. J'allais peut-être un peu trop vite pour elle, je n'expliquais peut-être pas assez, lui signifiant juste qu'elle ne pourrait pas jouer et chanter en même temps.

Ce ne fut que l'hésitation dans sa voix, quand elle choisit d'enregistrer d'abord le chant, qui me signifia qu'Olivia n'était pas forcément à l'aise et me rappela que c'était probablement la toute première fois qu'elle mettait mes pieds dans un studio professionnel.

J'avais posé ma main sur son épaule, comme un encouragement. J'étais pas spécialement un pro de la pédagogie même si, depuis que j'avais pris Olivia sous mon aile, j'essayais de m'améliorer à ce niveau-là. Mais, comme le ferait remarquer Nat, j'étais de la vieille école... Et dans la vieille école, pour t'apprendre à nager, on te balance juste dans l'eau.

-Détends-toi...

Je lui avais souri puis était repassé de l'autre côté, mettant un casque sur ma tête et voyant qu'elle faisait de même avec celui mis à sa disposition. Puis, j'avais fait les premier réglages, allumé le micro. Je pouvais entendre la respiration de la jeune fille dans mon casque.

J'étais prêt et appuyai sur le bouton pour lancer l'enregistrement et une première bande magnétique se mit à tourner lentement. Et je lui fis signe qu'elle pouvait y aller, quand elle voulait.

Mais après quelques secondes, toujours rien. Elle était là, derrière le micro, tripotant les pans de son pull. Mais hormis ses mains, elle était parfaitement immobile, comme un chevreuil avec des gros phares en pleine poire sur le point d'être percuté par une voiture.

Rien à voir avec la Livia sûre d'elle, devant une centaine de personnes, arrogante, que j'avais vue à l'anniversaire de mariage de Davis... Et pourtant, aujourd'hui, on était que nous deux, dans une pièce insonorisée.

Je lui laissai encore quelques secondes, puis éteint tout avant de poser mon casque pour aller la rejoindre de l'autre côté.

-Ça va ? Qu'est-ce qui se passe, Liv ? On est que nous deux, tu sais ? Et on est là que pour faire des tests, tu n'as aucune pression avoir.

Je m'approchai d'elle et posai mes mains sur ses épaules pour qu'elle me regarde. Moi, je lui souriais... On avait le temps, rien ne pressait.

-Tu rates, tu rates, c'est pas grave, y aura qu'à rembobiner et recommencer.

Je lui désignai sa guitare. Quand elle m'avait donné son carnet avec les paroles de la chanson, c'était à la guitare qu'elle avait quand même voulu jouer la mélodie en premier.

-Tu peux aussi commencer par la mélodie. Comme ça, quand il s'agira d'enregistrer ta voix, je pourrai te passer la musique dans ton casque en même temps que les retours. Qu'est-ce que tu en penses ?

@ Billy Lighter

Y’a un espèce de blocage qui opère quand Jack  passe de son côté de la vitre et s’affaire à régler des trucs et que moi,  sauf pour placer les écouteurs sur ma tête, j’sais plus quoi faire d’autre.  Ma gorge est sèche alors que mes mains sont ultra moites.  Elles tremblent même, mais ça ne se voit pas parce que je les tiens occupés à tordre le bas de mon chandail.

Et pire encore. Je ne me souviens plus des paroles de ma chanson ! Faut le faire, quand même ! J’y ai travaillé toute la nuit. Elle se compose principalement de pleins de trucs que j’ai toujours voulu faire savoir à mon père. Ça devrait être facile. Mais non, ça ne l’est pas.

Jack doit se rendre compte que le p’tit génie que je prétends être n’a finalement rien de bien bien génial car il repasse de mon côté de l’aquarium s’inquiétant de savoir si ça va.

J’hoche de la tête quand il me répète qu’on est ici que pour des tests et qu’il est inutile que je me donne de la pression avec la session d’aujourd’hui mais si je ne performe pas, à quoi bon alors faire des tests ? On va tester la médiocrité ?  Non ! Hors de question !

J’vais pas laissé un p’tit micro m’intimider et avoir le dessus sur moi !

Jack se rapproche, se montre plus rassurant en  m’expliquant que nous avons tout le temps devant nous.

- J’veux pas rater, justement !

Je n’aime pas l’échec. Ça ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je me suis toujours arrangé pour être la meilleure dans tout, parce que je ne voulais pas désappointer ma mère.  Je ne suis pas la fille qu’elle souhaitait avoir, alors je me dois de la rendre fière autrement.

Mais aujourd’hui, c’est pas de ma mère qu’il est question. Ni même de Jack, pour pas totalement de Jack. Mais de mon père et de qu’il comprendra de ma chanson. Et ce qu’il daignera en faire. C’est un pile ou face et y’aura pas de tranche. Soit j’tombe pile sur l’effet escompté. Soit j’lai en pleine face !

D’un geste de la tête, il me désigne ma guitare et me propose de commencer par la mélodie. J’avoue que c’est plus simple à ce stade  et comme il dit qu’ensuite, j’aurai la mélodie dans les oreilles, j’accepte donc de commencer par la musique.

- Ouais… Ça sera certainement mieux de commencer par la musique.

Je vais donc la chercher et je me réinstalle, passant la ganse par-dessus mon épaule. Armée du médiator que m’a offert nul autre que Cash Izbel, e vérifie que les cordes soient toujours bien accordées.

Quand Jack est réinstallé à sa console,  j’attends son  signal avant de commencer à gratter mes notes. Ça va tout de même assez bien pour la première fois. Mais c’es un peu trop lent et j’accroche un peu vers la fin. En fait, mes pensées se sont égarées dans ma tête et j’ai perdu de ma concentration.

Je m’en mords la lèvre inférieure  et je termine, sachant très bien qu’on la refera. Mais comme à dit Jack, on efface et on recommence.  Ça prend quand même un temps fou pour avoir une prise parfaitement parfaite.  Une sans faille qui sort exactement comme le veut Jack. Pourtant, j’ai l’impression moi  que je l’ai rendu plus d’une fois  comme elle se devait de l’être mais je ne le contredis pas une fois.

J’attends juste son verdict sur cette énième prise, celle qui m’a fait souffrir le bout des doigts, qui a failli me faire casser une corde et venir à bout de ma patience. Mais malgré tout ça, je m'amuse. Je me prends au jeux et chaque fois que je termine un essais, je regarde Jack en lui faisant de drôles de têtes pour le faire marer. L'effort en vaut la peine.

Et c'est Jack, encore une fois, l'heureux témoins de tout ça...

@ Billy Lighter

Livia était bloquée. Pourquoi ? Mystère. Mais elle restait là à regarder le micro en torturant ses vêtements. Elle n'avait jamais plus ressembler à une enfant qu'à ce moment-là. Mais j'allais bien me garder de le lui faire remarquer. Je commençais à connaître les revers du tempérament instable de l'adolescente en pleine croissance et à pouvoir les éviter.

Je n'avais de toute façon pas envie de la provoquer, mais de la rassurer.

Alors j'étais repassé de l'autre côté pour essayer de comprendre. Si ça ne fonctionnait pas comme ça, faudrait peut-être changer de stratégie. J'aurais cru que ce serait beaucoup plus facile pour elle car elle était enthousiaste et avait vraiment envie d'enregistrer ce single. Je n'avais aucun doute concernant sa motivation. Mais elle avait l'air pétrifiée, là maintenant.

Je lui avais alors répété qu'il y avait pas de mal si elle se loupait, qu'on pouvait recommencer autant de fois qu'elle le voulait.

Ses yeux bleus me transpercèrent alors qu'elle affirma qu'elle ne voulait justement pas rater.

Je me pinçai les lèvres. Je commençais à comprendre un peu mieux. Même si Livia avait le droit de se planter, même si ce n'était pas grave... Elle ne tolérait pas l'échec.

Et l'intolérance à l'échec était la marque d'un gros ego... Daniele Ricci, notamment, était intolérant à l'échec. Les autres pouvaient se planter, parce qu'il n'était pas les meilleurs. Lui, si.

Aucun doute qu'il en allait de même pour Jimmy Reed. Et cette même intolérance était en train de bouffer sa progéniture.

-Ok...

Changement de plan, donc...

Je lui proposai alors de commencer par la musique. Une fois cette partie enregistrée, elle aurait une base sur laquelle poser sa voix. Elle avait voulu commencer par le chant, mais c'était sa première fois en studio. Et au fur et à mesure, elle allait trouver sa propre façon de travailler, celle qui la mettrait le plus à l'aise.

Je repassai de l'autre côté, m'installant à nouveau à la console et remettant mon casque. Quand elle fut prête à son tour, je lui donnai le signal. Dix fois, je la fis recommencer, sans faire aucun commentaire sur ses performances, me contentant de changer les bandes et de lui donner les signaux de début et de fin d'enregistrement. Il y avait des très bonnes prises, d'autres un peu moins bonnes ou moins convaincantes. Mais, globalement, on se retrouvait avec une excellente base de travail.

Après la dixième fois, je lui fis signe de me rejoindre de mon côté.

-Excellent, c'était excellent. J'ai en tout 5 prises parfaites et légèrement différentes.

Je roulais jusqu'à une autre machine où on pouvait faire tourner plusieurs bandes en même temps. Et j'avais connecté les 5 bonnes prises que j'avais. Une fois la dernière placée, je me tournai vers Olivia pour lui expliquer ce que je comptais faire.

-Ce que je veux faire, c'est superposé ces 5 bandes, c'est pour ça que je t'ai fais recommencer autant de fois. Pour avoir comme un effet d'écho qui supportera les paroles un peu mystique de ta chanson.

Je marquai une pause et roulai jusqu'à la machine pour faire tourner toutes les bandes en même temps et lui faire entendre ce qu'elle avait produit. C'était magnifique. Comme si on l'avait multipliées. Mais comme j'avais poussé le volume d'un seule bandes, faisant seulement passer les 4 autres en sourdine, ça donnait un effet très spécial.

Les bandes arrivèrent à la fin et je lui souris.

-Alors, qu'est-ce que tu penses de ce que tu as fait ? Satisfaite ou tu veux recommencer ?

Je voulais aussi voir si elle savait s'auto-évaluer...

-Je demanderai à un batteur de session de chez BSC de faire une ligne rythmique. Un truc très simple.

Ouais, parce qu'avec sa voix et sa guitare, elle pouvait faire beaucoup de chose, mais à notre époque, pour une tournée, c'était un peu maigre. Je comptais l'entourer de musiciens de sessions et, pourquoi pas, de la jeune Zoey Dandeth, si celle-ci acceptait ma proposition.

Je pris le carnet de la jeune fille et le lui donnai.

-Si tu es prête, on peut faire des tests de chant. Et je t'enverrai ce qu'on vient d'entendre dans le casque, ainsi que les retours.

Je désignai son carnet avant qu'elle repasse de l'autre côté.

-Tu sais quoi ? Si Cash Izbel savait parler, c'est le genre de truc qu'il aurait pu écrire.

@ Billy Lighter

Je me sens mieux, avec ma guitare dans les mains et finalement, de commencer par la mélodie était la solution gagnante.  C’est beaucoup plus facile, même si  nous devons la reprendre encore et encore au point ou mon médiator, offert pat Izbel, s’use à vu d’œil.

Mais j’crois qu’il me porte chance car tout va assez rondement et qu’au bout d’une énième prise – j’avoue que j’ai perdu le compte -  Jack me fait signe de le rejoindre. Je suis légèrement méfiante. Non pas à cause de lui mais je suis mauvaise juge de mon travail, visant que la perfection, j’ai souvent tendance à oublier que je ne peux malheureusement pas l’atteindre au premier essaie.

- Excellent, c’était excellent. J’ai en tout 5 prises parfaites et légèrement différentes.

- Et c’est grave si elles sont différentes ?  

Je demande car en fait je n’ai pas envie de retourner de mon côté de la vitre tout de suite. Mes doigts élances un peu et il fait terriblement chaud là dedans.

Jack se déplace dans la pièce tout en restant assit sur sa chaise à roulette et  touche les différentes machines comme un chef d’orchestre dirigeant ses musiciens. C’est amusant de le voir aller.

Il se retourne vers moi et m’explique qu’en superposant les bandes, il obtiendrait un effet d’écho rejoignant  le sens de mes paroles. Tout ça est abstrait pour moi mais il semble convaincu de son idée et parce que de nous deux, c’est lui le professionnel, j’hoche de la tête par l’affirmative. J’aurai une meilleure idée de l’effet qu’il escompte quand nous aurons un résultat.

Et comme s’il lisait dans mes pensées – à vrai dire je crois de plus en plus qu’il en est capable – il roule de nouveau dans la pièce et mets en marche l’enregistrement qu’il a obtenu.  Je ne peux pas m’empêcher de sourire, ébahi, réalisant avec peine que c’était moi qui jouais cette mélodie.

- Wow…

Je n’ai pas d’autres mots.  Et en même temps ça répond à sa question.  Nul besoin de recommencer, je crois que nous tenons déjà quelque chose de puissant.

- Je ne pensais pas que toute seule je pouvais donner cet effet là. C’est à la fois amusant et terrifiant ! J’suis trop contente !

- Je demanderai à un batteur de session de chez BSC de faire une ligne rythmique. Un truc très simple.

- Ce serait vraiment meilleur avec un autre truc qui vient soutenir ma guitare, ouais !

Que voulez-vous ? C’est ça quand deux génies se rencontrent !
Jack me tend mon carnet et propose que nous passions au chant. Je baisse les yeux sur mes écrits et la sensation désagréable d’angoisse qui s’était envolée alors que nous avions travaillé l’enregistrement de la mélodie, semble vouloir renaître en moi.

- Tu sais quoi ? Si Cash Izbel savait parler, c'est le genre de truc qu'il aurait pu écrire.

- Mouais… J’vais garder son médiator dans ma main j’crois…

Ce que vient de me dire Jack est suffisant pour me redonner confiance, mais, avant de retourner de l’autre côté, je regarde mon manager dans les yeux lui avouant que ce qui  me bloque, du moins ce que je crois en être la raison, est que  mon père aura pour la première fois un message clair de ma part et que je redoute qu’il ne se contente que de le balayer du revers de la main.

- C’est stupide, non ?

@ Billy Lighter

Je secouai négativement la tête quand Livia me demanda si c'était grave si les prises étaient différentes.

-Non, c'est tout l'intérêt, justement. Si j'avais voulu des prises identiques, j'aurais pris la meilleure des 5 et je l'aurais dupliquée. Mais ça n'aurait rien donné en les superposant... Tandis qu'ici, c'est comme s'il y avait 5 guitaristes.

Je lui fis écouter le résultat, pensant qu'elle verrait beaucoup mieux ce que je voulais dire en voyant ce que ça donnait. Et je souris quand elle s'impressionna elle-même, ne pensant pas qu'elle pourrait faire quelque chose d'une aussi bonne qualité.

-C'est l'avantage de l'enregistrement studio.

Je désignai les machines autour de nous.

-Ces petits bijoux permettent des effets qu'on ne saura avoir que sur un disque ou une cassette. D'où l'intérêt de savoir réadapter tes créations pour les jouer en live. Mais on en est pas encore là.

On avait que la ligne de guitare, le reste devra se faire par les musiciens de sessions engagés par BSC. Livia était d'accord. Je lui fis alors part de quelque chose que j'avais jusque-là gardé pour moi.

-En parlant de musiciens de sessions. Il t'en faudra aussi pour tes concerts à venir. Mais je n'aime pas tellement les musiciens de sessions de BSC. A force de jouer pour tout le monde, il en perde leur identité propre. Ce n'est pas le cas de tous, mais de beaucoup. J'aimerais beaucoup que tu ai tes propres musiciens qui s'identifieraient à ce que tu fais...

Je marquai une pause pour qu'elle assimile déjà ça.

-Alors, si dans ton école ou ailleurs, tu en rencontres, que ce qu'ils font te plaît, n'hésite pas à me les faire rencontrer, ok ? En attendant, on se démerdera avec les musiciens de chez BSC.

Je haussai les épaules.

-Cela dit, je t'ai peut-être déjà trouvé une guitariste rythmique. Mais il faut qu'elle accepte la proposition et que toi, tu sois d'accord.

Le petite Dandeth me semblait idéale pour jouer avec ma protégée. Et puis, je savais qu'elle avait du talent. Mais si on m'avait dit il y avait 6 mois de ça que j'allais avoir une toute jeune fille comme protégée et que j'allais l'entourer de musiciennes, j'aurais rigolé.

Mais il était temps de continuer, pour l'instant. Parce que là, c'était moi qui me mettait à courir, emporté par le talent de Livia qui ne cessait de m'inspirer. Il fallait maintenant enregistrer sa voix et j'étais impatient de voir ce que ça allait donner.

J'avais donc rendu son carnet à Livia, pour qu'elle ait les paroles avec elle au cas où elle se paralyserait encore. Mais son regard se fit déjà paniqué alors même qu'elle n'était pas encore passée de l'autre côté. Je l'interrogeai du regard et elle m'expliqua que ce qui lui faisait peur, c'était que ça fasse un coup dans l'eau. Pas au niveau de son audience, de si les gens allaient aimer, ou de si ça allait se vendre. Non. Ça, ça avait pas l'air de l'inquiéter.

Ce qui l'inquiétait, c'était Reed.

Je pinçai mes lèvres, cherchant les mots pour la rassurer. Mais je ne pouvais pas lui promettre que Jimmy Reed allait être touché par sa chanson... En réalité, je n'avais aucune idée de comment il allait réagir.

-Non... Ce n'est pas stupide... C'est normal...

Je soupirai, mais pas d'exaspération, seulement d'impuissance.

-Je n'ai foutrement aucune idée de ce que tu peux ressentir, du stress que ça doit engendrer. Et je n'ai aucune idée de comment Reed va réagir. Mais ce que je sais, c'est que si L.A. ne t'ignore pas, il n'aura pas le choix. C'est dans sa logique et dans sa nature.

Je me levai et vins l'embrasser sur le front pour l'encourager.

@ Billy Lighter

C’est incroyable qu’après quelques essais, Jack soit parvenu à peaufiner un petit montage qui rend plus que bien la mélodie de ma chanson.  Je ne peux m’empêcher de sourire, parce que je sais que ce que j’ai écrit est bon et qu’avec Jack pour m’aider à la travailler, ce sera ultra bon !

Et ça ne s’arrête pas là car il a en tête de m’entourer de mes propres musiciens plutôt que de faire appel à ceux de chez BSC. C’est quand même  mieux quand j’y songe, parce qu’on devra travailler ensemble, constamment et d’avoir ma propre équipe renforcera le sentiment d’appartenance.
Tant qu’à être obliger de côtoyer des gens, pourquoi alors pas en faire une famille ?

Et ça tombe bien puisqu’il y a justement un mec assez sympa à mon école. Je ne le connais pas encore très bien mais je l’ai entendu en classe de musique et il se débrouille plus que bien sur une batterie. Mais ça… je lui en parlerai plus tard.

Pour l’instant je ne fais qu’hocher de la tête pour lui montrer que je suis en accord avec ses idées.  De toute façon, plus les jours passent, plus j’ai confiance en Jack. Je ne me questionne même plus.

Sauf pour le chant. Parce que c’est le moment d’aller enregistrer ma voix et l’angoisse grimpe de nouveau en moi. Stupidement je pense à mon père et ça vient me bloquer. J’finis par lâcher le morceau, expliquer à Jack pourquoi je me sens moins en confiance  maintenant que nous passons à l’enregistrement de ma voix et, au lieu de se moquer de moi, ou de balayer du revers de la main mes craintes, il se montre compréhensif.

Mon père hante mes actions depuis que je suis toute petite. Sans même le connaître, il s’est imposé dans ma vie par la force des choses. Et aujourd’hui, j’ai la possibilité à mon tour de venir chatouiller sa tranquillité d’esprit.

Ce n’est pas quelque chose à prendre à la légère. C’est probablement ma seule chance de pouvoir le faire. Il faut que ce soit la bonne.

Jack se lève et vient m’embrasser sur le front. Je plisse du nez, en ricanant. C’est exactement ça dont j’ai besoin.

Et je reviens à me demander « Pourquoi c’est pas lui, mon père ? ». J’pourrais même regretter ne pas être un peu plus vieille…

J’respire un bon coup, est je retourne derrière le micro. J’dois le faire. Pour moi. Tout simplement pour moi.  

Et je le fais. Une fois. Une seconde. Et encore une autre. Je donne tout ce que je peux, comme si je pouvais passer un message à la terre entière. Comme si je pouvais atteindre Jack en plein cœur avec mes phrases.

C’est lui que je fixe alors que je chante. Encore.

Jusqu’à ce qu’il juge que c’est terminé et que je peux retirer mes écouteurs pour le rejoindre de l’autre côté.

Je n’ai pas besoin de lui demander ce qu’il en pense.  Je le sens déjà.  J’viens juste le serrer très fort, parce que j’ai besoin de me sentir rassurée.

- J’crois que je ne peux pas faire mieux dans l’immédiat.

J’viderais des litres d’eau, parce que j’ai forcé ma voix dans les dernières prises.  Tant qu’à faire des essais, j’en ai profité pour  tenter différentes tonalité et c’était pas désagréable de pousser un peu et voir ce que je pouvais vraiment produire.

Et si on a quelque chose de bien, peut-être que mon p’tit projet que j ‘ai en tête depuis deux ou trois jours pourra mieux passer auprès de Jack. Je ne risque rien de lui demander, si ?

- Jack… Tu sais, dans deux semaines, il y aura un congé scolaire de 4 jours et… bien en fait je me disais que je pourrais peut-être… aller rendre visite à ma mère ? Avec toi… ?

C’est maintenant son tour de devoir prendre le temps d’assimiler l’information. Ou plutôt la demande. Parce que j’ai conscience qu’il doit avoir ses propres trucs à faire en dehors du boulot et que les longs congés, il doit aimer les passé avec sa propre famille. Seulement, malgré tout, Tijuana me manque et j’ai envie d’y retourner l’espace de quelques journées.  Mais pas seule. Non hors de question.

- Ma mère apprécierait surement de pouvoir mettre un visage sur l’homme qui s’occupe des intérêts de sa fille… Et j’aimerais bien te montrer là où je suis née.

@ Billy Lighter

Plus on avançait, plus j'avais l'impression de capter le truc avec Olivia. Et le truc, c'était que je ne devais pas réfléchir, que je devais y aller au feeling. C'était finalement ma sœur qui avait raison (encore). Je n'avais qu'à être moi-même, faire les choses comme je pensais qu'elles devaient être faites, non seulement au niveau management, mais aussi humainement, avec la jeune fille.

Alors quand elle avait eu besoin de conseils, je lui en avais donné, quand elle avait eu besoin de réconfort, je lui en avait donné et quand elle avait eu besoin de réponses, je lui avais répondu franchement que je ne savais pas plus qu'elle comment allait réagir Jimmy Reed.

Après une brève étreinte que je voulus rassurante, elle était repassée derrière son micro. Et elle avait tout donné, plusieurs fois... elle chantait en me regardant et pourtant, personne ne l'ignorait moins que moi.

Et je pensais bien qu'on tenait le titre du single.

Mes écouteurs sur la tête, je soutenais son regard, souriant devant tant de talent déployé. Un talent encore en pleine croissance, comme elle, et d'autant plus fragile, comme elle, mais qui, avec le temps, si on gérait bien, pouvait devenir une valeur sûre !

Au moment où je sentis qu'elle commençait à devoir forcer, je la fis arrêter. On avait plus que suffisamment de prises pour aujourd'hui. Quand elle repassa côté régie, je l'accueillis avec un grand sourire satisfait... Fier, même. Et elle se jeta dans mes bras alors que j'étais toujours assis. Je la gardai contre moi, caressant ses cheveux, jusqu'à ce qu'elle décide de s'éloigner.

Elle avoua ne pas pouvoir faire mieux dans l'immédiat et je secouai la tête.

-Il ne vaut mieux pas, de toute façon. Tes cordes vocales doivent encore évoluer et vaut mieux les préserver. Tout au long de ta carrière, il faudra faire attention de toute façon, mais en particulier maintenant.

Je me retournai vers la console pour éteindre certains voyants et en allumer d'autres.

-T'as bien bossé. J'espère que tu as aimé cette première expérience. Parce que ça a été le cas pour moi. Tu es un diamant brute, faudra encore polir un peu tout ça. Mais un jour, tu brilleras tellement que personne ne pourra t'ignorer.

Je lui souris. Avant de passer la dernière bande avec sa voix enregistrer sur l'autre machine, la superposant à celles qui contenaient les lignes de guitare.

J'allais appuyer sur « play » pour lui faire entendre le résultat, mais elle m'interpella avant et je me retournai vers elle pour l'écouter. Sa voix était hésitante et j'avais l'impression qu'elle était à deux doigts de recommencer à jouer avec les pans de son chandail. Elle voulait que j'aille avec elle, à Tijuana, rendre visite à sa mère. Je me laissai aller en arrière, m'adossant à mon siège et quand j'ouvris la bouche pour répondre, Olivia ne m'en laissa pas le temps, argumentant pour mettre toutes les chances de son côté. Alors je refermai ma bouche pour la laisser finir.

Puis je souris.

-Ok. On fera ça. Dans deux semaines. Avec plaisir.

Je n'avais rien à faire et je n'avais de toute façon pas envie de dire « non ». Tijuana n'était pas au bout du monde non plus. Un peu moins de 3 heures en bagnole pour quelque chose comme 250km. Juste derrière la frontière, comme si on l'avait juste jetée par dessus le mur invisible entre le Mexique et les USA. Je m'étais déjà renseigné au moment où j'avais commencé à parler affaire avec la mère de Livia au téléphone.

-Rien de tel qu'un petit roadtrip pour nous changer les idées. Et je suis curieux de voir où tu as passé ton enfance.

Je me retournai vers la machine et appuyai cette fois sur « Play » pour qu'elle puisse entendre ce qu'elle avait créé aujourd'hui. Quand la chanson arriva à sa fin, je restai silencieux quelques secondes avant de la regarder dans les yeux.

-Tu as un titre pour ce single?

@ Billy Lighter

À force de pousser ma voix et de reprendre encore et encore ma chanson, j’ai la gorge très sèche et l’air devient irrespirable. C’est donc avec joie que je rejoins Jack de son côté de la vitre, profitant de la climatisation fraîche.

J’suis plus que satisfaite de ma performance et je viens l’étreindre, cherchant à la fois son réconfort et son approbation. Mon manager est tout aussi emballé que moi et compare mon talent à un diamond brute  ce qui ne manque pas de flatter mon égo déjà bien surdimensionné.

En même temps, ce n’est pas comme si j’en doute mais de l’entendre de sa bouche, lui qui en a vu d’autres, c’est la plus belle récompense qui soit.

Ça me donne le courage nécessaire pour lui exposer mon projet. Courage, oui car depuis notre petite sortie au parc d’attraction, je veux être certaine de bien choisir mes mots, de ne pas avoir l’impression que je lui impose un caprice de gamine et surtout, que son opinion m’importe.

Et Jack écoute attentivement ma requête, et mieux, l’accepte. Dans deux semaines, nous irons donc rendre visite à ma mère à Tijuana et je pourrai lui faire visiter le coin. Je suis emballée. Mais surtout rassuré car si Jack avait accepté le projet mais en m’y envoyant seule, je ne m’y serais pas rendu.

J’vais avoir besoin de lui comme support. Parce que si j’ai l’intention de lui présenter ma mère, j’ai aussi besoin de régler certaine choses. De poser certaines questions. Sinon je n’arriverai pas à faire la paix avec… Tijuana.

Je lâche un long soupire de contentement alors que Jack lance ma chanson, avec la superposition de ma voix et de la guitare. Je sens mes joues devenir rouge. C’est en fait la première fois que je m’entends de cette façon et  l’effet me plaît.

-  J’sais pas quoi t’dire… Si je dis que ça sonne mieux que du Tina Turner, tu vas dire que j’ai la grosse tête, mais… c’est encore mieux que ça !

Bah tiens, j’suis un génie moi, oubliez pas !  Normal que mon premier essaie studio soit un succès !

Et les choses se bousculent dans ma tête. J’me vois déjà en première partie, non, tête d’affiche  des plus grandes salles des États-Unis ! Sky is the limit !

Jack me ramène cependant sur terre en me demandant si j’ai songé à un titre pour mon premier single.  Y’a pleins de choses qui me viennent en tête que je ne sais pas trop laquelle se démarque par rapport aux autres.

- This is me… Don’t ignore me…  Why you can’t see me…  Un peu dans ce sens là. Pourquoi il me voit pas alors que j’suis là.  Un truc qui force la réflexion. La sienne…

J’aime pas trouver des titres à mes pièces.  Parce que je ne veux pas que les gens jugent par le titre. Sauf que cette fois, c’est un peu  l’appât et le reste, la trappe.  

Je m’assoie dans la chaise vide aux côtés de celle de Jack et je me fais tourner sur moi-même en laissant aller ma tête vers l’arrière. J’le fais assez pour  m’étourdir. Don’t ignore me  demeure la meilleure punch line. C’est comme si je lui donnais un ordre, le forçant à m’écouter, ou plutôt écouter ma chanson jusqu’au bout.  

- J’me sens hyper émotive, juste là, maintenant.  C’est plein d’émotions contradictoire dans ma tête. La satisfaction du travail accomplis et la nervosité d’attendre le verdict final. Tu sens ça, toi aussi ?

@ Billy Lighter

J'avais l'impression de n'avoir jamais vu Olivia aussi soulagée et détendue qu'au moment où j'avais accepté, sans condition, de l'accompagner voir sa mère à Tijuana. Je n'avais aucune idée jusque-là que ça ait une quelconque importance pour elle. Jusque-là, elle m'avait plutôt laissé voir l'image de l'adolescente à la recherche de sa liberté et de son autonomie. Mais fallait croire que ce n'était qu'une façade et qu'elle n'était pas encore tout à fait prête à laisser derrière tout ce qui avait fait d'elle ce qu'elle était, pour se lancer vers l'inconnu.

Et aussi paradoxal que ça puisse paraître, je trouvais ça très mature. Peut-être sa véritable décision en tant que femme et non en tant qu'enfant. Une sage décision. Garder un fil d’Ariane lié à son passé avant d'avancer dans un labyrinthe peut-être bien plus complexe qu'on ne le croyait, l'un comme l'autre.

Si elle avait eu peur que je ne la prenne pour une petite fille qui voulait retourner se planquer dans les jupes de sa mère, elle avait eu tort. C'était tout l'inverse. Et j'étais d'autant plus fier d'elle.

Sans autre commentaire, j'avais lancé les bandes enregistrées pour lui donner une première idée de ce qu'elle avait produit jusqu'ici. Et un sourire se dessina sur mon visage au fur et à mesure que je voyais son visage s'illuminer.

Quand la chanson arriva à sa fin, j'entendis à nouveau la voix de ma protégée, encore un peu rauque de l'effort. Je pris une bouteille d'eau et lui lançai alors qu'elle ne tarissait pas d'éloges sur elle-même.

-Non. Tu n'as pas la grosse tête. Tu as la super grosse tête !...

Je lui souris et lui fis un clin d’œil.

-Mais t'as de qui tenir...

Mais pour en revenir aux choses sérieuses, je voulais savoir quel titre elle comptait donner à son single. Elle donna plusieurs proposition avant de décrire ce qu'elle voulait... Et moi, Don't Ignore Me m'était venu naturellement en lisant son texte.

-Tu peux y réfléchir encore. J'ai une préférence pour Don't Ignore Me, mais c'est ton single.

Je ne voulais l'obliger à rien, mais en tant que manager, je pouvais clairement l'orienter. C'était mon job. Et si Reed savait que Livia était sa fille. Alors il saurait aussi que ce message, cet ordre, s'adressait à lui.

Livia avait pris place dans le deuxième siège et entreprit de tourner sur elle-même en disant d'une voix rêveuse ce qu'elle ressentait... Je souriais, rêveur moi aussi, l'écoutant alors que le reste du studio avait l'air complètement désert. Elle me demanda si je ressentais la même chose qu'elle et je penchai la tête sur le côté avec une moue de réflexion.

-La satisfaction du travail accompli ? Non... Parce que ceci n'est qu'un premier jet bien que très prometteur... J'aurais la satisfaction du travail accompli quand il sera effectivement accompli.

Je la regardai tourner...

-Quant au verdict final...

C'est surtout pour toi, que j'ai peur...

-On verra bien. Mais j'ai bon espoir que tu arrives à tes fins...

@ Billy Lighter