Tout était allé très vite. J’avais reçu, il y a trois jours, la nouvelle comme quoi ma femme, Samantha, avait été assassinée alors qu’elle sortait des studios de MTI. Depuis, je vivais comme dans une autre dimension… Le choc avait été tellement rude que je n’avais même pas pleurer. J’avais enchainer les formalités à remplir dans ce cas-là… Identification, brève enquête, enterrement… J’étais en pilote automatique.

Je ne réalisais pas que je venais de perdre la femme de ma vie… Une vie prise par la mafia – car c’était bien lors d’une exécution mafieuse qu’elle avait été tuée. Une fusillade d’une voiture à l’autre… La police a déjà trouvé le coupable. Un ancien membre de la Casa Nuova. Je croyais que Jim les avais tous éliminé mais il semblerait que certaines rats avait déjà quitté le navire avant le massacre.

Pourquoi maintenant ? Aucune idée. Le potentiel coupable a décidé de ne pas parler.

Le living de ma villa se vidait des gens venus rendre hommage à Sammy après la cérémonie. Il y avait eu pas mal de monde. Les poulains de Sammy, Davide – notre ami d’adolescence, des gens de MTI, des amis qu’elles s’était fait ça et là depuis qu’elle était à Los Angeles et sa mère – bien sûr – qui vivait toujours chez moi pour l’instant. Mais la matriarche Mancini avait décidé de rentré au pays car Los Angeles lui rappelait, désormais, la perte de son enfant unique. Elle avait perdu son mari et sa fille tous deux assassinés par la mafia. Nul doute qu’elle veuille, désormais, s’éloigner de tout ça.

Une fois tout le monde parti, j’avais quitté la villa laissant les enfants au bon soin d’Erik. Daniela ne se rendait pas compte de ce qu’il se passait… Elle n’avait pas encore deux ans et je savais que – en grandissant – tout ce qu’elle aura comme souvenir, en tête, de sa mère, ça sera ce qu’elle verra sur certaines photos… Avec le temps, elle ne se rappellera même plus de sa voix. Je le sais car ça avait été la même chose avec la mienne que j’avais perdu quand j’avais deux ans. Que ma fille vive la même chose était probablement la chose la plus insupportable dans cette tragédie. Car je savais que, moi, je m’en relèverais… Mais les enfants ? Comme ils vont faire pour grandir sans mère ?

Comme moi…

C’est ce dont j’essayais de me convaincre. Comme moi. M’en suis-je bien sorti ? Oui. D’une certaine façon, oui.

C’est chez Jim que j’avais décidé d’aller. Il n’était pas venu à l’enterrement ce qui n’était pas une surprise. Lui et Sammy ne s’aimait pas et Jim n’avait pas l’habitude de jouer les grands hypocrite. Mais j’avais besoin de le voir et de boire.

J’avais sonné à la porte de sa villa et c’est John qui m’avait ouvert. Jim avait récemment retrouvé son fils, J.R. ce qui était une très bonne chose et je savais que Maritza avait été envoyée en prison pour 5 ans. Maritza… Ça avait été le tout dernier point de discorde entre moi et Sammy. Tout ça me semblait très loin maintenant.

John m’avait emmené au salon où se trouvait Jim.

-Salut, Jim…, soufflais-je.

Je me laissai tomber dans le fauteuil.

-Tout est fini… Elle a été enterrée tout à l’heure… Je crois… Je ne réalise pas encore, je pense, dis-je d’une voix légèrement tremblante.

J’avais entendu un tas de discours aujourd’hui n’ayant même pas eu le courage d’en faire un. Comme si j’avais vécu cette journée hors du temps.

-La mafia… C’est la mafia qui a fait ça. Un ancien membre de la Casa Nuova… Je croyais que tu les avais tous tué, Jim !, dis-je une once de reproche dans la voix.

Mes reproches étaient stupides mais ce qui était arrivé faisant trop peu sens pour moi que pour que je ne me mette pas en quête d’un coupable facile.

Aujourd’hui, c’était l’enterrement de Samantha Ricci et je ne m’y étais pas rendu, par respect pour Daniele. En effet, il savait très bien que je n’avais aucune affection pour la défunte manager de MTI et me présenter à la cérémonie aurait été, selon moi, une insulte et une preuve d’immonde hypocrisie. Et si j’avais bien des défauts, l’hypocrisie n’en faisait pas partie.

J’avais donc préféré rester à la maison avec J.R. Je l’avais pris dans le salon avec moi, le posant sur son tapis de sol représentant des routes et des maisons, sur lesquelles il pouvait faire rouler ses petites voitures de sport.

Il était donc sagement en train de jouer à mes pieds, faisant des « brrrr » en faisant rouler ses voitures, pendant que moi, j’ouvrais un L.A.People qui datait déjà de quelques jours. J’adorais le dernier article de Sørensen qui racontait comment Shran et Hughes, Brent Hughes, s’étaient introduit sur le tournage de Galactic Wars, sabotant ainsi une scène de Maxwell.

Ça me faisait sourire à chaque fois, de relire cet article. Non seulement parce que l’histoire en soit était drôle. Shran et Hughes étaient vraiment deux clowns… Mais aussi parce que connaissant Maxwell et comme l’article le disait, les choses n’allaient pas en rester là. Les deux communistes allaient devoir faire face aux conséquences de leurs actes.

Alors, J.R. tira sur mon pantalon pour attirer mon attention en prononçant le mot « papa » plusieurs fois. Je refermai mon magazine et l’observai, le regardant droit dans les yeux. Il soutint mon regard en fronçant légèrement les sourcils puis leva sa petite main qui tenait une petite voiture.

-D’accord, je vais jouer avec toi.

Je glissai de mon fauteuil pour m’assoir moi aussi sur le tapis de sol et pris une réplique de Ferrari bien rouge.

-Tiens, prends la Camaro jaune… Tu veux faire la course ?

Je plaçai J.R. à côté de moi et lui montrai comment projeter sa voiture vers l’avant le plus loin possible.

-Celui qui va le plus loin a gagné.

On essaya une fois, mais même contre mon fils de presque deux ans, je ne comptais pas perdre s’il n’y avait aucune bonne raison de perdre. Je souris quand ma voiture alla plus loin que la sienne.

-Il va encore falloir t’entraîner.

J’allai rechercher les deux voitures à l’autre bout de la pièce et ce fut alors que je les rendais à mon fils que j’entendis la sonnette de la villa et les pas de John se précipiter dans le grand couloir. Quelques secondes plus tard, un Daniele Ricci pâle et qui semblait avoir pris dix ans en trois jours apparut dans mon salon.

-Salut, Daniele.

Je rendis ses voitures à J.R. qui se remit à jouer comme s’il avait compris que mon temps pour lui était écoulé. Mon ami, lui, ne semblait même pas avoir remarqué la présence de l’enfant.

Dans un souffle, Daniele m’expliqua que c’était terminé. L’histoire de Samantha Ricci était terminée.

-Assieds-toi…

Je lui dis cela en lui désigna le fauteuil et me dirigeai vers le mini bar du salon que John venait de déposer, discret comme tout bon majordome savait l’être. Je nous servis deux verres de whisky.

-Le mieux est de procéder un jour à la fois, je pense. Je n’ai pas vécu ce que tu as vécu, jamais. Je n’ose même pas imaginer ce que tu ressens.

Je n’avais aucune compassion pour Samantha Ricci, mais il n’en allait pas de même pour le sentiment que j’avais envers mon meilleur ami. Même si moi, je jubilais du fait que Samantha ne soit plus de ce monde, je savais qu’il n’en allait pas de même pour Daniele qui l’avait aimée.

Comme Daniele ne supportait pas qu’on lui tende des objets pour qu’il les prenne, je déposai son verre sur la table basse puis j’allais me rassoir dans mon fauteuil attitré. Et comme si je ne le savais pas déjà, Daniele parla de l’exécution de sa femme par la mafia, me reprochant presque d’avoir oublié quelques éléments de la Casa Nuova lors du massacre que j’avais perpétré de mes propres mains.

Je pris une petite gorgée de whisky en l’observant.

-Tu sais comment fonctionne ce genre d’organisation… Ce n’est pas en un coup d’éclat qu’on peut tous les déloger et les supprimer… C’est un cancer qui métastase, la mafia.

Je savais, moi, que Ward était, en réalité, derrière l’exécution de Samantha. Mais j’avais décidé de ne pas révéler cette information à Daniele. Pas maintenant, en tout cas. Je ne voulais pas que, sous le coup de la tristesse et de la colère, Daniele fasse tomber celui qui était désormais mon tueur à gage. Cependant, je n’avais pas commandité le meurtre de Samantha.

-Comment tu te sens ? Et Tony et Daniela ?

J’étais tellement toujours sous le choc que je n’avais même pas remarqué J.R. qui était là en train de jouer aux petites voitures sur le sol du salon. J’étais allé vers Jim et l’avais salué avant de me laisser littéralement tombé dans un des fauteuils quand il me dit de m’asseoir.

Il s’empressa de nous fournir de quoi boire… J’avais besoin de whisky – j’avais l’impression que c’était le seul moyen pour moi de redescendre sur Terre. Car j’avais l’impression de ne pas être totalement là depuis que j’avais appris l’horrible nouvelle.

Jim disait que le mieux était de procéder un jour à la fois. Il disait ne pas oser imaginer ce que je ressentais. Ce n’était pas le premier à me dire qu’avec les temps, les choses iront mieux… Certains ont aussi lancé que je devais être fort pour les enfants. J’en avais entendu pas mal de chose à ce foutu enterrement.

-Un jour à la fois, répétais-je d’une voix rauque.

Jim avait déposé mon verre devant moi. Je m’étais penché pour le prendre. Jim connaissait bien la règle numéro 5. Je bus alors l’entièreté de mon verre d’une traite avant de parler de ce qu’il s’était passé. C’est la mafia – du moins ce qu’il en restait – qui avait exécuté ma femme. Je ne pouvais m’empêcher de me rappeler qu’il fut un temps où Sammy et moi crevions de trouille que Ward Fleming vienne s’en prendre à Sammy ou bien aux enfants… Finalement, les choses s’était tassées et on avait baissé notre garde sans penser que le danger pouvait venir d’ailleurs. J’ignorais qu’il restait des membres de la Casa Nuova. Alice ayant été, elle aussi, exécuté à Rome par, je le supposais, Ward Fleming lui-même, pour moi, la Casa Nuova était éradiquée.

Mais ce n’était pas le cas et j’en voulais irrationnellement à Jim pour ça.

Il se défendit en disant qu’on ne pouvait pas se débarrasser de toute une mafia en un seul coup. Que c’était comme un cancer.

-Je sais… Je regrette simplement d’avoir à ce point baisser ma garde, lançais-je furieux contre moi-même. Je devrais savoir d’expérience que nos démons finissent toujours par nous rattraper.

Ils avaient rattrapés Sammy… En temps qu’ex-femme de Mario Conti, elle avait fait partie de la Casa Nuova. Peut-être malgré elle mais tout de même. Elle avait payé cette allégeance comme je savais que je payerais un jour celle que j’avais à la Famille de Los Angeles. Bien que mon implication – avec eux – était différente.

Jim se demandait comment allait les enfants. Et moi aussi…

-Daniela ne se rend pas compte de ce qu’il se passe. Elle est trop jeune. Elle cherche simplement après sa mère sans comprendre qu’elle ne reviendra jamais, dis-je le visage fermé.

Je fis glisser mon verre sur la table basse pour que Jim me serve à nouveau.

-Tony est assez grand pour comprendre lui. Erik lui a expliqué au mieux. Il est triste mais il est jeune… Il s’en remettra. Je le sais d’expérience, ça aussi, dis-je en faisant référence à la mort de ma propre mère.

Je n’avais pas peur d’élever deux enfants tout seul. J’avais Erik – c’était suffisant. Mais la perte de celle que j’aimais était quelque chose de très difficile à gérer.

-Je n’arrive pas encore à bien me rendre compte, je pense… Depuis que j’ai appris qu’elle est morte… Depuis que j’ai été identifié son corps… J’ai l’impression que je vis dans un espèce de cauchemar. Mais ce n’en est pas un, dis-je pour essayer d’expliquer comment, moi, j’allais.

Ma voix tremblait et des filets de larmes commençaient à couler les long de mes joues. Toutefois, je n’éclatais pas en sanglot.

-Tout le monde, à l’enterrement, m’a dit comme toi… Qu’ils n’ont jamais vécu ce que je vis… La seule personne qui a vécu ce que j’ai vécu ne s’est même pas pointé…, dis-je avec un ton de reproche dans la voix.

Mon père… Il avait vécu la même chose mais -  comme d’habitude – il n’était pas là.

Daniele était clairement sous le choc. Je n’avais pas besoin qu’l me fasse un dessin. C’était écrit sur sa tête. Le truc, c’était qu’à part lui servir du whisky et des banalités, je ne pouvais pas faire grand-chose. Samantha était morte, elle ne reviendrait pas. Et si pour moi, qui ne pouvait pas la piffer, c’était tant mieux, pour Daniele qui l’avait aimée jusqu’à lui faire un enfant, c’était différent.

Il lui faudrait du temps.

Et un jour à la fois, comme il le répéta.

Il siffla ensuite son verre cul sec et je fis de même pour l’accompagner dans son deuil à défaut d’avoir été à ses côtés à l’enterrement. De toute façon, je savais que c’était maintenant que Daniele avait besoin de moi, pas avant.

Je lui expliquai alors que la mort de Samantha ne résultait que de ses liens avec la Casa Nuova. Tout comme Daniele et moi, elle vivait une vie dangereuse. Mais je me gardai bien de dire à Daniele que sa femme s’était aussi mise à dos l’homme le plus dangereux de Los Angeles : Ward Fleming.

Il regrettait d’avoir baissé sa garde.

-Samantha était assez grande pour rester sur ses gardes elle-même.

Je me penchai légèrement en avant et le regardai dans les yeux.

-Ce que tu faut absolument que tu intègres, c’est que ce n’est pas ta faute.

Sinon, la culpabilité allait le ronger.

Je lui demandai alors comment il se sentait, ainsi que ses enfants. Je savais que je ne pourrais pas y faire grand-chose, quoi qu’il me raconte. Mais il ne fallait pas qu’il garde tout pour lui non plus. Ward avait créé une grosse boule putride dans la gorge de Daniele et je tenais à l’éclater, à faire sortir tout ce qui était mauvais.

Puis à pousser mon ami pour le faire avancer. Ce serait dur pour lui, mais je savais qu’il y arriverait.

Il m’expliqua que Daniela ne se rendait pas compte des choses. Je hochai la tête et lui resservis un verre ainsi qu’à moi-même. Tony, lui, avait conscience que sa mère d’adoption était partie pour de bon, il était triste, mais le temps ferait son œuvre plus facilement que sur Daniele.

Quant à Daniele lui-même, il avait l’impression de vivre dans un cauchemar qui n’en était pas un. C’était la vérité bien réelle, tangible.

Daniele pleurait. En silence, mais il pleurait. C’était justement tout le mauvais qui sortait. Il allait pleurer quelques jours, puis ça passerait. Dans mon monde, c’était comme ça. Le chagrin pouvait exister, mais jamais trop longtemps.

Sur un ton de reproche, il parla de son père qui n’était pas là à l’enterrement de Samantha.

-Tu crois que s’il avait été là, il t’aurait donné les clés ou les réponses ?

Je pris une petite gorgée de whisky.

-Personnellement, je ne le pense pas. Tu vas devoir trouver tout seul. Je sais que tu aimais Samantha, d’une façon qui était à la limite du déraisonnable.

Un peu comme moi avec Maritza… Et j’en avais payé le prix aussi, mais d’une façon différente.

-Mais maintenant, il va falloir te forcer à mettre un pied devant l’autre, Daniele. Je te soutiendrai, ça tu le sais. Je te rattraperai quand tu trébucheras… Mais il faut avancer.

J’aurais dû rester sur mes gardes. C’est le seul reproche que je pouvais me faire dans cette histoire. J’avais baissé ma garde et les anciens démons de Samantha était venus la frappée à un moment des plus inattendus. Jim tenta de diminuer ma culpabilité en disant que Samantha était assez grande pour rester sur ses gardes elle-même. Certes – elle aurait pu… Vu les liens qu’on avait, on aurait dus tous les deux rester constamment sur nos gardes.

Il voulait que je sache que tout ça n’était pas ma faute. J’avais soupiré profondément. La culpabilité. C’était un sentiment que j’avais mainte fois ressenti. Chaque fois j’essayais de l’enfuir au plus profond de moi mais elle finissait toujours par ressentir par tous les trous. Ça avait été le cas pour The Army… Ça avait été le cas pour Anthony Smith… Est-ce que ça sera le cas pour Sammy ? Dans une moindre mesure car – cette fois – ce n’était, effectivement, pas entièrement ma faute. C’était celle de choix de vie que Sammy avait fait.

-Je sais, soufflais-je. Mais je ne pourrais pas m’empêcher de penser, au moins un temps, qu’on aurait dû être plus prudent. Elle comme moi. Samantha était assez grande mais mon devoir était aussi de veiller sur elle.

Les larmes coulaient le long de mes joues mais je ne sanglotais pas pour autant. Je me contentais d’encaisser le choc du mieux que je pouvais.

J’avais donné des nouvelles des enfants. Finalement, la moins choquée par tout ça était Daniela… Elle était celle qui se rendait le moins compte de la situation et celle qui s’en remettra plus vite. Je le savais parce que j’étais passé exactement par la même situation qu’elle. Ma mère m’avait été enlevée alors que je n’avais que 2 ans. J’aurais voulu que la vie de Daniela soit différente mais le sort avait voulu que ma fille passe par les mêmes épreuves que moi.

C’était pour moi que c’était dur. J’avais encore du mal à me rendre compte que ma femme n’était plus là et qu’elle ne reviendra pas. Pourtant, j’avais vu son corps – une épreuve particulièrement difficile, cela dit en passant.

Jim ne pouvait savoir ce que je ressentais. Le seul qui l’aurait pu ne s’était même pas présenté à l’enterrement de me femme. Il s’agissait de mon père qui - même dans ces moments - n’était même pas foutu d’être là ! Il n’avait jamais été là !

Jim se demanda s’ils m’auraient donné les clés pour surmonter ça alors que je m’enfilai d’une traite le second whisky servi ma Jim.

-Je n’en sais rien, lançais-je sincèrement. Mais ça aurait tout de même prouvé qu’il en a quelque chose à foutre. Sauf qu’après toutes ces années, je devrais me rendre définitivement à l’évidence qu’il n’en a que faire, rajoutais-je d’un ton rempli de rancœur.

Car – comme je l’avais dit à Livia – mieux vaut un père qui te dis que tu es stupide parce qu’il a peur pour toi qu’un père qui se fiche complètement que tu existes. Elle n’avait pas compris à l’époque mais ça n’a plus aucune foutue importance.

Jim pensait bien que ça n’aurait rien changé. Que les réponses, je devrais les trouver tout seul. J’avais ricané quand il avait ajouté que j’avais aimé Samantha à la limite du déraisonnable.

-Peut-être. Mais l’amour c’est la seule chose que toi et moi on ne peut pas calculer, lançais-je alors que lui-même avait été pris dans ses filets avec Maritza.

Mais il avait raison. Je ne pouvais pas m’écrouler… Je devais avancer… Je devais le faire ne serait-ce que pour ce qu’il me reste de Sammy : Daniela. Jim disait qu’il sera là pour moi et je savais qu’il le fera à sa manière toute personnelle. Jim n’aimait pas les gens qui s’écroulaient pour des broutilles mais il était prêt à aider ceux qui s’écroulaient à raison. Un deuil est une bonne raison.

-Toi et… Le whisky, dis-je en levant mon verre vide.

J’avais soupiré.

-Je sais que je dois avancer. Ce n’est pas la première fois que je touche le fond, dis-je en me remémorant mon passage à vide suite à l’article d’Amon sur The Army. Et je sais que tu seras là pour m’aider… Même si tu ne pourras pas faire grand-chose…

Hormis remplir mon verre que je fis glisser jusqu’à lui.

-Si quelqu’un comme Stone a pu s’en remettre, je peux m’en remettre, dis-je en faisant référence à l’album de Fireworks récemment sorti alors que Stone avait vécu, lui aussi, un deuil similaire au mien. Mais…

Mais depuis que je savais qui était le coupable, je ne pouvais m’empêcher d’en vouloir profondément au dénommé Fabio D’Alessandro.

-Je veux que Fabio D’Alessandro souffre, lançais-je alors que mes mots dépassèrent ma pensée. C’est lui qui l’a tué. Je veux qu’il prenne le maximum pour ce qu’il a fait.

Je savais qu’il pouvait très bien passer des accords, balancer des gens et tout ça dans le but de se voir garantir une peine plus clémente. Mais je refusais que ça finisse ainsi.

-Je veux qu’il passe le reste de sa putain de misérable vie en taule, lançais-je en regardant Jim droit dans les yeux. Je vais tout faire pour m'en assurer.

J’écoutai Daniele me dire qu’il ne culpabilisait pas trop, ce qui était une bonne chose. Il regrettait juste de ne pas avoir été assez prudent et que Samantha ait baissé sa garde aussi. Le truc que Daniele ne savait pas, mais que moi, je gardais pour moi, c’était que Samantha était dans le collimateur de Fleming… Et là… Ils auraient pu être tant qu’ils voulaient sur leurs gardes, ce serial killer serait quand même arrivé à ses fins.

Ne jamais sous-estimer Ward Fleming. C’était pour ça que j’avais fait en sorte de l’avoir avec moi plutôt que contre moi.

Je pris une gorgée de whisky.

-Veiller sur elle, peut-être… Mais tu n’aurais quand même pas su être tout le temps derrière elle. Et la connaissance, elle n’aurait pas accepté que tu la couve, danger ou pas.

Samantha avait été une femme de caractère… Avec tout ce que je détestais.

Les larmes coulaient le long des joues de Daniele, mais il restait droit, il ne sanglotait pas. J’étais plutôt content parce que Ward avait réussi à supprimer Samantha de l’équation sans pour autant détruire mon ami.

Ni ses enfants, d’ailleurs, qui étaient encore assez petits que pour vite s’en remettre. Tout ce que regrettait Daniele, c’était l’absence de son père. Il avait toujours été absent. Il ne lui avait jamais donné de conseil, ni même jugé ses choix, même de façon négative.

Non, le fait était que son père n’en avait jamais rien eu à foutre de lui. C’était ce dont Daniele se rendait un peu compte aujourd’hui. Je fis la moue. Je comprenais Daniele… Et je comprenais aussi un peu son père, vu le merci qu’on en a quand on se tracasse pour son gosse. Cela m’avait valu la haine d’Olivia, de me tracasser pour elle.

J’aurais dû m’en foutre.

Je regardai Daniele dans les yeux.

-Tu devrais le considérer comme mort, lui aussi. Il ne t’apportera jamais rien.

Il devait trouver les réponses tout seul et j’étais prêt à l’y aider. Déjà, en lui disant que l’amour déraisonnable, nous ne pouvions pas nous le permettre. Plus maintenant. Plus après s’être fait avoir. Moi, par une femme qui n’avait pas hésité à essayer de me voler mon fils et lui par une femme qui s’était cru invulnérable au point de ne pas faire attention à elle-même.

Daniele affirma que l’amour était la seule chose que nous ne pouvions calculer.

-Sauf si on donne à l’amour la valeur de zéro. Pour moi, c’est terminé. Je peux facilement effacer cette donnée de l’équation.

Et c’était sincèrement ce que je comptais faire. M’amuser, oui. Aimer réellement, non.

Bon… Elle était morte et enterrée, maintenant et j’étais prêt à pousser Daniele, s’il le fallait, pour qu’il mette un pied devant l’autre et qu’il avance. Je serais là pour veiller à ce qu’il ne tombe pas, comme avec J.R quand il se lançait dans des jeux d’équilibre…

Il avait levé son verre vide à cela, disant que moi et le whisky, on pouvait l’aider.

Je répondis par un sourire complice.

En plus, comme le disait mon ami, ce n’était pas son premier rodéo, il en avait vu d’autres. Il disait qu’il avait conscience que je serais là, mais que je ne pouvais pas faire grand-chose.

-Oh ne me sous-estime pas. Je saurai te faire penser à autre chose. Pense aux fêtes ! Pense à Roadtramp ! Roadtramp peut t’aider.

Le travail, avoir des projets, continuer à vivre et laisser la mort derrière.

Daniele disait que si Stone avait pu s’en remettre, il s’en remettrait.

-Exactement.

Mais il y avait un « mais »… Et j’écoutai Daniele attentivement. Il voulait faire la seule chose qu’il pouvait faire pour en partie « réparer » le fait de ne pas avoir fait plus attention : envoyer Fabio D’Alessandro derrière les barreaux. Je soutins le regard de mon ami et mes yeux brillèrent de malice.

-Si tu as besoin d’aide pour ça, je serai là.

Sur quoi, je pris le verre de Daniele, le fit glisser vers moi, et le lui remplis, tout comme le mien. Puis, je levai mon verre.

-A un nouveau chapitre.