Il était près de 19 :00 alors que je remontais de Downtown et que je roulais sur les routes sinueuses autant qu’agréables des collines lunaires de Malibu. Certains endroits avaient carrément été ravagés par les incendies de l’été et rendaient les lieux encore plus beaux alors que le soleil achevait de se coucher… Je pouvais le voir pointer encore, fine ligne de lumière, lorsqu’entre deux collines, l’océan semblait s’étendre sous les roues de mon bolide.
Seul dans mon cockpit, j’étais libre, au milieu de nulle part. Libre comme j’avais cru l’être au milieu de l’Eastside, dans les quelques mètres carré nimbés de l’aura de Maritza. L.A.Rocks en bruit de fond pour laisser place à mes pensées débridées maintenant que Downtown était derrière, et Malibu, pas encore tout à fait en vue. Un No Man’s Land.
Maritza qui serait à jamais la seule, l’unique. Mon ultime point faible.
Mes cheveux volaient au gré du vent qui s’engouffrait par la fenêtre ouverte, mais personne ne remarquerait ma voix vaguement éraillée si je prenais froid…
Parce qu’il n’y aura personne à la maison pour l’entendre.
Vous êtes sur L.A.Rocks, il est 19 :00…La voix de Jake Snyder. Balance Jake. Qu’est-ce que tu as à nous offrir aujourd’hui ? Qui a réussi à t’énerver assez pour être crucifié sur l’autel des médias ? Qui a réussi à percer ton armure et tes défenses pour aller toucher l’humain que tu ne veux pas être ?
Parle à tes auditeurs tant que tu as quelques minutes pour qu’on t’écoute, Snyder… Parce que je suis prêt à parier qu’après ça, tu feras comme moi : tu iras te terrer là où personne ne peut te trouver, là où tu veux que personne ne te trouve, là où personne ne va te chercher non plus… Parce qu’à force, c’est ce qui arrive.
Parce qu’aucun pont ne mène à nous… Sauf si on décide de l’abaisser.
Snyder me prit de court… Et c’était de bonne guerre.
-Livia…♫Je montai le son de l’autoradio, continuant de rouler en me retenant de fermer les yeux pour laisser la voix de ma fille envahir mon être.
Qui es-tu, Olivia ? Quelle part de moi vit en toi ? Quelle part de Maritza ? Héritière de mes ambitions ou de ses rêves ?
Qui aurions-nous été si je n’avais pas été moi ?
A l’heure où Daniele venait de révéler à L.A.People sa filiation au petit Anthony, je remettais tout en question, observant les choses de loin… Comme si j’avais envoyé mon meilleur ami en éclaireur et que j’attendais de voir ce qui allait se passer.
Le monde allait-il l’engloutir ? La jet-set le corrompre ? Les démons de Dany fondre sur le petit et le dévorer ? Anthony allait-il devenir meilleur que son père ? Pire ?
Est-ce que, moi, j’arriverais à la cheville de mon ami ? Est-ce que j’oserais dévoiler au monde ma fierté d’être père ? Est-ce que j’oserais avoir l’air humain ?
Est-ce que je serais meilleur que mon père ?
Le temps que mes réflexions fassent leur chemin, Snyder avait repris la parole. Il avait compris. Il avait saisi, au-delà des mots et de la musique, Olivia fissurait nos façades, nos murs, transgressait toutes les règles pour se frayer son chemin et viser juste.
Droit au cœur.
Quand Snyder envoya la deuxième chanson de l’album, je sus que je n’allais plus pouvoir conduire longtemps.
♫Je m’arrêtai au détour d’un de ces tournants mortels qui caractérisaient les collines de Malibu… Et les premières notes envahirent l’habitacle de la voiture alors que je montais encore le son, jusqu’à son maximum.
I've tried to leave it all behind me
But I woke up and there they were beside me
And I don't believe it but I guess it's true
Some feelings, they can travel too
Oh there it is again, sitting on my chest
Makes it hard to catch my breath
I scramble for the light of change
You're always on my mind
You're always on my mindMa gorge était serrée, ma vue se brouilla, mon coude appuyé contre le rebord de la fenêtre de ma Cadillac, je portai une main à mes yeux, essayant de résister à ce flot d’émotions que Livia avait lâché par le simple pouvoir de sa voix.
And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are
But even closer to you, you seem so very far
And now I'm reaching out with every note I sing
And I hope it gets to you on some pacific wind
Wraps itself around you and whispers in your ear
Tells you that I miss you and I wish that you were hereDe nets flashbacks m’assaillaient : je voyais, un peu flou, ma progression à travers l’appartement modeste de Maritza… J’entendais sa voix, je l’apercevais par le fin espace qu’elle avait laissé pour moi afin que je puisse, comme un enfant moi-même, l’observer se maquiller devant le miroir…
L’entendre chanter avec une justesse inégalée.
And if I stay home, I don't know
There'll be so much that I'll have to let go
You're disappearing all the time
But I still see you in the light
For you, the shadows fight
And it's beautiful but there's that tug in the sight
I must stop time traveling, you're always on my mind
You're always on my mind
You're always on my mindJe pris une grande inspiration, cherchant le contrôle, puis m’extirpai de la voiture, par la fenêtre ouverte. Je m’assis sur le toit, les yeux rivés sur le soleil mourant de décembre qui se fondait dans l’océan. La musique allait assez fort pour qu’on l’entende à 100 mètres à la ronde.
Mais j’étais le seul présent… Le seul à pouvoir l’entendre, comme j’avais été le seul à pouvoir entendre Maritza chanter. Comme j’allais être le seul à pouvoir entendre ma propre voix quand je serais rentré à la maison. Seul… Existais-je encore seulement lorsque j’étais seul, sans personne pour me donner consistance ?
Ou étais-je juste l’équivalent du chat de Schrödinger ?
And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are
But even closer to you, you seem so very far
And now I'm reaching out with every note I sing
And I hope it gets to you on some pacific wind
Wraps itself around you and whispers in your ear
Tells you that I miss you and I wish that you were hereJe me mis debout sur le toit de la voiture, les bras d’abord ballant, les yeux humides, la voix bloquée.
L’esprit bloqué.
We all need something watching over us
Be it the falcons, the clouds or the cross
And then the sea swept in and left us all speechless
SpeechlessElle avait 16 ans… Elle avait 16 ans et en savait certainement plus sur la vie, la vraie vie, que je n’en avais appris en 36 ans à essayer d’être le meilleur, supérieur…
Pour finir avec des paillettes sur mon costard pour seule richesse.
J’écartai les bras… Laissai mes larmes couler sur mes joues…
Et chantai… hurlai… à l’unisson avec ma fille.
And I never minded being on my own
Then something broke in me and I wanted to go home
To be where you are
But even closer to you, you seem so very far
And now I'm reaching out with every note I sing
And I hope it gets to you on some pacific wind
Wraps itself around you and whispers in your ear
Tells you that I miss you and I wish that you were here
Wish that you were here
Wish that you were here
Wish that you were here
I wish that you...Jusqu’à ce que le soleil s’éteigne à l’horizon.
Lyrics By Florence + The Machine’s Wish That You Were Here.