Bordel, j’aimerais tellement pouvoir rester pour toujours !
Quand je me sens mal, déprimé ou que je cherche simplement à oublier mes soucis l’espace de quelques heures, je trouve qu’il n’y a rien de mieux que de mater de charmantes créatures féminines se déhancher devant soi sous de la musique légèrement merdique et bien trop forte en s’envoyant des shots de vodka – pour faire simple, traîner dans les strip-clubs, les boîtes un peu louches et autres joyeusetés qu’on ne trouve que dans les quartiers les moins favorisés de la ville, là où ça jure pas avec le reste. On pourrait croire que vu mon statut et ma fortune, qui sont deux choses que j’assume complètement, je ne m’abaisserais pas à me traîner dans ce genre d’endroits, mais je suis Craig West et Craig West apprécie beaucoup les femmes, l’alcool et la fête. Là, on peut avoir les trois.
En début de soirée, je suis donc allé au Wild Wild Beaches, le club bien connu de South L.A, où j’aime bien oublier mes soucis en matant les seins absolument éblouissants de Goldie, ma stripteaseuse préférée, ou bien le beau cul de Jada, une asiatique pas farouche qui fait du pole-dance comme personne et qui me donne parfois vraiment l’envie d’être cette barre de pole-dance qui doit avoir une vie de rêve, quand on y pense. Et … bref, me voilà encore à raconter des conneries alors que je ne suis même pas encore bourré et qu’il est encore tôt … mais bon, c’est pour ça qu’on m’aime, hein.
J’en suis à mon cinquième verre, et je me sens encore tout à fait sobre – comme d’habitude, en somme. Je regarde ma montre – quoi, il est quasiment déjà minuit ? Bon sang, c’est vrai qu’on ne voit pas le temps passer quand on s’amuse. Mais je dois bien avouer que même moi, au bout d’un moment je sature de l’ambiance de ce genre d’endroits et ça fait bien une petite demi-heure que je n’amuse plus vraiment, en fait. J’oserais même dire que je me fais chier. Hum … et pourtant j’ai pas envie de rentrer chez moi tout de suite. J’imagine que je peux bien rester encore un peu, hein ?
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Hé, T.J, je m’écrit en faisant quelques pas vers mon pote,
tu veux qu’on reste un peu plus ou pas ?Ouais, parce que T. James Goldstein, mon pote photographe à peine légalement majeur, est avec moi. Il s’emmerdait, il voulait sortir un peu, mais aucun de ses potes n’étaient disponibles et en plus sa caisse est au garage, alors je l’ai un peu prit en pitié et je l’ai emmené avec moi. Nan, en vrai c’est parce qu’en tant que son ami riche de quinze ans son aîné je me devais de l’emmerder au WWB pour le décoincer un peu – parce que bon, T.J n’est pas vraiment un déconneur à la base, même si je respecte son côté ambitieux et tout ça. On voit qu’il a vraiment envie de réussir, d’être un artiste.
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Franchement, je commence à en avoir marre, me réponds T.J.
Fort bien. Moi aussi. Je lui fais signe qu’on part et finit d’une seule traite mon dernier verre de vodka.
T. James m’attend près de la voiture – une de mes voitures personnelles, une Chevrolet Camaro de 1980 grise, ce que j’ai de moins clinquant ; hé, c’est South L.A ici, quand même, j’ai pas envie de me faire agresser. Le quartier est dangereux, surtout la nuit et on y rencontre parfois des gens bizarres. Sans compter les gangsters bien sûr. Mais au cas où les choses tourneraient mal, j’ai un flingue dans la boîte à gants si jamais, même si j’aime pas trop ça. Parce que le deuxième amendement, tout ça.
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Ça fait cinq minutes qu’on roule et on n’a croisé presque personne. Bizarre. Je pensais qu’il y avait tout le temps des embouteillages, comme à Downtown ou dans l’Eastside, à toute heure de la journée – Los Angeles est connue pour ça après tout, non ? Pour Hollywood, pour la musique, et pour son réseau routier saturé ; et pour sa folie, aussi. Enfin je me comprends. Dans tous les cas, je trouve ça un peu déprimant, ces rues vides (et sales) – ça manquerait presque de m’endormir.
Je décide d’allumer la radio, histoire de mettre un peu d’animation – mais bien évidemment minuit c’est l’heure des rediffusions d’émissions de merde ou de talk-show à la con et j’ai horreur de ces conneries. Bon, c’est mieux que rien, j’imagine. A la place à côté de moi, T.J est affairé à passer en revue les instantanés qu’il a pris pendant sa journée ou je ne sais quoi – hé, j’espère qu’il n’a pas pris de photo pendant qu’on était qu’on WWB, l’enfoiré ! ça serait du pain béni pour les journaleux avec qui il travaille de temps à autre mais il m’a promis de ne jamais prendre de photo compromettante sur moi et il m’a l’air du genre de type auquel on peut se fier. Même si c’est un paparazzi, ouais. C'est un paparazzi avec des scrupules.
Et là – un putain de choc qui me fait sursauter et appuyer à fond sur le frein comme un dératé.
Ouah … qu’est-ce qui s’est passé, putain ? J’ai détourné mon regard de la route juste une seconde et un mec en a profité pour heurter ma caisse avec la sienne ; durement. J’ai senti passer le choc, putain ! Mais c’est qui ce con ?! C’est forcément lui qui est en tort puisque j’étais tranquillement sur ma voie et que je roule lentement comme à mon habitude. Merde … en tant cas, j’espère pour lui qu’il aura de quoi payer les réparations puisque, à en juger par le foutu bruit de métal froissé qui m’a fait grincé des dents, j’ai au moins une aile de niquée. Fait chier. Ma caisse était quasiment neuve.
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Putain mec, qu’est-ce qui s’est passé ?! me demande T.J, la voix tremblante.
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Qu’est-ce j’en sais moi ? Rien de cassé sinon ?-
Nan, mais toi, tu saignes, juste là !Il me montre du doigt mon front et je me mets à paniquer un peu – merde. La tête. Ça pourrait être grave – surtout que je n’ai pas vraiment ressenti de douleur et que c’est sans doute pas une bonne nouvelle ; en tant cas, je saigne, ouais, j’ai dû me cogner sur le volant en freinant ou quoi. Je sais pas, dans tous les cas je m’en occuperai plus tard. Je veux d’abord comprendre ce qui s’est passé et … tiens, d’ailleurs le conducteur d’en face viens de sortir de sa caisse. Pauvre gars, il a pas l’air bien. A moitié sonné, l’air d’avoir bu quelques (beaucoup, en fait) verres de trop. Bon, c’est vrai que je suis mal placé pour dire ça, mais … merde, c’est pas de ma faute cette collision, nan ? Si ? Peut-être ?
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Hé, vous pouvez me dire ce qui vient de se passer, là ?! je lance au type alors que je sors de ma Camaro en titubant.
Je suis étrangement calme – mais je sens en même temps qu’une fureur est en train de bouillir comme moi comme un putain de volcan qui se prépare à entrer en éruption, et je serre les poings comme si j’étais prêt à me battre. Sauf que le type, là, il ne constituerait pas un adversaire très coriace … on dirait un homme d’affaires ou un trader peut-être, dans son costume (par ailleurs de très bonne facture, dirais-je à première vue) et ses belles chaussures proprettes, là. Moi, à côté, avec ma veste en cuir rouge et mon jean très ordinaire, j’ai presque l’air d’être du coin.
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Merde, vous m’avez pas raté !Je dis ça en pointant du doigt l’aile toute tordue de ma Camaro. Triste spectacle. C’est la toute première fois que j’ai un accident et il a fallu que ce soit avec une des voitures préférées. Bon, elle est assez puissante et lourde donc elle a pu d’une certaine manière rendre la pareille à la bagnole d’en face mais merde quoi, c’est pour le principe. Elle était quasiment neuve cette voiture, merde.
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Ça va aller … ?Ouais, parce que si moi j’arrive à tenir à peu près debout, il n’en va pas de même pour l’autre conducteur qui s’est à moitié affalé sur le bitume, à côté de sa portière esquintée. Le pauvre, il en est encore tout tremblant. Bien évidemment, moi aussi je suis en panique, mais j’essaye de faire en sorte que ça ne se voit pas. Même si mes mains tremblent un peu et que j’ai commencé à transpirer.