J’étais arrivé le premier, couché sur le lit de cette chambre d’hôtel d’Hollywood. Mes yeux noirs, fixés sur le plafond, suivaient la fissure qui le balafrait comme une route sinueuse au milieu d’un Désert immaculé… Un Désert auquel je n’avais plus accès.

Un Désert que je devais retrouver sans avoir recours aux passeurs et le seul moyen restait alors la musique.

Mais il n’y avait pas de musique sans Billy Lighter. Encore une fois, nous devions nous accorder. J’avais besoin de lui tant pour passer de l’autre côté que pour exister dans ce monde.

Sans Billy, il n’y avait rien.

Ma peau frissonnait, mes poils se hérissaient. Je pouvais presque entendre les cris de Billy et son ex lorsqu’ils s’étaient battus ici même. Une chambre d’hôtel qui avait été remise en ordre depuis, mais… je les entendais encore. Parce que leur colère, leur haine et leur amour avaient imprégné les murs de cette chambre.

Et maintenant, ils suintaient pour qui savait entendre.

-SORS DE LA !

Je sursautai, plaquai mes mains sur mes oreilles brièvement, puis les retirai presque aussitôt, libérant mon ouïe, mais fermant les yeux.

-ALLEZ SORS DE LA ! DEPECHE-TOI !!

La voix de Billy…

Une voix toujours trop pleine d’émotions, une voix faite pour la musique et que je me forçais à écouter, à affronter, alors qu’elle ne déversait que tristesse et frustration.

Aucun doute. C’était bien ici que nous devions tourner Be Mine !.

River Moriarty sentirait ce qui dormait silencieusement ici… River, le monstre, ferait sortir ces voix et, peut-être, exorciserait l’endroit.

Je me redressai en position assise quand la porte de la chambre s’ouvrit sur les cheveux flamboyants de Billy. Il était seul, cette fois, son ombre s’étant estompée avec l’arrivée dans notre monde de Maria Watson… Maria Watson que je n’avais vue qu’une seule fois et qui avait détruit notre lien avec MTI, avec Lenny Knowles… Avec tout ce que je connaissais.

Je ne pouvais me raccrocher qu’à Billy… Et suivre les conseils de la vieille Betty Loops.

Mes yeux noirs plongèrent dans ceux de Billy alors que je prenais une cigarette que je plantai entre mes lèvres.

-C’est ici qu’a eu lieu Be Mine !, pas vrai, Billy ?

@ Billy Lighter

Le clip était proche d’être réalisé. J’avais la fille de Be Mine !, maintenant, il nous restait à nous accorder avec Cash. A… Communiquer.

Et c’est dans l’hôtel où j’allais parfois me terrer que j’avais donné rendez-vous à mon guitariste. Un hôtel dont les murs, parfois, le refermaient sur moi. Un hôtel qui avait vu passer la colère qui émanait de mes disputes que la douceur émanant de Bailey. Deux sensations contradictoires qui rendaient l’endroit aussi effrayant que rassurant. Un endroit qui, finalement, me ressemblait.

J’étais en retard. Cash devait déjà m’y attendre. Cash était tout le temps à l’heure. Il m’attendait certainement… Mais j’avais pris du temps avant de sortir de ma villa… J’étais seul. Liam était toujours lié à MTI… Je n’avais pas encore fait ce qu’il fallait pour le garder à mes côtés. J’avais été trop pris par le clip pour ça. Du coup, je n’avais plus de protection. Plus aucune… Ni pour les menaces extérieures… Ni pour celle qui arrivaient de l’intérieur même de mon esprit. Liam était le seul à arriver à me protéger des deux.

C’est, donc, difficilement que je sortis de ma villa pour rejoindre ma voiture. Je conduisais ma Lamborghini un peu trop vite… Pas pour essayer de rattraper mon retard irrattrapable. Mais pour être le moins possible à découvert.

Et quand j’arrivai, je me garai juste devant l’hôtel avant d’y entrer très rapidement. La tête basse. Je ne voulais pas être repéré. Je ne m’arrêtai même pas à la réception. Je connaissais le chemin vers la chambre par cœur.

Je montai jusqu’à celle-ci ouvrant la porte qui n’était pas verrouillé parce que Cash était déjà à l’intérieur. J’y entrai d’un pas silencieux au moment où mon guitariste se redressa sur le lit. Son aura emplissait déjà cette chambre.

Ma chambre.

Je frissonnais ne sachant pas vraiment pourquoi regardant Cash s’offrir une cigarette. Il déclara, d’un seul coup et de sa voix juvénile, que c’était ici qu’a eu lieu Be Mine !

J’hochai la tête parlant de ma voix grave qui contrastait complètement avec celle de Cash :

-Ici… Mais pas qu’ici. Ça a eu lieu à ma villa… En tournée… Partout où l’amour devient tellement fort que ça en devient de la haine. Partout où j’ai perdu le contrôle.

Je parlais avec franchise à mon guitariste, le fixant droit dans les yeux. Je ne détournai le regard vers la porte de la salle de bain qu’après un court silence. Je m’approchai de cette porte passant mes doigts dessus. Il n’y avait plus de trace du mon dernier coup d’éclat ici.

-Une de mes exs était venu me voir ici. Elle était jalouse de ma relation avec Ruby…

Ruby, la seule femme qui n’avait pas subi mes foudres. Elle était partie avant… Je soupirais me retournant vers Cash.

-Elle m’a rendu cinglé… Tu sais ce qu’il s’est passé après.

Je savais que Cash avait déjà été témoin des mêmes scènes avec d’autres femmes.

-C’est ici que doit avoir lieu le clip…

La chose était tellement évidente… Une chambre d’hôtel qui portait encore les stigmates non visibles de mes disputes.

-J’ai trouvé la fille de Be Mine !

Je regardai, à nouveau, Cash droit dans les yeux.

@ Billy Lighter

Billy à peine entré, ce fut comme si le lieu le nimbait de tout ce qu’il avait de bon et de mauvais. Comme une couche gluante et soyeuse, protection et parasite. Je le suivais de mes yeux noirs que la pénombre de la chambre rendait encore plus sombre. Les chambres, dans ce genre d’hôtel, étaient toujours sombres même en plein jour… Comme si l’obscurité était piégée ici et destinées à cacher les vices de ses occupants venus s’y réfugier.

Comme Billy…

Quand sa main effleura la porte de la salle de bain, les sons piégés dans les murs me semblèrent plus forts, plus présents.

Le chanteur avait définitivement laissé sa marque ici… L’avait gravée à coup de colère.

Sauf qu’il n’y avait pas qu’un seul endroit comme celui-ci, je le savais et hochai légèrement la tête, la fumée exhalant par mes narines. J’étais moins un serpent aujourd’hui qu’un dragon se lovant dans un trésor d’amour, de haine et de violence.

Je balayai la chambre du regard quand Billy affirma que c’était ici que devait être tourné le clip.

-Ouais… Je sais…

Puis, mes yeux se stoppèrent sur Billy.

-Je l’entends…

SORS DE LA !

ALLEZ SORS DE LA ! DEPECHE-TOI !!

-Je t’entends.

Je tirai sur ma cigarette dont le bout rougeoya. Mon regard noir n’était pas caché derrière mes boucles de cheveux… Puisque l’obscurité de la chambre nous dissimulait à ce monde. Tout en étant enfoncés jusqu’au cou dans ce qu’il avait de meilleur et de pire.

Je lui fis signe de venir prendre place à côté de moi sur le lit, après qu’il ait affirmé qu’il avait trouvé la fille de Be Mine !

-Je sais… Tu avais raison depuis le début… Gaïana était trop fragile.

Je baissai brièvement les yeux, incapable de soutenir plus longtemps le regard du chanteur… Si Billy avait raison pour Apolline Mclagan, alors peut-être, il avait raison aussi pour ce qui était de Maria Watson.

Puis, soupirant :

-Le monstre va adorer cet endroit.

Je tirai encore sur ma clope en grattant les marques des passeurs qui cicatrisaient lentement un peu partout sur mon avant-bras et au creux de mon coude.

-Où tu étais, pendant que j’étais dans le Désert ?

@ Billy Lighter

Cette chambre n’avait laissé aucune trace physique de mon coup d’éclat. Mais elle restait un lieu où une fille avait provoqué ma colère et l’avait reçue en pleine figure. Littéralement. Ce n’était pas une image. C’était des faits.

Et des lieux du même type, il y en avait plein. Mais cette chambre d’hôtel était l’un d’entre eux et était donc tout désigné pour accueillir le décor du clip. Je le savais…

Et Cash le savait…

Be Mine ! devait être tourné ici parce que Be Mine ! a eu lieu ici, un jour. C’était évident. Ça sautait aux yeux qu’il fallait tourner le clip ici.

Cash me regarda alors déclarant qu’il l’entendait. Je frissonnai. Mon guitariste avait toujours eu l’art de me ramener là où je ne voulais pas être. Et j’entendis alors, distinctement, la voix de la fille à travers les murs… A travers la porte… Et quand Cash ajouta qu’il m’entendait, c’est le souvenir de mes propres mots qui me revint… Je frémis me sentant, soudain, nauséeux. C’est ce genre de souvenir que je voulais effacer. Et c’est ce genre de souvenir qui semblait persister envers et contre tout.

J’étais toujours debout, tourné vers Cash. Je me serais bien bouché les oreilles si je ne savais pas pertinemment que les voix du passées étaient dans ma tête.

Cash me proposa alors de le rejoindre. Je me déplaçai jusqu’au lit et vint m’assoir à ses côtés. Et pour oublier les voix et ne plus les entendre, je décidai de parler et déclarai à Cash que j’avais trouvé la fille de Be Mine !. Que c’était Apolline et personne d’autre.

Cash avoua que j’avais raison. Il avoua qu’il avait eu tort. Il avoua que Gaïana était trop fragile. J’approuvai de la tête regardant Cash qui se dérobait à mon regard.

-Gaïana était fragile mais ne méritait pas de mourir comme ça…

Personne ne méritait ça…

Mon regard se perdit alors dans le vide quand Cash déclara que le monstre allait aimer cet endroit. Je regardais autour de nous. La chambre me sembla, d’un coup, froide et hostile. Je frissonnai.

-Oui, il l’aimera. Il n’y a que les monstres capables de se nourrir d’un endroit pareil.

Encore une fois, Cash m’emmenait dans son monde. Encore une fois, il me faisait perdre le fil de la réalité. Encore une fois, je n’arrivais pas à émettre des résistances à ce magnétisme qui m’entrainait vers le bas.

Et il demanda alors où j’étais pendant qu’il était dans le désert. Je le regardai.

-J’essayais de créer. De faire vivre The Lightening. De mettre ce foutu clip sur pieds, Cash… Où voulais-tu que je sois ?

Depuis la dernière tournée, j’avais passé une partie de l’année reclus. J’avais vu peu de gens hormis Maria, Cash, Liam et Apolline.

-Tu n’y vas plus, hein ? Dans le désert ? Tu n’en prends plus, hein, de cette merde ?

Mon voix était, d’un coup, plus moralisatrice.

@ Billy Lighter

Mes yeux noirs parcouraient l’endroit alors que je sentais Billy se raidir, comme s’il essayait de ne pas sursauter sous l’effet de surprise des claquements de portes fantômes. Des portes qu’il avait claquées lui-même, comme la porte du Désert m’avait claqué au nez au moment où Gaïana avait rendu l’âme dans mes bras.

Gaïana qui ne méritait pas de mourir comme ça, disait Billy.

-Mais elle n’était pas la fille de Be Mine !

C’était pour ça qu’elle nous avait été enlevée. Parce que je m’étais trompé.

Quant au monstre, il attendait toujours son dû, que nous lui avions promis il y avait déjà bien longtemps de cela. Il allait aimer l’endroit. Il allait en absorber tout ce que Billy y avait laissé de noirceur et avec un peu de chance, il n’aurait plus de place pour engloutir Apolline Mclagan.

Jouant avec mes mains, ma cigarette entre mes lèvres, mes yeux braqués sur Billy, je lui avais demandé ce qu’il faisait, pendant que j’étais dans le Désert. Il affirma qu’il essayait de faire vivre The Lightening, de créer, de mettre le clip en forme.

Il ajouta une question, comme si c’était une évidence.

Mais je répondis tout de même à la question.

-Piégé avec William.

Grattant mes avant-bras gênants, je secouai la tête quand les questions de Billy dévièrent sur le Désert, sur la poudre que j’avais tant l’habitude de prendre. Je secouais négativement la tête mais mes yeux n’étaient plus sur Billy, mais sur les traces laissées sur ma peau métis par les voyages et le Désert… Comme des écailles… Comme si à la longue, j’allais finir par devenir un amalgame de ces deux mondes.

Moitié Cash. Moitié Serpent.

-Non…

Je relevai mes yeux vers lui…

-La porte s’est fermée sur l’âme de Gaïana…

J’avais trop peur, maintenant. Malgré le manque, ma peur de me brûler aux flammes avec lesquelles je jouais était plus forte. Exactement comme après ma crise cardiaque. J’étais dans le même état d’esprit.

-Mais si je ne peux plus y aller… J’ai besoin de toi. Je ne peux pas survivre tout seul ici.

Ma clope, pour une raison inconnue, s’éteignit dans ma bouche, une dernière volute de fumée montant jusqu’au plafond.

@ Billy Lighter

Gaïana n’était pas la fille de Be Mine !. L’expression que je clamai depuis le début sortait, maintenant, de la bouche de Cash. Notre désaccord sur la fille venait de prendre fin à cet aveu de mon guitariste. Mais avoir raison depuis le début alors que Gaïana était morte me donnait la nausée.

-Non… Elle ne l’était pas…

Et la façon dont le disait Cash me faisait culpabiliser encore plus… Comme si le fait même d’avoir envisagé la mauvaise personne pour le rôle l’avait entrainé jusqu’à la mort. A cette idée, je me rendis compte que je perdais pied. Que je m’enfonçais dans le monde intangible et mystique de mon guitariste.

Un monde qui me faisait tout aussi peur que le monde réel.

On se mit d’accord sur le lieu de tournage. Ça sera ici… Ici, dans cette chambre qui avait vu le spectacle de mes pires vices. Je frissonnai de peur à cette idée, tout comme à l’idée que River pourrait être motivé par la noirceur et ce que dégageait cet endroit.

Mais je devais balayer ça. Je devais penser à autre chose… Et c’est Cash qui m’emmena sur un autre sujet. Sur celui de ma réclusion. Je déclarai que j’essayais de faire vivre The Lightening. Survivre était un meilleur mot. Je savais que ma réclusion était nécessaire. L’émeute m’avait empêché d’être productif et j’avais dû me reclure pour retrouver ce que j’avais perdu : une partie de mon âme.

Et je l’avais retrouvé, maintenant à nouveau déterminer à faire ce clip et même plus. Je l’avais montré en engageant Maria Watson, notre nouveau manager. Je l’avais montré en cherchant la fille de Be Mine !. Je l’avais montré en venant ici aujourd’hui.

Mais Cash répondit à ma question qui n’en était pas vraiment une par une phrase qui ne fit froid dans le dos. Piégé avec William… Je fronçai les sourcils refroidissant l’ambiance d’un simple regard et de ma voix très grave, je répondis à mon guitariste :

-Je n’étais pas piégé. Je me recentrais sur moi. Je réfléchissais à nos projets. Je n’étais pas enfermé contre mon gré.

William… Les projets que j’avais en tête avaient réussi à faire taire sa voix. Mais Cash m’y ramenait. Inlassablement, il me ramenait chaque fois en arrière.

Et je ne lui mentais pas en disant ce que je disais. Je m’étais enfermé pour mieux réfléchir sur l’avenir et encaisser les erreurs passées. Ce qui m’avait permis d’être ici, aujourd’hui.

Comme un animal blessé, j’avais attaqué suite à ce que venais de dire Cash. Je lui demandai s’il continuait à se droguer. Je ne voulais pas que ce qui était arrivé à Gaïana arrive à Cash. Si ça arrivait, tout serait terminé. Il répondit que non et mon regard s’adoucis. Mes muscles se décontractèrent et j’hochai la tête d’un air entendu.

Toujours métaphorique, il déclara que les portes s’étaient fermées sur Gaïana.

-Il ne faut plus y aller… Il ne faut pas que ces foutues portes se ferment sur toi.

Je disais ça sur un ton ferme mais l’inquiétude régnait quand même en maitre dans ma voix.

Je refusais qu’il reprenne, un jour, cette merde qui avait tué Gaïana. Et qui en tuera encore bien d’autres. Cash se grattais le creux des coude mais c’est ses yeux que je fixai tant bien que mal alors qu’ils étaient cachés derrière ses cheveux. Il déclara ne pas pouvoir survivre seul ici… Ici dans le réel… Pas sans moi.

Je continuai de le fixer intensément.

-Tu n’es pas seul. On est The Lightening. Après ce clip, on va créer à nouveau. Un nouvel album…

Nouvel album signifiera nouvelle tournée. Mais je n’avais pas peur. Je mis ma main sur l’épaule de Cash.

-Mais pour ça, j’ai besoin que tu ne retournes plus dans le Désert. Il faut qu’on soit dans le même monde pour créer. Le monde réel.

Pas dans le Désert… Pas derrière le mur où se cachait William…

Ici.

@ Billy Lighter