Je voyais Evan tombé dans un abîme encore plus profond que dans lequel il était déjà. Je voyais mon frère mourir dans une guerre que personne ne voulait. Je voyais Roxxy, inerte dans cette baignoire. Tout ça parce que les gens autour d’eux l’ont voulu ou  les ont poussé à faire ça. Je voyais les gens autour de moi souffrir parce certaines choses n’ont pas été en leur faveur ou que des gens les tiraient vers le bas.

Depuis la dernière fois où j’avais vu Evan, je n’avais fait que ruminer. Lui qui avait été une rockstar était maintenant déconnecté du monde et perdu au milieu de l’Eastside à ressasser le passé, à pleurer ses amis disparus. C’était le business qui avait tout pris d’eux sans rien leur rendre en échange. Tout comme le système avait envoyé mon frère au Vietnam. Une guerre d’où il n’aurait pu jamais revenir. Et s’il y en avait une autre de guerre, maintenant ? Est-ce qu’il sera obligé d’y retourner ? Est-ce que moi aussi je devrais y aller ? Ce genre de questions me faisait froid dans le dos.

Et je me sentais si petit face à toutes ces forces qui nous dépassaient alors que j’étais dans le divan à lire 1984, un livre que j’avais déjà lu des dizaines de fois. A mes côtés, il y avait mes amis qui, eux aussi, semblait pensifs ou bien absorbé par le film qui passait à en ce moment à la télévision. Il était cinq heure de l’après-midi et Jordan travaillait au commissariat. On avait répété toute la matinée. Mon état d’esprit pour l’instant très contestataire ne faisait que sublimer la musique qu’on faisait. Le livre que j’étais en train de lire ne faisait que me faire me poser plus de question, que de renforcer l’injustice que je ressentais depuis que j’avais revu Evan.

Le générique de fin s’afficha sur l’écran et je fermai mon bouquin d’un seul coup. Les autres se retournèrent vers moi.

-Il faut qu’on fasse quelque chose !

J’étais déterminé alors qu’ils m’interrogeaient du regard. J’avais bien envie de faire comprendre mon ressenti aux gens et aux responsables. Je ne voulais pas continuer à ruminer ici sans rien faire. On était un groupe de punk on avait comme arme nos chansons pour faire bouger le monde. Alors on allait le faire bouger.

-J’en ai marre de rester ici les bras croisés alors que des gens souffrent dehors. Il faut qu’on fasse quelque chose !

Ils étaient d’accord mais restait à savoir quoi faire. Je me mis en position pour réfléchir et l’idée me vint tout naturellement.

-Je sais ! On va prendre nos instruments et aller faire un concert devant la Los Angeles City Hall !

Il s’agissait de la mairie de Los Angeles située à Downtown. Les autres me regardaient et souriaient. C’était dangereux parce qu’on risquait d’être arrêté mais on n’avait pas peur de ça. Ce qu’on voulait c’était que notre message passe et c’était l’endroit idéal pour le faire passer.

On embarqua nos instruments et on se retrouva assez vite à l’endroit choisi. C’était une mairie immense de presque 30 étages. On monta les escaliers pour être un hauteur et pas loin de la porte d’entrée, juste derrière les arcades. On installa rapidement notre matériel et c’était parti ! On commença par « Lost Cause » la chanson que j’avais fait écouter à Evan.



Les petits amplis qu’on avait pu s’acheter avec l’argent de nos petits concerts étaient très efficaces. Assez pour toucher les gens qui commençaient à s’amasser devant la mairie. Certains nous connaissaient pour nous avoir déjà vus jouer dans les clubs, d’autres nous découvraient.

Je donnais tout mon cœur dans cette chanson en pensant à l’ancien chanteur de The Army. Une fois qu’elle fut terminée je criais dans le micro.

-On est ici pour contester ce système qui n’aide pas les gens qui en ont besoin et qui, au contraire, s’amuser à les enfoncer ! Plusieurs de mes amis ont été victime de ça alors qu’ils avaient donné beaucoup soit à leur pays, soit à leur employeur. Ses amis en question se sont fait avoir pendant que leurs supérieurs se faisaient de l’argent sur leur dos.

J’allais commencer une seconde chanson mais on en eu pas le temps. Deux flics arrivèrent vers nous et nous demandèrent de partir parce qu’apparemment on pouvait pas être là. Je jetai un coup d’œil à mes amis et ils pensaient comme moi.

-On ne partira pas d’ici. C’est notre droit d’y être ! C’est un pays libre.

Ce n’était pas de l’avis du policier qui me prit mon micro.

-Hey ! Rendez-moi ça ! Vous pouvez pas me le prendre !

La foule criait en notre faveur alors je me ruais vers le policier pour récupérer mon micro.

-Rendez-le moi !!

Son collègue m’en empêcha et me plaqua au sol pour me passer les menottes. Je me débattait mais c'était impossible, ce gars était trop fort. Mes amis protestaient et demandaient qu’on me relâche. Les policiers leur demandèrent une dernière fois de partir. Eux, étaient prêt à protester et à se défendre. Je leur fis « non » de la tête.

-Partez les gars… Il faut mettre les instruments en sécurité. S’ils nous prennent notre matériel on aura du mal à le récupérer…

Je fusillais les flics du regard qui m’emmenèrent dans leur voiture de police alors que mes amis rassemblaient le matériel en jurant. J’arrêtais pas de protester dans la voiture et de leur dire qu’on avait rien fait de mal et qu’on avait le droit de dire nos opinions. Que ce n’était que de la musique…

Rien n’y faisait… Je ne connaissais pas ces deux policiers mais ils m’emmenèrent quand même tout droit au commissariat où travaillait Jordan. Mince… Ça allait être ma fête…

Les deux flics avaient pris ma carte d’identité donc il savait qui j’étais. Je ne savais pas s’ils avaient fait le lien avec Jordan parce qu’ils ne m’avaient pas dit un mot à part « la ferme » pendant tout le trajet.

On entra dans le bâtiment et je me faisais plein de film où Jordan était déçu de moi ou toutes ses choses-là. Je détestais décevoir mon frère…

Putain la journée s'était bien passée ! On avait patrouillé pendant environs 8 heures, en s'arrêtant à nos points de chute habituels comme la pompe à essence où les employés étaient toujours super contents de nous voir parce que ça leur faisait une présence policière sur place et aussi parce qu'on dévalisait la machine à café. On était aussi passé dans le quartier envahis par les SDF, histoire de là aussi, les rassurer un peu, discuter un peu avec eux, et régler les petits problèmes éventuels. Bref, du bon travail selon nous. Et hormis ça, quelques petites interventions du style vol à l'étalage, voiture devant garage, indésirables... Rien de ce qu'on pouvait voir dans Hawaii Police d’État, mais on en était pas moins fiers de ce qu'on faisait.

Après tout, Conrad comme moi, on avait eu largement notre quota de coups de feux au Vietnam alors si on pouvait l'éviter maintenant qu'on était à la maison, c'était pas plus mal.Tuer, on l'avait fait assez et ça avait rien de classe ou de fun... On préférait mettre l'accent sur l'aide qu'on pouvait apporter aux gens... Ce qui empêchait pas ces mêmes bons citoyens de tenter de nous assommer en nous balançant des pots de fleurs du haut de leur balcon dans certains quartiers parce qu'ils sont allergiques à l'uniforme... Mais bon... On peut pas plaire à tout le monde.

C'est donc en rigolant comme deux cons qu'on rentra au commissariat après avoir stationné notre véhicule de patrouille à son emplacement. Conrad voulait absolument me caser avec telle ou telle serveuse de tel ou tel club et il n'en démordait pas. C'était plus pour déconner qu'autre chose, évidemment, il ne pensait pas réellement ce qu'il disait... Enfin, quoi que...

On se dirigeait vers le bureau de l'inspecteur en charge des entrées et sorties de matériels afin de lui rendre nos radios et la pochette qui contenait la feuille de route et la clé du véhicule quand on passa devant le bureau de notre gradé.

-Keller!

Et c'est toujours à ce moment-là que tu te refait en quatrième vitesse le film de ta journée pour savoir où t'as merder. Histoire d'anticiper le coup. Mais ça faisait assez longtemps qu'on patrouillait maintenant pour savoir quand on avait merder. Et là, je voyais vraiment pas ce qu'on pouvait nous reprocher... Je bifurquai, lançant un regard interloqué à Conrad qui était aussi surpris que moi et haussa les épaules. Il avait raison, c'était peut-être juste pour une connerie de blague. On était pas sur une à L.A. North. Il y avait en générale une très bonne ambiance, ce qui me faisait m'interroger encore plus...

Je m'appuyai dans l'encadrement de la porte du bureau et croisai les bras, fronçant les sourcils.

-Ouais, chef?

Mais ce n'était pas de la colère que je voyais dans le regard de mon gradé. Il avait plutôt l'air embêté et désolé. Et là, ça commençait sérieusement à m'inquiéter.

-Ton frère, c'est bien Duncan Keller, c'est ça ?

J'entrai dans le bureau et m'appuyai sur la table que le chef occupait. Là, maintenant, je flippais. Il pouvait lui être arrivé un tas de trucs ! On vivait dans l'Eastside, bordel ! Alors s'il pouvait accoucher en vitesse, ça m'arrangerait.

-Relax, Jordan, ok. Il a rien. Enfin, il est en bonne santé. Il est en bas, dans les cellules.

Alors là, j'étais juste complètement surpris. Mais au moins, j'étais rassuré qu'il ne soit ni à l'hosto, ni  à la morgue. J'avais eu mon compte de ça aussi avec Roxxy. Et mon gradé était au courant de ça puisqu'il s'était déplacé personnellement jusque chez moi après le suicide de la chanteuse, de même que Conrad. Et il savait aussi que j'avais été militaire au Vietnam et qu'on n'était ni l'un ni l'autre susceptible de réagir comme le ferait un autre flic.

-Quoi ?! Mais pourquoi?

Conrad était entré dans le bureau lui aussi. Duncan était son ami autant qu'il était mon frère.

Mon gradé me regarda, un petit sourire aux lèvres. Je ne lui en voulais pas, on rigolait assez souvent parfois des raisons pour lesquelles les gens se faisaient arrêter, et ça finissait par devenir un réflexe. Et au moins, ça me situait que c'était quand même rien de bien grave, si on pouvait en rigoler.

-Ton petit frangin s'est fait arrêté devant le Los Angeles City Hall en train de faire un concert non autorisé et contestataire...

J'étais rassuré. Ce n'était vraiment rien de grave. Un simple arrestation administrative sur ordre de l'autorité locale. Mon frère était un punk, je m'attendais à quoi ? A ce qu'il se contente de gueuler sa colère envers le système dans les clubs ? D'autant que ces derniers temps, il m'avait paru assez sombre, mais j'avais pas eu le temps de me pencher là-dessus à cause du travail.

-Quelle équipe l'a arrêté?

Mon gradé revérifia en vitesse dans le registre d'écrou qu'il avait devant lui.

-Heu... L.A.NORTH135... Dimaggio et Kyle.

Je serrai les mâchoires. Eux, ils allaient m'entendre. Il s'agissait de deux petits jeune tous frais sortis de l'académie qui sautaient sur tout ce qui bougeait et même ce qui bougeait pas. En plus d'avoir un putain de langage de charretier et de ne pas être discrets, ils faisaient tout pour pousser les gens à la rébellion. Mais apparemment, mon frère n'avait pas été assez con pour jouer dans leur jeu puisque le chef n'avait pas mentionné de rébellion.

Je sortis du bureau, suivi de près par Conrad qui se doutait très bien de là où j'allais. Tout comme le chef, d'ailleurs...

-Keller ! Non ! Rentre chez toi, on t'appellera quand ton frère pourra sortir.

J'en avais rien à foutre, et il le savait très bien. D'ailleurs, il s'était même pas cassé la tête à lever son cul de sa chaise. Je l'entendis soupirer et dire tout en reprenant son journal là où il l'avait laisser...

-Tous les mêmes...

Quand j'arrivai aux cellules, je vis Dimaggio et Kyle en train de rigoler et de parler vulgairement, comme à leur habitude, en regardant le dernier Hustler. Fatalement, comme ils avaient choppé quelqu'un, il allaient finir leur pause ici pour garder Duncan, jusqu'à la relève. Enfin... Ça, c'était la théorie.

Je désignai l'un, puis l'autre du doigt.

-Toi. Toi. Dégagez.

Conrad était en train de sourire derrière moi. C'était les deux gars qu'on ne supportait pas. Que personne ne supportait. Dimaggio eu le culot d'ouvrir la bouche.

-Mais...

BOOM !

J'avais frappé des deux poings sur la table. Mais je ne criai pas. Je parlais plutôt entre mes dents serrées.

-Dehors.

Conrad, lui, souriait toujours et quand les autres reprirent leurs clique et leurs claques pour s'en aller, il leur frappa pseudo amicalement sur l'épaule.

-No stress, les gars... C'est nous la relève !

Une fois qu'ils eurent quitté les lieux, je me dirigeai vers la seule cellule occupée du couloir et m'appuyai, passant mes bras à travers les barreaux. Et je regardai Duncan dans les yeux.

Qu'est-ce que je devais faire, maintenant ? C'était ce que mes yeux demandaient à mon frère.

Les deux flics m’enfermèrent dans un des cellules. Pour l’instant, il n’y avait pas une trace de mon frère… J’avais demandés à mes deux bourreaux quand est-ce que j’allais pouvoir sortir mais ils ne m’ont pas répondu. Ils m’ont plutôt encore dit de la fermer. Je me plaquai aux barreaux en regardant les deux flics prendre un magazine Hustler. Ils ne pouvaient pas répondre à mes questions à la place ? J’ai quand même envie de savoir pour combien de temps j’étais là, moi !

-Hey ! J’en ai pour combien de temps ? Répondez !

Je haussai le ton pour me faire comprendre. L’un des deux flics s’avança vers moi, sorti sa matraque et tapa sur mes doigts qui étaient accrochés aux barreaux.

-Aïe ! Hey, vous avez pas le droit !

Il en avait rien n’à foutre de ce que je pouvais dire… Je frottais mes doigts et fini par m’assoir sur la banquette de ma cellule en soupirant. En fin de compte, j’aurais préféré voir mon frère. Lui, il aurait répondu à mes questions. Il aurait peut-être été u peu fâché mais il ne m’aurait pas laissé sans réponse.

J’entendais les deux flics insulter les jeunes filles qui s’exposaient nues dans le magazine qu’ils étaient en train de regarder. Comment pouvait-on être aussi vulgaire envers des femmes ? C’était à gerber comme comportement. Ça me donnait un sujet et des paroles pour une chanson cette histoire.

En attendant, je ne savais toujours pas pour combien de temps j’en avais ici. Mon frère était peut-être policier mais je n’y connaissais pas grand-chose… Je n’avais jamais vraiment fait de connerie avant aujourd’hui. Juste des petits trucs de gamin, rien d’autre.

J’entendis deux autres policiers entrer dans la pièce et je me remis debout à plaquer ma figure contre les barreaux. C’était mon frère et Conrad. Je souris alors que mon frère ordonna aux deux flics vulgaires de dégager. Ils n’eurent pas le temps de protester longtemps, parce que mon frère insistait. Bien joué, Jordan !

Une fois ces deux connards parti, Jordan me fit face avec un regard qui m’invitait à parler et mon sourire disparu. Je baissais le regard. Désolé, Jordan, mais je n’avais pas eu le choix. Je relevais le regard vers mon frère.

-Je devais le faire Jordan. J’en ai marre de rester dans ma baraque à composer alors que des gens dehors souffrent. C’était plus possible. Il fallait que je fasse quelque chose…

Je ne m’excusais pas vraiment pace que j’avais l’impression que ce que j’avais fait n’était pas dangereux et, qu’au contraire, c’était même une bonne action.

-Je n’ai rien fait de mal. On a juste fait un concert. Et si c’était à refaire, je le referais.

Je soutenais le regard de mon frère.  

Appuyé sur les barreaux derrière lesquels mon frère était enfermé, je le regardai, tête baissée, les yeux relevés vers lui. Est-ce que j'étais en colère ? Non, pas vraiment. Je ne savais pas quoi être en réalité. Comment je devais me sentir par rapport à ça ? Qu'est-ce que je devais lui dire ? Le problème étant qu'il n'avait rien fait de mal, personne n'avait été mis en danger par son comportement. Non, tout ce qu'il y avait eu, c'était que Duncan avait dû taper dans le mille en faisant un concert punk devant le Los Angeles City Hall... Et ça n'avait pas plus aux dirigeants de la ville.

Je savais ce que je devais faire en tant que grand frère, mon problème, c'était que j'étais aussi flic et que je devais me plier aux ordres. Hors, ceux contre qui mon frère s'était dressé aujourd'hui étaient aussi ceux qui nous disaient quoi faire ou ne pas faire.

Duncan ouvrit la bouche pour me dire ce que je savais déjà. Cela faisait des années qu'il était révolté... Depuis qu'on m'avait envoyé au Vietnam, en fait. Duncan avait un tellement grand cœur qu'il était prêt à défendre les plus faibles avec les armes qu'il avait... Un peu comme moi, en légèrement différent. Mais le but était le même.

Quand Duncan eu fini de parler, j'avais décidé qu'il était déjà en cellule et donc qu'il était déjà « puni » par le système contre lequel il s'était dressé... Et comme intérieurement, je ne pensais pas qu'il avait tort, je n'allais certainement pas jouer les hypocrites.

Je ne souriais pas, cependant...

-Je sais, Duncan...

Ouais, je savais que ça finirait par arriver, que Duncan n'allait pas resté enfermé à écrire en gardant tout ça pour lui. Je savais qu'un jour, il finirait par sortir hurler ce qu'il avait sur le cœur. C'était déjà étonnant qu'il s'y soit mis aussi tard.

Sans sourire, je dis pourtant :

-Tu as fait ce que tu avais à faire... Et les deux policiers qui t'ont arrêté ont fait ce qu'ils avaient à faire. Et tu t'es laissé faire.

Ouais, même si je ne portais pas Dimaggio et Kyle dans mon cœur, loin de là, ils avaient reçu un ordre par radio et ils avaient arrêté Duncan qui faisait de l’esbroufe. Je pouvait pas leur en vouloir. Et j'étais super content que cet appel soit pas tombé sur nous.

Je me tournai vers Conrad qui s'était installé au bureau, les pieds sur la table et avait ouvert le Hustler que les autres n'avaient pas eu le temps de reprendre avec eux. Il ne regardait pas les images, mais nous. Je me retournai ensuite vers mon frère en soupirant.

-Et t'as été intelligent de te laisser faire. Si la presse était dans le coin, ils auront vu que tu ne t'es pas rebellé et que les deux autres n'ont pas du faire preuve de violence...

Je fis une grimace et regardai Duncan dans les yeux.

-Ils ont pas été violents, hein ?

Valait mieux pour eux que ce ne soit pas le cas... Parce que je connaissais mon frère, je savais qu'il ne mettrait pas de coups sans y être contraint et forcé. Et je connaissais aussi bien les deux autres qui étaient de jeunes excités...

Je tendis le bras vers une chaise et la rapprochai de la cellule, m'asseyant dessus à l'envers, les bras croisés sur le dossier.

-Je ne dis pas que tu n'aurais pas dû le faire. Ce n'est qu'un concert et on est encore dans un pays libre, jusqu'à preuve du contraire. Mais imagine juste que ce soit Conrad et moi qu'on aie appelé ?

Ouais, Duncan... Dans ce cas-là, qu'est-ce que j'aurais dû faire. Est-ce que t'aurais tout remballé et te serait cassé uniquement parce que je suis ton frère ? Est-ce que j'aurais été contraint de t'arrêter ? Est-ce que je l'aurais seulement fait ? Ou est-ce que j'aurais nié l'ordre pour te laisser partir ?

Je n'avais pas la réponse.

Je ne voyais pas l’intérêt de dire à mon frère que je regrettais ce qu’il s’était passé parce que ce n’était tout simplement pas vrai. Je ne regrettais rien à part le fait que ça n’ait pas duré assez longtemps à mon goût. La police est très vite intervenue. Plus vite que s’il y avait eu une bagarre. Et c’est ça qui est d’autant plus révoltant.

Je continuais de regarder mon frère. Ça ne servait à rien de détourner le regard de toute manière. Il savait quel genre de gars j’étais. Il savait que je me révoltais souvent contre le système et ce depuis mon adolescence. Mais je n’avais encore jamais rien fait de réellement concret pour faire entendre mes opinions. Mais après avoir rencontré Evan et Roxxy, mes envies de me faire entendre pour de vrai n’avait fait que grandir sous le nez de mon frère.

Mon frère savait. Je ne savais pas si je lui avais fait honte ou quelque chose comme ça. C’était très difficile de déchiffrer les émotions de Jordan. Jamais je n’y étais arrivé alors que moi, on pouvait lire dans mon regard comme dans un livre. Je ne dis rien alors que mon frère continua disant que j’avais fait ce que je devais faire. J’approuvais de la tête. Et il rajoute que les deux flics qui m’ont arrêtés avaient aussi fait ce qu’ils devaient faire. Je soupirais. N’y avait-il pas mieux à faire que d’arrêter un groupe de punk devant un bâtiment ? Peut-être que deux blocs plus loin un dealer était en train de vendre de la came à un enfant de 14 ans… Et vu qu’ils m’arrêtaient, ils n’auraient pas pu le voir.

Mais au fond est-ce que je pouvais leur en vouloir de faire ce qu’on leur disait de faire ? Je ne sais pas, en fait. J’avais toujours admiré mon frère pour le travail qu’il faisait parce que ce n’était pas un travail facile et c’est bien pour ça que je n’avais pas fait de résistance quand les deux flics m’ont arrêté. Mon frère trouvait ça intelligent surtout par rapport à la presse. Oui, je comprenais où il voulait en venir. Et je comprenais que la position de mon frère, pour le moment, était un peu délicate. Je haussais les épaules à sa question.

-Non, ils ne l’ont pas vraiment été. Ils étaient rudes c’est tout mais pas vraiment violent. C’était juste… Ils ne sont pas vraiment comme toi et Conard. Ils n’ont aucun respect.

J’avais haussé le ton sur la dernière phrase. Le comportement des deux policiers m’avait un peu révolté. Ils n’avaient eu aucun respect pour moi, ni pour les femmes qu’ils regardaient dans le magazine.

Je regardais mon frère prendre une chaise et s’installer. Je jetai un regard vers Conrad qui me souriait comme pour m’encourager à surmonter tout ça. J’adorais Conard, il était comme un frère en plus pour moi.

Jordan enchaina en disant que ce n’était pas bien grave mais me posa ensuite une question qui me fit baisser le regard. M’auraient-ils arrêté, si ça avait été le cas ? M’aurait-il simplement dit d’arrêter et de rentrer à la maison ? S’ils m’avaient contraint de rentrer, est-ce que je l’aurais fait ?

-Je ne sais pas…

Je soupirais.

-Je ne sais pas ce que vous auriez fait et… Je ne sais pas ce que j’aurais fait… Ce concert, je l’ai fait pour toi… Pour Roxxy… Et pour Evan…

Et pour encore bien d’autres gens que je ne connaissais pas et qui souffraient.

-Je crois qu’on peut simplement se réjouir que ce n’était pas vous qui étiez dans ce secteur-là à ce moment-là.

Je tentais un petit sourire mais il disparut d’un coup.  

Mon frère semblait aussi ennuyé que moi. Pourtant, pour lui comme pour moi, cette arrestation ne changeait pas grand chose. Il allait être relâché après quelques heures sans qu'il n'y ait vraiment de suite si ce n'était une note dans son casier judiciaire, mais c'était pas comme s'il avait dealé, frappé ou tué. Le seul truc, c'était qu'on se retrouvait pour la première fois dans cette situation, chacun d'un côté différent des barreaux, chacun parce qu'on faisait ce qu'on avait à faire. Même si ce n'était pas nous qui l'avions arrêté, on portait le même uniforme, ça revenait donc au même.

Je demandai quand même à Duncan si des coups avaient été portés contre lui. Il me répondit par la négative, ce qui me rassura. Non seulement parce qu'on ne lui avait pas fait mal, mais aussi parce que ça m'évitait de devoir rendre leur monnaie de leur pièce aux deux autres. Et ce n'était pas seulement parce que c'était mon frère. J'avais déjà plaqué Dimaggio contre un mur après qu'il se soit excité à coups de matraque sur un pauvre gars bourré. Ok, c'était un gars très chiant, mais c'était pas une raison pour réagir comme l'avait fait mon jeune collègue... On avait d'autres moyens de réagir que de frapper bêtement.

Cependant, Duncan émettait une réserve. Les deux autres n'étaient, selon lui, pas comme Conrad et moi, qu'il manquaient de respect. Je souris...

-Ils ont 20 ans à tous cassé et ce sont de jeunes chiens fous à qui on a filé une arme... Ils se croient tout puissants pour l'instant. Mais le temps va leur en mettre plein la gueule et va les calmer...

J'entendis Conrad rigoler depuis le bureau...

-Ouais, et t'en fais pas, Dunk ! On s'en charge aussi un peu...

Ce n'était pas faux. Sans en faire nos souffre-douleur, on leur envoyait des répliques bien placées dès qu'ils nous tendaient des perches... Juste histoire que leurs egos en prennent un petit coup et qu'ils reviennent à la réalité : c'étaient pas parce qu'ils portaient une arme qu'ils étaient supérieurs aux autres personnes dans la rues, ou qu'ils avaient plus de droits. Au contraire, ils se devaient d'être deux fois plus exemplaires.

Je pris une cigarette dans le paquet que j'avais dans la poche latérale de mon pantalon d'intervention et l'allumai, toujours assis sur ma chaise. Je soufflai la première bouffée avant de continuer. Le malaise qu'il y avait au début commençait à se dissiper. On avait une conversation entre frères et ce mot, « frères » comprenait bien sûr Conrad.

-Quant au respect, on fait de notre mieux. Mais nous aussi, on a nos préjugés, des gens sur lesquels on doit intervenir et avec lesquels on est moins à l'aise...

Et Conrad de dire tout haut ce que je pensais tout bas...

-Ouais, ces putains de Viets de Chinatown, mec ! Comment tu différencies un chinetoque d'un Viet, hein ? Ben on sait pas... Alors c'est tous des Viets.

Je désignai Conrad à mon frère...

-Tu vois ce que je veux dire...

Je tirai un coup sur ma clope. Le Vietnam nous avait marqué et on pouvait rien faire contre... Pour d'autres, c'étaient peut-être les punks...

-Dans ce qu'on fait, on a pas toujours le temps de faire le tri entre les bons et les mauvais...

Et Duncan en revint au concert. Je savais que ça partait d'une très bonne intention. D'ailleurs, il n'avait vraiment rien fait de mal si ce n'était bousculer un peu les autorités de L.A. Et je laissais clairement voir à Duncan que je ne lui en voulais pas pour ce qu'il avait fait. Mais que concernant sa position actuelle, je ne pouvais rien faire parce que je devais me plier aux ordres, même s'il était mon frère.

Il avait fait ça pour moi... Et ça concernait aussi cette foutue guerre dans laquelle le gouvernement nous avait lancé. J'avais signé pour, j'avais fait ce que j'avais à faire, ce qu'on me disait de faire. Et j'en était pas revenu indemne. Roxxy... Roxxy s'était tuée elle-même. Est-ce qu'elle avait été aidée par le système dans sa prise de décision ? J'en savais rien... Mais la mort elle-même révoltait mon frère. Sauf que comme le gouvernement, on ne pouvais rien faire contre... Si ce n'était peut-être un concert devant un bâtiment important.

Et puis Evan...

Je fronçai les sourcils et laissai ma main qui tenai ma clope retomber sur le dossier de la chaise.

-C'est qui Evan ?

Jordan excusait ses collègues en mettant en avant leur jeunesse. Ils se sentaient tout puissant mais, d’après mon frère, le temps allait faire son travail et ils finiront par revenir à leur place. Conrad appuya les dires de mon frère en disant qu’ils s’en chargeaient. Je sais que mon frère et Conard n’aimait pas non plus ce genre de comportement. Jordan et moi avons reçu la même éducation et ça consistait à respecter autrui.

-J’espère que vous avez raison.

J’avais de l’espoir que toutes personnes pouvaient changer. On pouvait être un connard un jour et décider de changer. Pour moi, on devait toujours donner une seconde chance à quelqu’un. Même si c’était des gens comme les deux flics qui m’avaient appréhendé. Alors je faisais confiance à Jordan et Conard pour ce coup-là. Je savais qu’ils étaient capables de changer des gens.

Mon frère se sorti une cigarette avant de continuer à parler. Malgré tout, mon frère avoua avoir des appréhensions sur certaines personnes avec qui il était moins à l’aise. J’essayais de comprendre avant que Conard n’image ce que disait mon frère. Au Vietnam, il ne fallait pas passer son temps à différencier les gens. Je soupirais. Moi, je prenais toujours le temps d’aller vers les gens, de les connaitre. Mais je n’avais pas fait la guerre. Je n’avais pas vécu ce qu’avait vécu Jordan et Conard. J’avais eu la chance de rester à Carson City au chaud, avec à manger et à boire, avec des amis… Mon frère, lui, avait dû se battre pour un gouvernement qui n’en avait rien n’à faire de lui. Il avait dû tuer des gens parce qu’on lui demander de le faire. Je baissais le tête me dérobant du regard de mon frère. Peut-être avait-il tué des gens innocent pour être sûr de ne pas perdre sa vie à lui ? C’était horrible de penser à ça. J’approuvais donc mon frère de la tête quand il me demanda si je voyais ce qu’il voulait dire. Parfois on n’a pas le temps de faire le tri qu’il disait. Je relevai la tête.

-Je sais… C’est pour ça que tout est compliqué. Mais je me dis que les gens agissent d’une certaine façon pour une raison. Et j’essayerai toujours de faire le tri, parce que, justement, j’en ai l’occasion.

Je n’étais pas en guerre, j’avais le temps. D’ailleurs, je haïssais la guerre parce qu’elle m’avait éloigné de mon frère mais aussi parce que beaucoup d’innocent son tué pour rien ou pour que les riches s’enrichissent encore plus sur un tas de mort. C’est en partie pour ça que j’avais fait ce concert « illégal » aujourd’hui. Illégal… Un concert… De la musique… Comment pouvait-on rendre la musique illégale ? Alors que la guerre, elle, est permise…

Je disais à mon frère que j’avais fait ce concert pour lui, pour Roxxy et pour Evan. Jordan ne voyait pas de quel Evan je parlais. Normal, je ne lui avais encore jamais dit que j’avais rencontré l’ancien chanteur de The Army. J’étais trop concentré sur ce que je faisais avec BleedingHeart pour en parler à mon frère. Ce n’était pas pour lui cacher, c’était juste une question d’opportunité. Je n’avais pas encore eu l’occasion d’en parler posément avec mon frère. Je souris.

-Evan « Sniper » Kurtz, l’ancien chanteur de The Army. Je l’ai rencontré dans un magasin de l’Eastside et, depuis, je passe de temps en temps chez lui pour discuter. Il me raconte des anecdotes du moment où il était rockstar. Il vit dans un appartement miteux et est un peu déprimé. Il ne sort quasi jamais.

J’avais baissé les yeux parce que je voyais l’image d’Evan assis sur le sol de son appartement entre deux bouteilles de bières vide.

-Il n’a pas eu de chance… Mais BSC n’a rien fait pour lui à part lui donné un peu d’argent tous les mois pour la vente de ses disques… C’est horrible de finir une carrière comme ça… Il a une fille qu’il ne voit quasi jamais alors qu’il l’adore…

Il y avait tellement à dire sur Evan. Je relevais les yeux vers mon frère. C’est ma dernière rencontre avec Evan qui m’avait poussé à faire ce concert.  

Cette conversation était à double sens. Nous comme lui, on savait qu'on avait un tas de choses à apprendre l'un de l'autre. Je n'étais pas là pour l'engueuler. J'étais venu pour voir s'il allait bien, d'abord et ensuite parce qu'il était mon frère et qu'en cas de coup dur, on devait se serrer les coudes. On avait été là l'un pour l'autre après le suicide de Roxxy, et on faisait de même maintenant, même si c'était beaucoup moins grave. Y avait pas mort d'homme ici... Duncan avait juste piqué l'ego de certains de nos politiciens. Et au fond de moi, j'étais pas mal fier de lui.

Malheureusement, ma fonction ne me permettait pas de le lui dire. Pas en uniforme, pas entre les murs du commissariat. A la maison, peut-être, je le lui dirais clairement.

De même, si lui pouvait se rebeller, dire ce qu'il voulait et prendre le temps de connaître les gens avant de savoir comment interagir avec eux, ce n'était pas notre cas. Et le temps et nos expériences nous avait donné des préjugés sur certains groupes de personnes qu'on allait avoir du mal, voire ne pas arriver, à changer. Avec les asiatiques, pour nous, c'était le pire. C'était pourtant un peuple relativement calme pour ceux qui vivaient ici, à L.A.

Mais il n'empêchait qu'on avait vraiment du mal à leur enlever l'étiquette « d'ennemis ». Parce qu'on avait été drillés pour.

Duncan, lui, savait où se situait réellement le problème, son esprit critique n'ayant pas été altéré par un drill ou par une guerre. Il savait que le problème n'était pas tel ou tel groupe de personnes, mais les politiciens qu'il y avait au dessus de tout le monde.

Pour nous, c'était foutu. Mais lui, il représentait l'espoir. Il avait toujours été l'espoir pour moi. C'était le plus petit de notre fratrie et c'était celui à qui la vie avait offert le plus de possibilités. Il lui fallait juste un petit peu de chance maintenant. Et il se pouvait fort bien que celle-ci se pointe maintenant qu'il s'était fait remarqué.

Je fumais ma cigarette, l'écoutant parler avec un sourire plus franc aux lèvres. Je commençais à oublier les barreaux qui nous séparaient. Duncan voulait faire le tri, agir au cas par cas. Je hochai la tête en tirant sur ma clope. Conrad s'était mis à fumer lui aussi... Tout collègue qui voudrait maintenant entrer dans le couloir des cellules serait au courant, à l'odeur de cigarette, qu'on était là. Cela nous permettait d'éloigner les collègues qu'on ne souhaitait pas voir, bien que ceux-ci étaient peu nombreux. Seuls ceux qui nous appréciaient et qu'on appréciait oseraient se pointer ici, désormais.

-T'as l'occasion de faire le tri, fait-le. Mais je te préviens juste que tout le monde ne le fait pas. Par ignorance parfois, par choix, même si c'est très con, ou tout simplement, comme nous, parce qu'on ne saurait plus revenir en arrière et qu'en plus, ce qu'on fait ne nous en laisse pas le temps...

Je fixais mon frère du regard.

-Là où tu as des jours pour apprendre à connaître quelqu'un, nous, on a trois secondes pour réagir en intervention.

Quant aux raisons de son concert... Ouais, je reconnaissais bien là mon frère. Il avait fallu qui hurle sa colère au plus grand nombre, qu'il mette en avant ce que ce qu'il appelait « le système » menait certaines personnes à faire en leur laissant un semblant de choix. Le choix de s'engager et de partir en guerre, comme moi, le choix de vivre ou mourir, comme Roxxy...

Mais cet Evan, je n'avais aucune idée de qui c'était. Ces derniers temps, BleedingHeart était souvent à la recherche de scènes, de dates, d'agents et ne rentraient à la maison que pour dormir. Quant à moi, j'enchaînais les heures afin de pouvoir subvenir au mieux aux besoin de tout ce petit monde. Et je m'en plaignais pas, je le faisais avec plaisir. Mais du coup, j'avais peu vu mon frère les derniers mois.

Et dès que Duncan eu sorti sa première phrase sur ce fameux Evan, ma mâchoire inférieure descendit d'un cran et j'en restai bouche bée. Conrad, quant à lui, balança le Hustler à la poubelle et s'empressa de rapprocher sa chaise de la cellule en la traînant à terre pour se mettre à côté de moi, face à Duncan, dans la même position que moi.

Je désignai Duncan.

-Tu as retrouvé Sniper ?! Le vrai Sniper!

The Army était un des groupes qu'on écoutait le plus souvent alors qu'on était au Vietnam. C'était en partie grâce à leur musique qu'on avait survécu à toute cette merde. Ça n'avait pas été le cas du groupe lui-même, par contre. La guerre du Vietnam n'était pas encore finie que The Army avait brutalement disparu de la circulation.

Je penchai la tête sur le côté. Je comprenais maintenant quelle était la goutte qui avait fait débordé le vase pour mon petit frère. Sniper avait, lui, été victime d'un système de plus en plus commercial. Il avait eu des problèmes de santé, si je me rappelais bien...

-C'est le seul membre de The Army encore en vie, non ? On en parlait comme d'un groupe maudit à une époque...

Mes yeux bleus croisèrent à nouveau ceux, de la même couleur, de mon frère.

-Tu sais quoi ? Je peux pas le dire, normalement, mais j'en ai rien à foutre.

Je fis un clin d’œil à mon frère.

-Continue à faire de la musique, continue à faire ce que t'as à faire.

Je souris.

-Toi et nous, on fait le même job... Mais différemment. On a pas les mêmes armes, mais le but est le même.

Ouais, on essayait au mieux d'aider les autres...

L’odeur de cigarettes avait envahis complètement l’endroit. Je ne fumais pas mais ça ne me dérangeais pas. Mon frère fumait tout le temps à la maison ainsi que certains membres de BleedingHeart et donc j’avais l’habitude de cette odeur. Elle me rassurait dans un sens.

Notre discussion menait à une conclusion : je voulais faire le tri, je voulais pouvoir comprendre les autres avant de les juger, j’avais toujours agit comme ça et j’agirais toujours de la sorte mais je comprenais aussi le point de vue de mon frère qui avait vécu la guerre et qui, maintenant, dans son métier, n’avait pas toujours le temps d’agir comme moi. Et Jordan rajouta que tout le monde n’allait pas faire le tri comme je m’évertuais à faire. J’approuvais de la tête.

-Je sais. Mais tout le monde peux changer… Absolument tout le monde, Jordan. Parfois une seule chanson, un seul film, un seul petit fait de vie peut changer quelqu’un de façon positive.

Tout comme la même chose peut changer quelqu’un de façon négative comme une guerre par exemple ou bien une trahison. Il en faut peu pour changer une personne. Mais je croyais tellement en l’être humain que j’avais l’impression qu’on avait tous un bon fond mais que certains ne l’avait juste pas encore remarqué.

Je parlai ensuite des raisons qui m’avait poussé à faire ce concert. J’en vins rapidement à Evan Kurtz l’ancien chanteur de The Army. J’expliquai à mon frère où je l’avais rencontré et à quel point sa situation m’avait touchée. Mon frère me regardait bouche bée. Il adorait The Army. Il m’avait raconté qu’il écoutait beaucoup ce groupe au Vietnam tout comme je l’avais beaucoup écouté moi aussi à Carson City, bien au chaud pendant que mon frère combattait. Même Conrad avait fini par s’approcher de nous, intéressé par ce que je disais. Jordan n’en revenait pas.

-Oui, je l’ai trouvé. J’aurais voulu le trouver dans un autre état.

C’est clair que voir un chanteur qu’on a aimé vivre comme vivait Sniper ce n’était pas réjouissant. La vie lui avait vraiment joué un sale tour et les gens autour de lui ne l’avaient pas aidé. BSC avait vécu son moment de gloire avec The Army et maintenant ils avaient abandonné le chanteur au fond de l’Eastside sans plus de reconnaissance que ça.

Mon frère me demanda si c’était le seul membre de The Army à être encore en vie. J’approuvais de la tête avec un air triste. Oui, et c’était bien dommage. Avec ses amis à ses côtés Evan ne serait peut-être pas tombé aussi bas. Ils auraient pu se serrer les coudes. Mais, encore une fois, la vie c’était acharnée sur le chanteur.

Mon regard était plongé dans celui de Jordan. Et d’un seul coup, mon frère outrepassa certaines règles pour m’encourager à continuer ce que j’avais à faire. Je souris. Il compara mon job au sien. Il avait raison. Je serrais les barreaux de mes deux mains. Evan avait été le soutien de Jordan pendant ses années de guerre et moi j’avais voulu rendre la pareille au chanteur qui, quelque part, avait soutenu mon frère sans le savoir. Il l’avait ramené entier au pays.

-Je continuerai, Jordan… Je dois le faire au moins pour toi.

Parce que ma famille était la chose la plus importante au monde pour moi.

-Merci.

Jordan protéger les faibles par son métier, moi je le faisais par la musique.

S'il y avait quelqu'un d'optimiste dans le monde, c'était bien Duncan. S'il y avait quelqu'un qui avait encore espoir en l'espèce humaine, c'était lui. Il avait toujours été comme ça, prompt à aider les autres, un peu comme moi. Sauf que lui, il n'attendait pas qu'on lui demande de l'aide, il allait vers les autres. Il faisait facilement connaissance et se liait avec les gens. En ce qui me concernait, c'était légèrement différent. J'étais comme lui étant beaucoup plus jeune, mais les expériences m'avaient appris à me méfier. Et à mon retour du Vietnam, j'étais devenu, pour un temps, complètement paranoïaque.

Il pensait que tout le monde pouvait changer. Et je savais que Conrad et moi, on avait un avis tout différent sur la chose. Drill ou réalité ? Expérience ou négativisme ? J'en savais trop rien. Mais je voyais ce que je voyais et c'était toujours les mêmes qui revenaient squatter nos cellules.

Quoi que je devais laisser bien ça à mon frère : il y en avait qui changeaient. Delfino avait réussi à changer. Mais il avait fallu que sa mère meurt pour ça... Et ça restait un combat de tous les jours. On essayait pourtant bien, de notre côté, de coincer les enfoirés de son gang, mais comme le petit latino, pour se protéger, ce que je comprenais, n'avais pas voulu nous donner leurs identités, ça compliquait un peu l'affaire.

Je souris à mon frère, l'approuvant. J'aimais sa façon de penser, notamment parce que je savais que je n'étais pas capable de faire de même. Et qu'il fallait des gens comme moi autant que des gens comme lui.

Et je savais qu'il était conscient que si les gens pouvaient évoluer de façon positive, ils pouvaient tout aussi bien le faire de façon négative. Mais Duncan voyais toujours le verre à moitié plein.

-T'as raison, petit. T'es là pour ça.

Puis il m'annonça qu'il avait retrouvé le chanteur de The Army et mieux encore, qu'il lui rendait souvent visite. Mais je voyais bien à l'expression de son visage que ça avait été le fameux élément déclencheur, ce qui avait mené à l'élaboration de ce concert qui devait à l'instant même faire polémique au sein du Los Angeles City Hall. Ces politiciens à la noix allaient chacun se positionner par rapport à ce concert car Dieu savait que la musique avait une place importante à Los Angeles, certains artistes étaient mêmes bien plus influents que n'importe lequel de ces politicard. Et chacun allait essayer de grappiller les bonnes grâces des électeurs.

Soit, c'était ni le problème de Dunk, ni le mien de s'occuper de ça. Il serait peut-être encore arrêté, parce que je savais qu'il n'était pas du genre à s'arrêter là.

Pour l'instant, ce qui nous prenait toute notre attention, c'était de savoir que le chanteur de The Army vivait à deux pas de chez nous. Et la tristesse que je pouvais lire sur le visage de mon frère me permettait d'estimer l'ampleur du désastre concernant celui qui nous avait en partie permis de tenir bon au Vietnam.

Et qui aujourd'hui, se retrouvait tout seul.

Tristesse, mais aussi colère pour Duncan dont je voyais les jointures de ses poings devenir blanches tant il serrait les barreaux.

Je me levai et m'approchai de mon frère, passai mon bras à travers les barreaux et posai ma main sur sa nuque.

-Hey... Fais-le pour toi, et contre tout ce que tu veux combattre. T'es un bon petit gars. Tu peux faire de grandes choses pour les gens, t'as le talent pour ça, n'en doute jamais.

Le groupe de Duncan avait peut-être du mal à décoller, mais si les petites ne savaient pas pourquoi, moi, je voyais clair dans les choix des managers. BleedingHeart était dangereux parce que contestataire et peut-être qu'il seront même sujet à une censure...

Et la censure est à double tranchant. Elle peut soit rapporter gros, soit faire couler le groupe.

J'entendis la porte du couloir s'ouvrir et me tournai vers le bruit. Si c'était Dimaggio, il allait en prendre plein la gueule.

Mais non, fausse alerte, c'était juste le chef.

-Allez, cassez-vous. Tous les trois.

Il jouait un ton sec, mais avait un sourire espiègle aux lèvres.

-Fin de l'arrestation administrative pour le gosse...

Ouais, Dunk avait beau avoir 29 ans, le chef en ayant 20 de plus, ça restait un gosse pour lui. Il nous désigna, Conrad et moi, alors que je souriais moi aussi et que j'ouvrais la cellule pour en laisser sortir mon frangin.

-Quand à vous deux, je veux pas vous voir dans le coin avant la reprise du boulot, soit dans deux jours en ce qui vous concerne.

Je frappai amicalement mon frère sur l'épaule et lui ébouriffai les cheveux comme s'il avait encore 10 ans. Ce qui, pour moi, était un peu le cas.

Mon frère et moi n’étions pas les mêmes. On avait pas la même façon de fonctionner, c’était certain et ce depuis notre plus tendre enfance. On avait, par la suite, pas eu la même vie, ce qui a encore creuser l’écart entre nos personnalités. Mais, malgré tout, on avait le même but et les mêmes valeurs et c’était ça qui nous rendait uni en plus de notre complémentarité. On avait eu la même éducation et donc la même base.

J’étais donc là pour aller vers les autres, mon frère me le confirma et je lui souris. Lui était là pour les protéger dans l’ombre sans obtenir la reconnaissance qu’il devrait avoir. Et c’était aussi pour ça que je me battais.

Tout comme je me battais pour Evan. Lui que le destin avait décidé de mettre à mal avec un coup de pouce de sa maison de disques. Même si son récit ne m’avait pas découragé à être rockstar, ça m’avait quand même fait réfléchir à tout ce business et ce qu’il pouvait faire aux gens. Voir Evan dans un tel état me rendait à la fois triste et révolté. Si bien que je serrais les barreaux très fort et je serrais les dents aussi. Mon frère passa sa main sur ma nuque et je me détendis un peu. Ce combat, je devais le mener pour moi et avoir confiance en moi. J’approuvai mon frère de la tête. J’étais sûr que BleedingHeart signera un jour et ainsi, notre musique pourra toucher tout le monde.

La porte du couloir s’ouvrit et je relevais le regard vers elle. Un policier que je n’avais pas encore vu entra dans la pièce. J’espérai qu’ils allaient au moins me laisser mon frère… Si je pouvais discuter avec lui et Conrad, les heures passeront plus vite.

Finalement, le policier nous ramena une plus bonne nouvelle encore ! On pouvait tous partir, moi y compris. Je sautais de joie dans ma cellule et regardais l’homme avec un grand sourire.

-Merci, M’sieur !

Quant à mon frère et Conrad ils avaient carrément l’ordre de s’en aller d’ici et de ne pas revenir avant leur prochain service. Je rigolai. Quelque part, ça ne m’étonnait pas. Mon frère et Conrad adoraient leur boulot et ils étaient souvent plus ici que chez eux.

-Cool ! On aura cas aller se boire une bière tous les trois !!!

Histoire de détendre un peu l’atmosphère après ce qu’il venait de se passer. Mon frère ouvrit la cellule et je pus regoûter à la liberté. Il m’ébouriffa les cheveux et je rigolai. Ce petit séjour en cellule m’aura appris que je déteste être enfermé et, aussi, que je peux compter sur mon frère pour me soutenir.