J’avais jugé que le pub de mes parents était encore le meilleur endroit pour annoncer à Jordan ce que Katy et moi avions vu à la sortie du cinéma. Pour ça, on avait dû attendre l’un de nos jours de repos en commun. Autant que Katy et moi soyons là tout les deux pour ça.

On s’était tous donné rendez-vous dans la soirée. Il y aura un peu plus de monde qu’à une autre heure même si je nous avais déjà réservé l’une des tables tout au fond, un rien isolé. Avant ça, j’avais aidé mes parents au pub. Je le faisais parfois et je me disais que j’aurais dû demander à Katy de venir aussi. Mais c’était son jour de repos et je me voyais mal lui demander de venir aider mes parents. Même si ma mère avait passé l’après-midi à me dire qu’elle aurait bien voulu que Katy soit là. J’avais beau dire qu’elle allait venir ce soir ça ne calmait pas sa déception. Ma mère adorait Katy et je savais qu’elle rêvait secrètement à des petits enfants. Sauf qu’on était encore loin d’en être là, hein !

J’avais remué dans ma tête tout cette histoire avec Nell… Jordan m’avait brièvement raconté sa rupture et je comprenais son point de vue. Le fait que mon meilleur ami et collègue l’ait renvoyé sans ménagement ne m’avait pas tellement surpris. Il ne fallait pas oublié que Jordan n’était pas seul. Il y avait Grant. Et sa priorité était de protéger le petit. Et s’il ne pouvait pas compter sur sa petite amie pour être totalement de son côté alors ça ne servait à rien de continuer. Même si je savais que Jordan avait ses défauts et que tout ça n’avait en rien aider.

Je m’étais bien gardé de jugé parce que c’était sa vie sentimental et que je n’aimerais pas qu’il s’immisce dans la mienne. Je n’allais, donc, pas faire pareil.

Mais là, il devait savoir… Parce que ce que faisait Nell était quand même assez dégueulasse si je pouvais dire.

Alors que la soirée s’installait, le pub se remplissait. J’aidai encore un peu mes parents en aidant au bar avant d’aller rejoindre la table que je m’étais réservé pour moi, ma petite amie et mon meilleur ami. Loin des oreilles indiscrètes… Et aussi des gens qui pourraient être dérangé par un éclat de colère de Jordan. Il fallait être prévoyant.

Ma mère m’avait apporté une Guinness et j’avais commencé à boire attendant autant Katy que Jordan tout en écoutant les chansons folk de mon pays d’origine qui passait dans tout le pub.

J’étais vraiment super content parce que j’étais invité à venir passer la soirée au Green Goat avec Conrad et Katy.

Ça allait me faire du bien parce qu’entre le boulot et Grant, je ne sortais pas vraiment. C’était un peu métro-boulot-dodo… D’un autre côté, je n’avais pas vraiment envie de sortir seul au Rainbow ou dans ce genre de clubs par exemple. J’avais trouvé une certaine stabilité sécurisante avec Grant et  ce n’était pas plus mal.

Mais voir de vrais amis en petit comité, ça, j’aimais bien. Alors je n’allais pas me priver.

Qu’allais-je faire de Grant ?

Il s’était vraiment bien comporté, ces derniers temps, même à l’école et tout. Il avait bien droit à une récompense. Alors je lui avais annoncé que j’étais invité à sortir et lui avait laissé le choix : il pouvait soit aller passer la soirée chez Duncan et Leia, soit je lui confiais la maison avec toute ma confiance.

Forcément, il avait choisi de rester seul à la maison. Mais je ne m’en faisais pas vraiment : il avait la télé, ses comics, ses carnets à dessin… Et j’étais même allé jusqu’à lui louer deux ou trois films d’horreur pour qu’il puisse passer le temps.

Et je ne lui avais pas donné d’heure pour aller dormir… Je n’étais pas totalement idiot, je savais qu’il ne la respecterait quand même pas, alors à quoi bon ?

Je m’étais habillé en tenue décontractée, mais propre… Mon but n’était vraiment pas de draguer, mais bien de voir mes amis en dehors du boulot.

Quand la soirée avait débuté, après avoir mangé des pizzas, j’avais fait mes dernières recommandations à Grant pour ce qui était de la maison (ce qui consistait surtout à verrouiller toutes les portes si jamais il allait dormir) puis j’étais parti.

Je retrouvai Conrad au Green Goat, assis à une table que me désignèrent ses parents que j’étais allé embrasser, tranquillement en train de siffler une Guinness. J’avais commandé la même chose avant d’aller m’assoir.

J’arrivai par derrière mon binôme et le saluai d’une main sur son épaule.

-Tu n’attends même pas Katy avant de boire ! Ce n’est pas très galant !

Je m’installai face à lui et direct, mon inquiétude principale pris le dessus, me faisant me tortiller un peu sur ma chaise.

-Putain, j’espère que Grant, ça ira… je l’ai laissé seul à la maison…

Fiona m’apporta ma pinte et je l’en remerciai. J’en pris une bonne gorgée et peu de temps après, Katy entra dans le pub. Je lui fis un signe de la main pour qu’elle repère où on était et quand elle s’avança vers nous, je me levai pour lui faire la bise.

-Salut Katy… Ça va ?

Toute la journée, j’avais eu dans le ventre comme une espèce de boule d’angoisse qui, plus l’heure avançait, plus elle me pesait. Conrad et moi avions convenu que nous allions parler à Jordan et lui dire ce que nous avions vu, bien malgré nous. M’immiscer dans la vie privée des autres, ce n’était pas quelqu’un chose que je faisais, au contraire, je préférais les laisser gérer leur fougères, j’avais assez de la mienne pour m’occuper. Le fait était que là, Conrad et moi étions au même point tous les deux.

Ne pas dire à Jordan que nous avions vu Nell embrasser Ward reviendrait à lui mentir. Si par hasard de la vie il devait voir le même triste spectacle que nous et qu’il comprend que nous le lui avons caché, il sera déçu, fort probablement.

Le lui dire reviendrait à lui faire mal, à raviver la déception de l’échec de sa relation tout en le confortant dans le fait que de rompre avec elle fut la bonne chose à faire. Je redoutais sa colère et même qu’il puisse réagir fortement, c’est d’ailleurs pour cela que Conrad avait préféré lui donner rendez-vous au Green Goat.

C’est donc pour cela que j’avais jonglé avec une boule d’angoisse toute la journée et qu’elle me paru même plus lourde au fur et à mesure que l’heure du rendez-vous approchait. J’observais beaucoup de respect et d’amitié pour Jordan et savoir que j’allais possiblement le blesser ou le mettre en colère ne m’enchantais pas.

J’aurais dû partir plus tôt et trainer au pub des parents de Conrad plutôt que de ruminer toute cette histoire en long et en large dans ma tête encore et encore, comme si je pouvais parvenir à en changer l’issue. Comme si je pouvais faire en sorte que Nell ne soit pas tomber dans les filets de Ward Fleming. Je ne la connaissais pas beaucoup mais de ce qu’on disait d’elle, Jordan le premier, c’était que sa grande bonté et son cœur trop grand ouvert l’aveuglait sur les réelles intentions de personnes comme Ward. Peut-être que c’était le cas. Peut-être que ce dont Conrad et moi avions été témoin n’était rien de plus qu’une autre belle démonstration du grand pouvoir de manipulation du psychopathe le plus pathétique de Los Angeles ?

Quelque part en moi, j’espérais que c’était le cas car autrement, cela voudrait dire que Jordan s’était fait avoir un temps par une femme qui se donnait des airs de bonne fille sous prétexte qu’elle se dévouait au bénévolat, corps et âme mais qu’au fond, elle ne valait pas mieux que ceux qu’on incarcères en cellules.

J’arrivais au pub et je repérais Jordan qui me fit un signe de la main. Il semblait de bonne humeur ce qui voulait dire que Conrad ne lui avait encore rien dit. Je savais qu’il m’attendrait pour le faire mais parfois, les choses ne vont pas toujours comme nous le souhaiterions, Conrad et moi pouvions en témoigner.

- Salut vous deux ! , dis-je en m’asseyant à la table, près de Conrad que je regardais d’un air entendu.

Fiona vînt me demander ce que je voulais boire et, comme les mecs avaient chacun une pinte, je me laissais tenter moi aussi. À force de fréquenter Conrad, j’appréciais de plus en plus la bière. Je fus vite servit, heureusement ! La bière m’aiderait à me détendre.

- Je lève mon verre au trio des inséparables puisque même en dehors du travail, on se retrouve ensemble.

J’avais commencé à boire ma bière quand Jordan avait fini par entrer dans le pub. Il avait d’abord salué mes parents. Je pouvais voir ça d’où j’étais. Il m’avait, ensuite, rejoint déclarant que ce n’était pas très galant de commencer à boire avant même l’arrivée de Katy. Je rigolai un peu.

-Elle me pardonnera.

Je devais avouer que, maintenant que Jordan était là, je ressentais une certaine pression vis-à-vis de ce qu’on aura à lui avouer, Katy et moi. La bière ne sera, donc, pas de trop. Et, pour cause, Jordan ne tarda pas à en commander une aussi.

Jordan s’inquiétait pour Grant qu’il avait laissé seul à la maison. Ouais… Il ne faisait pas ça souvent, Jordan. Pour ainsi dire, jamais. Mais le gamin savait se débrouiller seul, ça j’en étais sûr… Le seul soucis c’est qu’il avait déjà fait des fugues par le passé et que je savais que c’était la hantise de Jordan… Mais je lui souris.

-Il a quasi 11 ans. Il s’en sortira. Il sait se débrouiller seul, tu sais. Tout ira bien. Puis, il est malin. Il sait que s’il se comporte bien, tu lui permettras de rester seul plus souvent, non ?

A sa place, je ne m’en ferais pas. Le gamin était spécial mais il savait où étaient ses intérêts.

Ma mère vint apporter la bière de Jordan avant que Katy ne passe la porte du Green Goat. Elle nous rejoignit et Jordan la salua.

-Salut Katy !

Elle s’installa à mes côtés commandant, elle aussi, un bière. Je l’initiais doucement à la bière, ma Katy. Et elle commençait à les apprécier.

Elle commença par trinquer. Je levai mon verre et souris.

-A nous ! Le meilleur des trio.

Je lui fis un petit clin d’œil. Je bus une gorgée de bière avant de déposer mon verre. Je me disais que, plus tôt on se lançait, plus vite le pensement serait enlever. Je mis une main sur la cuisse de Katy regardant mon ami, Jordan.

-Jordan… On a quelque chose à te dire. L’autre jour, Katy et moi, on est sortit au cinéma et, après le film, on a vu Nell… Elle était en compagnie de Ward. Ils avaient l’air en couple. Katy et moi, on s’est dit que tu devais le savoir. On pouvait pas te cacher ce qu’on a vu.

Je redoutais un peu sa réaction… Pour ça que je continuais de planter mon regard dans le sien. Je savais que Jordan ne ferait pas de scandale ici. Ce n’était pas son genre.

Direct, alors que j’aurais du me laisser aller et profiter du moment, mon inquiétude pour Grant me prit aux tripes. C’était plus fort que moi. J’avais de l’affection pour le gamin, tout ce que je voulais, c’était son bonheur et tout… Et je savais, au fond de moi, que j’avais pris la bonne décision en le laissant seul à la maison. Mais je pouvais pas m’en empêcher…

Est-ce que c’était ça, être parent ? Etre père ?

Si oui, c’était le métier le plus stressant au monde. Etre flic, à côté, c’était reposant.

Conrad, en excellent binôme et ami qu’il était, s’empressa de me ramener à des pensées plus rationnelles. Et il avait raison : Grant était intelligent.

-C’est clair que s’il gère ce soir, je le laisserai beaucoup plus souvent seul. Mais j’arrive pas à m’empêcher de m’inquiéter pour lui. C’est la première fois, tu vois ?

Ma bière arriva, suivie de près par Katy.

J’étais vraiment content de les voir tous les deux ! On allait passer une excellente soirée ! Katy se commanda une pinte, ce qui eu le don de m’amuser.

-La pinte est quasiment aussi grande que toi.

Katy était un tout petit bout de femme. Mais elle ne s’en laissait pas conter ! J’avais pu le constater quand on était tombés sur Ward blessé en ville et qu’elle l’avait supporté jusqu’à l’hôpital. Il n’y avait vraiment pas à s’en faire pour elle au sein du commissariat (même si on restait toujours un peu protecteurs envers elle par instinct parce que c’était une fille), elle ne se laisserait pas faire.

Une fois sa bière devant elle, elle la leva et je fis de même pour trinquer avec mes amis.

-A nous.

Je pris une gorgée de bière et puis m’allumai une cigarette…

-Je suis vraiment content de votre invitation… ça faisait un moment que j’étais pas sorti… Avec Grant et tout, j’ai pas forcément de temps pour moi…

Mais ce que je ne savais pas, c’était que j’étais ici parce que l’ombre de Ward planait encore sur nous… Sur moi… Indirectement… Et je regardai mes amis d’un air interrogateur en voyant qu’ils ne semblaient pas partager mon enthousiasme au sujet de cette soirée.

Le suspens ne dura pas longtemps. Conrad allait m’épargner ça. Ce n’était pas mon ami pour rien. Il était direct et quand il avait quelque chose à dire, il n’hésitait pas.

Mais je sentis dans sa voix que le sujet était sensible. Je l’écoutai donc attentivement, mais ne m’attendais pas du tout à la révélation qu’il me fit. Je restai complètement interdit, sans rien dire, la clope pendant au bout des lèvres et se consumant toute seule pendant quelques secondes.

Quelques secondes pendant lesquelles je passai par tout un tas d’émotions… La colère d’abord, la consternation ensuite, puis finalement une forme de résignation.

Je finis par reprendre ma cigarette entre mes doigts après avoir tiré longuement dessus.

-J’y crois pas… Et en même temps… ça m’étonne qu’à moitié…

Il y avait toujours eu quelque chose entre Ward et Nell. Quelque chose que je trouvais atrocement malsain.

Malgré toutes les émotions qui me serraient le cœur, je parlais très calmement.

-J’ai bien fait, alors… De l’éloigner de Grant. De moi.

Je regardai alternativement Katy et Conrad… J’avais le regard à moitié dans le vide tellement j’étais consterné par la bêtise de Nell.

Je finis par soupirer.

-Je l’ai prévenue… Je lui ai dit qui était Ward. Maintenant, elle est assez grande pour prendre ses décisions elle-même. Si elle est pas capable de voir ce qui saute aux yeux, qu’est-ce que je peux y faire ?

En m’installant à la table de Conrad où était déjà assis Jordan, je me gardais une petite gêne en n’embrassant pas mon petit ami, bien que j’en mourrais d’envie. Avec la conversation que nous allions avoir avec notre ami, il aurait été mal avisé que de faire démonstration de notre amour. Je demandais une bière tout comme eux et elle me fut servie rapidement, heureusement, j’avais la gorge sèche alors même que je n’avais pas encore parlé.

Pour briser la glace, je décidais de lever mon verre à nous trois, notre petit trio inséparables. Au commissariat, bien que je n’allais pas sur le terrain avec eux et que je ne menais pas d’enquête, je savais que je leur étais très utile et qu’ils appréciaient mon travail. Je ne cherchais pas non plus à m’imposer dans leur amitié, elle était bien trop précieuse pour que je joue les troubles fêtes ! Mai sa force de se côtoyer tous les jours et en étant maintenant en couple avec Conrad, nous formions un trio fort.

Après un échange avec Conrad et alors que Jordan confiait que notre invitation tombait pile, il fallait crever l’abcès. Plus vite nous le ferions, mieux ce serait et nous pourrions passer à autre chose tout du moins, aider Jordan à le faire.

C’est Conrad qui eut le courage de le faire. Il ne tourna pas longtemps autour du pot pour avouer à notre ami que nous avions vu son ex amoureuse en compagnie de Ward Fleming et qu’ils avaient l’air très près l’un de l’autre. Jordan prit une longue bouffée de sa cigarette avant d’avoue être surprit et en même temps pas.

- Ça nous a surpris, nous aussi et, comme le mentionne Conrad, nous ne pouvions pas ne pas te le dire.

J’aurais de loin préféré ne pas être témoin de cette scène et ne pas contribuer à l’annonce de cette nouvelle. Jordan et Nelle n’était plus en couple donc, l’un comme l’autre étaient libre de faire tout ce dont ils avaient envie cependant, dans le cas de Nell, refaire sa vie avec Ward n’était pas une information anodine que nous pouvions passer sous silence.

Jordan souffla qu’il avait bien fait de l’éloigner de Grant et par le fait même, de lui. Il nous regarda tout à tour avant d’ajouter que la jeune femme était assez grande pour faire ce qu’elle voulait et que si elle ne pouvait voir l’évidence, que pouvait-il y faire.

- C’est un peu ce que nous avons pensé, Conrad et moi. Avec tout ce que nous avons d’informations sur Ward, ça me parait évident qu’il n’est pas quelqu’un de bien. Il faut croire qu’il reste encore des gens pour en douter.

Un tas de gens puisqu’un juge et un jury l’avait complètement blanchi, chose que je ne pourrais jamais comprendre !

- J’aurais préféré qu’on ait pas à te l’annoncer. Conrad et moi n’étions pas bien avec le fait de le savoir. Si elle avait été avec quelqu’un d’autre…

Si nous avions surprit Nell entrain d’embrasser un autre homme, quelqu’un sans histoire, cela n’aurait été qu’anecdotique bien que je l’aurais jugé rapide pour s’en remettre mais là encore, qui étais-je pour émettre une opinion ? Mais de se mettre en couple avec Ward ? Non, ça ne me rentrais pas dans la tête.

Jordan était angoissé par le fait que son gamin soit seul à la maison pour une soirée. Personnellement, j’étais sûr que ça allait bien se passer. Le gamin n’était pas con. Il savait que s’il voulait plus de liberté, il devait se tenir tranquille. Jordan confirma qu’il lâchera du leste si c’était le cas.

-C’est normal, j’imagine, de s’inquiéter. J’ai pas d’enfants… Mais je peux imaginer, oui. Mais le gamin est malin et il commence à devenir grand. Il sera ado que tu auras rien vu.

Katy finit par arriver et se commanda, elle aussi, une pinte de bière. Je rigolai quand Jordan déclara que la pinte était quasi aussi grande que Katy. C’était vrai. Mais j’avais vu Katy pouvoir ingurgité une très grande quantité de nourriture, alors…

-Un petit corps ne veut rien dire.

On trinqua à notre amitié alors que Jordan se disait content de faire cette sortie. Peut-être qu’il ne sera plus aussi enthousiaste dans quelques instants… Ça me fit faire une légère moue mais je décidai de tout de même me lancer pour expliquer à Jordan ce qu’on avait à lui dire. Ça ne servait à rien de tourner autour du pot sauf à retarder la possible colère de mon ami.

Je révélai les choses voyant le visage de Jordan passer par plusieurs émotions. Mais ce ne fut pas par une explosion de colère que Jordan rétorqua mais par quelques mots. Il disait être surpris mais en même temps par totalement. Katy déclara que, nous aussi, on avait été surpris.

-On ne s’attendait pas à ça, c’est vrai.

Qu’elle se soit remit avec quelqu’un, ok… Après tout, elle s’était faite larguée du jour au lendemain alors qu’elle ait refait sa vie, ça pouvait se comprendre. Mais avec Ward ? Là, ça me choquait, sincèrement.

Jordan déclara qu’il avait, donc, bien fait de l’éloigner de lui et de Grant. J’hochai de la tête.

-C’est ce que je pense aussi.

Surtout pour l’équilibre du gamin. S’il apprenait ça qu’est-ce qu’il allait en retirer ? Je savais que Grant était en thérapie alors ce n’était pas forcément le moment que tout autour de lui soit illogique.

Le regard de Jordan était un peu vide. Il n’était pas en colère. Il était certainement à la fois déçu et résigné. Il disait avoir prévenu Nell mais qu’il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre de plus pour elle. Katy confirma ça et j’hochai de la tête.

-Tu as fais tout ce que tu as pus… Mais Nell n’était pas disposé à comprendre, apparemment. Je ne la croyais pas naïve à ce point. C’est pas faute que tout lui monde lui a dit que Ward est un foutu psychopathe. Mais visiblement, il faudra qu’elle le voit par elle-même pour s’en rendre compte. C’est triste parce que je sais que Nell a un bon fond… Mais voir le bien en tout le monde, c’est pas toujours une qualité. Les gens comme Ward, c’est des as pour se faire passer pour plus beau qu’il ne sont.

Katy déclara qu’on se voyait mal ne pas le lui dire. Je soupirai avant de regarder mon ami.

-Si elle avait été avec quelqu’un d’autre, on s’en serait foutu. Mais avec Ward. Tu devais le savoir. En espérant que Ward te foute la paix…

Avec Grant. Parce que rien ne lui empêchait de se battre à nouveau pour la garde.

Je rigolai un peu quand Conrad me dit que je n’aurais qu’à cligner des yeux pour voir Grant devenir un ado. Il avait raison, c’était ça le pire. Ce n’était pas comme si j’avais eu le temps que la plupart des parents ont, je voir grandir leur progéniture.

-J’ai pas fini d’en voir, je pense. Mais je crois pouvoir gérer. C’est moins Grant lui-même qui m’inquiète que le fait que Ward soit libre et que donc, le petit pourrait tomber sur lui n’importe où, n’importe quand.

Je faisais confiance à Grant. Il était débrouillard et intelligent. Il savait encaisser des responsabilités comme il le faisait à la tour BSC.

Mais je n’avais pas confiance en Ward.

Katy arriva ensuite et se commanda une pinte, ce qui m’amusa parce qu’elle disparaissait presque derrière le verre contenant le breuvage couleur chocolat, avec sa mousse douce-amère. Mais d’après mon ami, il ne fallait pas sous-estimer la jeune femme. Un petit corps ne voulait rien dire, qu’il disait. Ce qui me fit rire.

On porta un toast et on prit notre première gorgée et moi, ma première cigarette.

Je fus d’ailleurs étonné que Conrad n’en allume pas une lui aussi. En générale, quand un de nous se mettait à fumer, l’autre faisait automatiquement pareil. Comme un réflexe… ou un rituel.

Je pensais qu’on allait s’amuser, discuter beaucoup et, peut-être, quand on serait un peu éméchés, on demanderait aux parents de Conrad de nous allumer le karaoké.

Mais avant… avant, je vis la tête de mes amis se décomposer… Ils avaient visiblement quelque chose à me dire et ce n’était ni l’annonce d’un heureux événement, ni de leur mariage prochain.

Non… Non. Nell sortait avec Ward. C’était ça qu’ils voulaient me dire. C’était ça qu’ils avaient vu.

Je restai interdit quelques secondes, secoué intérieurement par tout un tas d’émotions. Mais au final, la roue de la fortune des sentiments s’arrêta sur la résignation. J’avais fait ce que j’avais pu pour faire comprendre à Nell que Ward était tout sauf un type bien. Elle n’avait pas voulu comprendre. Et là, elle avait fini de me trahir en se mettant carrément avec lui.

Qu’est-ce que je pouvais y faire ? Je n’étais plus avec elle. Elle était majeure et vaccinée. Elle faisait ce qu’elle voulait, même si c’était probablement la plus grosse connerie de sa vie.

Katy et Conrad étaient vraiment désolés de jouer les oiseaux de mauvais augure, mais ils s’était mal vu garder l’information pour eux.

Je soufflai une bouffée de fumée.

-Ne vous en voulez pas. Vous avez bien fait de me le dire. Mieux vaut apprendre ce genre de chose par des personnes de confiance que de tomber sur eux en rue ou je ne sais où…

Ici, je savais me contrôler et réfléchir. Pas sûr que ce serait le cas si je tombais sur le tout nouveau couple le plus atypique de L.A.

Conrad disait que j’avais fiat ce que j’avais pu et que si Nell était bouchée, ce n’était pas mal faute. Qu’elle finirait peut-être par se rendre compte de qui était Ward.

Je soupirai.

-Je sais. Mais j’espère qu’elle ne s’en rendra pas compte de la pire des façons. Qui sait ce que Ward pourrait lui faire ? Disons que… je respecte le choix de Nell. Il y a toujours eu quelque chose entre eux. Mais je peux pas m’empêcher de m’inquiéter…

Je repris une gorgée de Guinness.

-S’il arrive quelque chose à Nell, je vais m’en vouloir, c’est garanti.

Je terminai la phrase de Katy.

-Si elle avait été avec quelqu’un d’autre, ça n’aurait pas eu d’importance. Je l’ai mise dehors. Elle a le droit de faire ce qu’elle veut.

Tout comme moi.

Là que nous avions chacun un verre de bière, je décidais de trinquer à nous trois. Je cherchais une bonne façon d’aborder le sujet qui nous brûlait nos lèvres, à Conrad et moi et ce n’était pas évident. En soulignant le fait que nous étions tous les trois amis en nous définissants de trio inséparables, je mettais de l’avant que nous étions là l’un pour l’autre dans les bons comme dans les moins bons moments.

Compliqués ? Oui, ça l’était ! Mais parfois, il était nécessaire de se prendre les pieds dans les fleurs du tapis plutôt que de faire n’importe quoi n’importe comment.

C’est Conrad qui eu le courage de vider le sac que nous trainions depuis notre dernière sortie en amoureux.

Je l’avoue ! Nous nous étions un peu attendus à ce que Jordan nous fasse une scène horrible mais, au lieu de ça, il resta très calme et relativisa la situation. Nell était majeur et vaccinée donc à même de choisir ce qu’elle voulait pour elle-même. Certes, c’était une façon de voir les choses mais en décidant de s’engager dans une relation avec le psychopathe numéro deux de Los Angeles, j’y voyais une forme de provocation de la part de Nell. Après tout, Jordan n’avait-il pas rompu avec elle parce que cette dernière avait décidé de rendre visite à Fleming à San Quentin ?

Conrad et moi étions désolés d’être porteur de cette nouvelle mais après une courte mais mûre réflexion, nous en étions venues à se dire que nous ne pouvions pas garder Jordan hors de la confidence. Si Nelle s’était mise en couple avec un pur inconnu, la situation aurait été anecdotique, tout simplement.

Mais avec Ward…

- Je t’avoue que ça m’a fait un choc de les voir ensemble… J’en ai laissé tomber ma glace sur le trottoir !!

C’était dire à quel point j’avais été choquée par le spectacle !

Conrad aussi était décontenancé par la nouvelle. Il ne comprenait pas non plus comment Nell avait pu passer de Jordan à Ward en toute connaissance de cause. Mon opinion à moi était biaisé du fait que je connaissais Jordan et très peu Nell et qu’en travaillant au commissariat, j’avais lus et entendu beaucoup de chose sur le cas Fleming. Conrad disait que la jeune femme avait un bon fond mais que de voir le bon en tout le monde n’était pas toujours une qualité. Il avait totalement raison.

De son côté, Jordan espérait que son ex-petite copine n’allait pas apprendre de la pire des façons qui était réellement Ward Fleming. Ça me fit frissonner, ce fut plus fort que moi, tant et si bien que je baissais un peu le regard sur mon verre de bière qui était bien plus remplis que celui de mes compagnons. Puis je relevais les yeux sur Jordan qui ne pouvait s’empêcher de dire que s’il arrivait malheur à Nell, il s’en voudrait. Alors, je plaçais ma main sur la sienne.

- Tu n’aurais aucune raison de t’en vouloir, Jordan. Je comprends que tu puisse te sentir quand même concerné mais tu l’as dit toi-même, Nell est assez grande pour prendre ses décisions, même si elles sont discutables.

C’est comme de dire à un enfant d’innombrables fois de cesser de courir car il risque de tomber. Il ne cessera que lorsqu’il aura les genoux égratignés après une chute. Nell avait peut-être besoin de s’égratigner les deux genoux pour comprendre ce que Jordan lui disait.

Je serrais un petit peu la main de Jordan avec ma mienne avant de briser l’étreinte et de prendre une gorgée de bière qui me laissa avec une moustache de mousse que j’essuyais avec ma serviette de table.

- Ça vous dit le karaoké ?

Chasser les mauvaises vibrations en en chantant ? Ça pouvait être une bonne façon de se défouler et de conjurer l’effet Fleming.

Jordan savait qu’il n’avait pas fini d’en voir avec son petit protégé. Il était à l’aube de l’adolescence et j’étais certain que la suite n’allait pas être de tout repos. Bien que ce qui inquiétait surtout Jordan, c’était Fleming. L’autre Fleming. La version adulte et libre. Mes lèvres se pincèrent parce que c’était bien pour parler de lui qu’on avait rassemblé notre trio ici.

Katy arriva et, rapidement, on trinqua à notre amitié. C’était histoire de se donner du courage, je suppose. Parce que ce qu’on avait à dire à Jordan n’était pas agréable. Ce n’est jamais agréable d’annoncer une mauvaise nouvelle à son meilleur ami. Son frère, même. Car je considérait Jordan comme mon frère.

Mais le petit discours de Katy m’avait donné du courage et je m’étais lancé. Et c’est avec une philosophie monstre que Jordan réagit. Comme s’il était résigné. C’était peut-être le cas. Après tout, je n’avais pas vécu en ménage à trois avec lui et Nell. Il la connaissait mieux que moi et, une fois la surprise passée, il semblait digérer la nouvelle d’une certaine façon.

Katy mit en avant notre propre surprise en parlant de sa glace qui avait terminé sur le sol. Le choix de Nell d’aller voir Fleming à Saint-Quentin était la cause de la rupture de Nell et Jordan et, du coup, la voir avec Fleming m’avait laissé un gout très amer dans la bouche.

On avait expliqué qu’on ne pouvait pas garder ça pour nous et Jordan appréciait notre geste. J’hochai de la tête. Il aurait pris les choses certainement moins posément s’il l’avait appris autrement.

J’avais en tête que Nell finira sans doute pas savoir qui était réellement Ward… Je ne pensais pas qu’elle pourrait se voiler la face éternellement grand cœur ou pas. Mais Jordan, lui, espérait qu’elle ne s’en rendrait pas compte de la pire des façon. Mes lèvres se pincèrent. C’est clair que, malgré tout, je ne souhaitait aucun mal à Nell. Même si j’étais certain que ce genre d’histoire ne pouvait pas finir bien.

Jordan disait respecter le choix de Nell alors qu’il avoua qu’il y avait toujours eu quelque chose entre elle et Ward. Je soupirai.

-On se demande bien pourquoi… Ils ne sont pas du tout les mêmes. Même si je sais que Fleming sait faire en sorte de se faire passer pour ce qu’il n’est pas.

Sauf que Nell savait qui il était vraiment et c’est bien ça qui m’échappait chez elle. Elle n’était pas une de ces filles qui aurait rencontré Ward sans connaitre son passé et son tempérament.

Mais tout ça n’empêchera pas Jordan de s’en vouloir s’il arrivait quelque chose à Nell. Je soupirai. Que pouvait-il bien y faire ? Elle était grande. C’est d’ailleurs ce que Katy lui expliqua afin de le rassurer.

-Katy a raison, Jordan. Elle est grande. Elle connait Ward. S’il lui arrive quelque chose, ça sera sa faute. Même si je lui souhaite de se réveiller avant.

Jordan ajouta que si Nell s’était mise avec quelqu’un d’autre ça n’aurait pas eu d’importance car il l’avait mise dehors et que, donc, elle était libre de faire ce qu’elle voulait. J’hochai de la tête comprenant cet état d’esprit.

Katy voulu alors détendre l’atmosphère en proposant un karaoké. C’était un bonne idée !

-Bonne idée, Kat’ ! Même si je chante comme un casserole. Tu es prêt Jordy ?

Je ne l’appelais jamais Jordy mais je savais que Stone l’appelait comme ça alors ça m’amusait de le faire pour rire parfois !

Apparemment, Katy et Conrad avaient était bien plus surpris que moi que Nell puisse s’être mise avec Ward. Katy en avait même laissé échapper sa glace sur le coup. Bon, ils les avaient vus en live et peut-être que j’aurais été moins philosophe si j’avais été témoin du spectacle plutôt que de juste en entendre l’annonce par mes amis.

Cela dit, si j’aurais probablement été en colère, je ne pensais pas que j’aurais été aborder le nouveau couple pour leur dire ma façon de penser. J’aurais juste passé mon chemin. Mais ça m’aurait fait beaucoup plus mal que l’annonce de mes amis.

Avec le recul, c’était plus facile de relativiser. Qu’est-ce que je pouvais y faire, de toute façon ? J’avais aimé Nell de tout mon cœur et la meilleure façon de prouver que ça avait été le cas, c’était bien de la laisser tranquille, de la laisser vivre sa vie. Une fois la rupture prononcée, je n’avais plus le droit de rien lui dire.

Cela dit, la savoir avec Ward faisait naître en moins une certaine inquiétude. Je connaissais Nell… Je connaissais Ward. Combien de temps faudrait-il à Nell pour le percer à jour ? Jusqu’où allait-elle tirer sur la corde du bon cœur ? J’espérais bien avant que ce psychopathe ne lui fasse du mal d’une façon ou d’une autre.

Je verbalisai cette inquiétude et Katy me serra la main. De mon autre main, j’écrasai mon mégot de cigarette dans le cendrier au centre de la table.

Elle tenta de me rassurer, soulignant ce que je savais déjà, à savoir qu’il n’y avait rien à faire qu’espérer que tout aille bien pour Nell.

Conrad, lui, se demandait comment avait pu naître un amour entre Nell et Ward.

-Il la fascine… Tu sais, ces pauvres femmes qui écrivent aux psychopathes et tueurs en série en prison ? Ben Nell fait partie de ce genre de femmes. Ward l’a toujours attirée.

Même quand on était ensemble. Et c’était peut-être ce qui m’attristait le plus, dans cette histoire. J’avais d’énormes défauts, certes, j’en étais conscient… Mais au moins, j’avais cette fierté là d’être droit dans mes bottes. Peut-être un peu trop pour Nell ?

Bref, tout le monde était d’accord sur le fait qu’on devait laisser Nell faire sa vie comme elle le voulait et qu’on avait plus qu’à prier pour qu’elle ne devienne pas une victime de Ward au final.

-Ouais… J’ai pas vraiment envie d’un jour déterrer son corps ou de la ramasser à la petite cuillère dans le caniveau.

Là-dessus, Katy proposa un karaoké pour se détendre. Je frottai mon visage à deux mains et m’ébrouai pour me débarrasser de toute la mauvaise énergie qu’avait fait s’accumuler cette drôle de nouvelle en moi. Puis je pris ma pinte et la vidai en quelques grosses gorgées…

Finalement, affublé d’une moustache de mousse à l’instar de Katy, je souris. Puis éclatai carrément de rire quand Conrad m’appela Jordy.

-Il me faudra encore quelques pintes avant de chanter vraiment… Mais ouais, je te suis, Howie…

Chassant Nell et Ward de mon esprit et m’accrochant à l’amitié que me vouaient Katy et Conrad ainsi qu’à l’affection qui me liait à Grant, je pris mon courage à deux mains… Et continuai ma vie.