-Carla fait très bien son travail, Frances. Les autres aussi.

Frances était installée de l’autre côté de mon bureau, une place qu’elle n’avait pas pour habitude de prendre. Il fallait dire que c’était la première fois que je la convoquais pour lui mettre les points sur les « i ».

-Elle en pince pour Victor Hunter, Jimmy ! C’est tout sauf professionnel.

Je la regardai dans les yeux et ne fis aucun détour pour la ménager.

-Alors tu n’as pas été professionnelle pendant des années, Frances.

Etait-ce vraiment professionnel d’être à la fois dans le bureau et dans le lit de son patron ? Si un simple flirt pouvait décrédibiliser professionnellement une simple secrétaire, selon les critères de Frances, alors que devait-on dire de ce qu’il y avait eu entre nous ?

Je soupirai et elle baissa les yeux.

Mais ce ne fut pas pour autant qu’elle resta sans voix.

-Nous, ce n’était pas pareil.

Je pris un ton plus doux. Je savais que pour ce que pour que mon but soit atteint, il était intelligent de ne pas braquer ma secrétaire. Ce ne serait pas constructif. De plus, si ce n’était son attitude envers les employées plus jeunes qui risquaient de donner leur démission, je n’avais pas grand-chose à lui reprocher, à cette pauvre Frances.

-Ecoute… Laisse les secrétaires et les réceptionnistes tranquilles. Tu fais du très bon boulot depuis des années, tu n’as rien à leur envier…

Si ce n’était peut-être leur beauté et leur jeunesse, mais passons. Je lui souris.

-Si elles démissionnent, d’autres prendront leur place, et ce ne sera pas mieux pour toi. Autant t’habituer à celles qui sont en place. De toute façon, aucune d’elle n’a ses entrées ici comme toi tu les as.

Flatter un peu son égo ne pouvait pas faire de mal. Et puis, il fallait se rendre à l’évidence : j’aurais bien du mal à me passer de Frances qui, si elle n’était plus très fraîche, était par contre très bien rôdée, depuis le temps.

Elle sourit et je sus que j’avais gagné.

-Très bien, Monsieur Reed. Il sera fait comme vous le désirez.

Je souris à mon tour.

-J’en suis content, Frances… Tu peux y aller…

Elle se leva et sortit. Je la suivis du regard et pu voir Grant qui se tenait devant la porte au moment où Frances l’ouvrit.

-Tu peux venir, Grant.

Je le laissai venir s’installer et m’assis sur le rebord de mon bureau, les bras croisés.

-Rien à signaler, aujourd’hui ?

Moi, j’avais pu venir chez BSC ce vendredi après-midi parce qu’on avait fini plus tôt à l’école. J’étais content. J’aime venir chez BSC surtout quand Jimmy Reed est là. J’ai vu sa voiture sur le parking alors, j’ai su que c’est sa porte que j’allais surveiller aujourd’hui.

Je passai devant la réception. C’était Carla qui était là. Moi, je trouve que Carla est bête.

-Bonjour, Grant.

Elle dit ça avec un grand sourire. Oui. Les femmes qui font la réceptions doivent sourire et dire « bonjour ». C’est leur travail. Moi, mon travail c’est de protéger Jimmy Reed et sa place de parking. Il faut la surveiller souvent ces derniers temps parce que, l’autre jour, c’est Daniele Ricci qui y était. Moi, je lui ai dit de se virer de là. La place est celle de Jimmy Reed. Daniele a qu’à se garer ailleurs. Et si sa place est prise, moi, je crois qu’il doit tuer Victor Hunter pour que ça n’arrive plus.

- Victor est là ?

Oui. Moi, je dois savoir si Victor est là. Car s’il est là, moi, je dois mieux surveiller parce qu’il fait toujours ce qu’il ne faut pas faire. Moi, je comprends même pas ce qu’il fait ici. Frances dit qu’il n’a rien n’à faire ici.

Carla pris un air un peu triste.

-Non… Il a rendez-vous chez MTI avec Zack McBride…

Je fis la moue.

-C’est bien… Mais dommage qu’il n’est pas mort.

Et je laissais Carla là pour grimper tout en haut et me mettre devant la porte. J’ai remballé un type qui s’était trompé d’étage… J’ai remballé Carla qui voulait voir Jimmy pour lui parler « d’un truc important ». J’avais laissé passé Frances à qui Jimmy voulait parler. Frances peut toujours passé parce que c’est la secrétaire de Jimmy Reed. Et moi, je l’aime bien.

Elle ressortit un peu plus tard et Jimmy m’appela alors. Je tournai les talons pour entrer dans la pièce et fermai la porte. Je me mis sur le siège en face de son bureau. Pourquoi on va pas dans le fauteuil pour parler ? Moi, je préfère le fauteuil.

Jimmy voulait un rapport. Je le fixai droit dans les yeux affichant un air neutre.

-Non. Un type s’est trompé d’étage… Moi, je l’ai viré. Carla voulait venir aussi vous dire un « truc important » mais elle avait pas rendez-vous. Moi, je crois juste qu’elle veut se plaindre de Frances… Elle se plaint tout le temps de Frances alors que Frances fait son travail. Carla à part sourire et parler de Victor, elle fait rien, moi je pense. Victor n’est pas là alors la tour va bien et le parking aussi. Voilà le rapport. Tout va bien.

Oui. Tout va bien.

-Moi, j’aimerais un coca.

Oui. J’ai soif.

Je pensais bien que le problème « Frances » était réglé. Rien que de savoir que je n’approuvais pas son comportement allait sans doute la refroidir. Mais je n’avais pas fini journée… Il fallait maintenant que je m’occupe de Grant, ce qui était une autre paire de manche.

En effet, si Frances réagissait comme n’importe quelle femme lambda, Grant, c’était une toute autre histoire. Déjà, c’était un enfant, avec des besoins d’enfant. Mais en plus, il avait une façon d’appréhender le monde qi était légèrement différente de la plupart des gens. Je ne voulais pas employer le terme « anormal » pour lui.

Parce qu’il n’était pas anormal. Juste différent.

Et il pouvait, avec l’âge, devenir un véritable atout si je savais comment le prendre.

Seulement, il fallait aussi qu’il fasse au moins semblant de se comporter correctement. Parce que tout le monde ne le déchiffrait pas comme je le faisais. Il suffisait de voir comment Daniele le considérait… Comme un futur criminel.

Alors une fois que je pris congé de Frances, je le fis entrer dans l’appartement et il s’installa juste là où ma secrétaire se trouvait quelques secondes plus tôt.

Je demandai à Grant de faire son rapport, non seulement parce que ça m’intéressait, mais aussi parce que je savais que c’était gratifiant pour lui de me parler de son travail.

Il avait remballé un type. Il avait remballé Carla… En précisant qu’il aimait bien Frances, apparemment… Donc, Daniele n’exagérait peut-être pas en disant que ces deux-là étaient devenus de vrais tyrans.

Et tout allait bien parce que Victor n’était pas là.

Je souriais parce que j’étais amusé par la façon dont il avait raconté tout ça.

-Parfait alors, s’il n’y a rien à signaler.

Je me levai de mon bureau pour m’asseoir sur mon siège alors que Grant réclamait un coca.

-Nous devons parler d’abord. Toi et moi, de patron à grade du corps.

Je fis glisser vers lui une feuille de papier sur laquelle était imprimé le plan du parking avec les plaques d’immatriculations correspondant.

-Voici la nouvelle disposition du parking. Je te demande d’en prendre bonne note. Comme tu le verra, ton plus grand problème de parking sera, à l’avenir, probablement réglé.

Puisque sur le plan, il y avait maintenant une place pour Hunter.

Je me penchai légèrement en avant, croisant mes mains sous mon menton.

-Mes employés se plaignent que tu menaces de rayer leurs voitures. Est-ce vrai, Grant ?

Moi j’étais entré dans le bureau de Jimmy parce qu’il voulait un rapport. Je lui avais fait mon rapport. Tout allait bien aujourd’hui parce que Victor n’était pas là. Quand il était pas là, c’était mieux. Quand il était là, il emmerdait tout le monde.

Moi, j’avais parlé des gens que j’avais viré et terminé mon rapport sur « tout va bien ». Parce que tout va bien.

Jimmy était satisfait. J’hochai de la tête. Maintenant, je voulais un coca. Mais Jimmy n’alla pas me chercher un coca mais s’installa derrière son bureau sur le siège. Je tiquai. Il voulait me parler. Je venais de faire mon rapport… Il devait me dire quoi ?

-Ok…

Je plissai des yeux prenant un air sceptique. Il sortit alors un papier qu’il fit glisser vers moi. C’est quoi ? Pourquoi il me donne une feuille ? Je pris la feuille qui était un plan. Celui du parking. J’en avais un autre mais, apparemment, celui-ci était différent parce que les positions du parking allait changé. Mon regard se planta sur la place de Jimmy Reed sur la feuille. Elle avait pas changé. Moi, je connaissais sa plaque par cœur. Et celle des autres qui ont des places à eux dans le parking. Je levai un sourcil quand Jimmy disait que ce nouveau plan allait régler mon plus grand problème… Je relevai la tête du plan prenant un air sceptique. Comment ?

J’allais poser la question tout haut mais Jimmy disait que ses employés lui avait dit que je menaçais de rayer les voitures. Je fixai Jimmy.

-Oui. Moi, je fais ça. Si je ne menace pas, ils se fichent de moi et ne bougent pas les voitures. Daryll Rogers dit qu’il n’a pas d’ordre à recevoir d’un enfant. Daniele Ricci me traite de petit merdeux et se fiche de moi. Victor Hunter dit que je dois retourner en maternelle ou aller d’avance en prison parce que c’est là que je vais finir. Alors quand je dis que je vais rayer leur voiture, ils bougent… Sauf Victor… Parce qu’il dit que si je fais ça, il va ruiner mon tuteur et m’envoyer en maison de redressement. Moi, je sais qu’il est avocat. Je suis pas stupide. Je le déteste. Moi, je menace parce que le reste ne marche pas.

Voilà. Je reposai les yeux sur le plan cherchant à trouver ce qui avait changé et quand je le vis je m’indignai :

-Non ! Moi, je refuse de suivre ce plan !!

Je fit glisser violemment la feuille vers Jimmy Reed. Moi, j’avais vu que Victor Hunter avait une place maintenant.

-Il mérite pas ! Il travaille pas ici ! Moi, je refuse qu’il ait une place. Moi je continuerais à suivre l’ancien plan ! Voilà. Moi, j’aime pas ça. C’est un connard ! Moi, je pense que vous êtes bête de faire ça !

Oui. Moi, je pense ça. Je me renfrognai très fâché maintenant.

Je vis bien que Grant ne comprenait pas pourquoi je voulais lui parler. Je le connaissais assez pour savoir qu’il ne considérait rien de ce qu’il faisait comme étant mal. Et à vrai dire, il n’avait pas vraiment fait quelque chose de mal. Que je sache, il n’avait jamais mis sa menace de rayer les voitures à exécution.

Je lui passai le nouveau plan du parking. Mais avant de l’examiner, il répondit à ma question sur ses menaces.

Et je l’écoutai attentivement.

Ah… Daniele ne m’avait pas tout dit. Il s’était fait passer pour la victime, mais il le rendait bien à Grant en l’insultant.

Apparemment, le seul que Grant redoutait vraiment, c’était Victor. Les autres bougeaient leurs voitures après quelques remarques désobligeantes, mais pas l’avocat qui avait des arguments qui semblaient toucher l’enfant.

Comme quoi, il n’était pas totalement blindé, le petit.

-Je vois… Mais sache que Daryll et Daniele peuvent t’en faire voir de toutes les couleurs aussi si tu vandalises leurs véhicules. Il n’y a pas que Victor. Tu t’en sortiras bien s’ils ne font qu’envoyer la facture à ton tuteur.

Je lui souris.

-Je vais m’arranger pour que ton autorité sur le parking ne soit plus contestée. Tu es un employé de BSC, tu as droit au respect comme les autres.

Je le regardai dans les yeux.

-Mais si tu rayes une voiture, je serai obligé de considérer ça comme faute grave, tu comprends ?

Il se mit alors à regarder plus attentivement le plan que je lui avais donné. Je m’allumai une cigarette pendant ce temps-là…

Mais je ne m’étais pas attendu à ce que sa réaction soit une véritable explosion !

Je tiquai de l’œil gauche quand Grant affirma que j’étais bête de donner une place de parking à Victor.

-Mais, c’est moi le patron, Grant. Bête ou pas, c’est ma décision et tu te dois de l’exécuter que ça te plaise ou non.

Je repris un ton moins acerbe et regardai l’enfant attentivement. Il était refermé comme une huitre.

-Qu’est-ce que ça peut faire que Victor ait une place de parking ? Il ne prendra plus la mienne comme ça. Et il sera loin de la porte.

Oui, j’avais bien donné une place à Victor, mais je ne lui avais pas déroulé le tapis rouge non plus. Sa place n’était même pas à l’ombre…

Moi, j’expliquais à Jimmy pourquoi j’avais menacé de rayer les voitures. C’était parce que si je ne le faisais pas, personne ne m’écoutait. Ils me prenaient tous pour un enfant et ne me prennent pas au sérieux. Mais si je menace c’est différent. Sauf pour Victor. Sauf que Jimmy disait que Daniele Ricci et Daryll Rogers pourraient aussi m’en faire voir si je raye leur voiture. Je me renfrognai :

-Ce n’est pas juste.

Non. Ce n’est pas juste. Moi, ils m’insultent et ils sont pas punis… Mais Jimmy disait qu’il allait faire en sorte que je sois plus insulté.

-Oui. Sinon, moi, je les insulterais aussi s’ils continuent.

Mais Jimmy ne voulait pas que je raye les voiture. Je plissai des yeux soutenant son regard. Moi, j’avais JUSTE menacé. J’ai pas rayé. Si je voulais vraiment rayer, j’aurais rayé dix fois celle de Victor.

-Moi, j’ai jamais rayé. J’ai juste menacé. C’est pas la même chose. Moi, c’était juste pour leur faire peur.

Oui. Leur faire peur.

Jimmy m’avait donné un plan et je me mis à la regarder mon visage se fermant autant pour ce que je lisais que pour Reed qui avait allumé une cigarette. Moi, je n’aimais pas ça. Mais j’aimais encore moi le fait que Victor Hunter ait obtenu une place de parking rien que pour lui. Il méritait pas ! Et, en plus, il ne travaillait même pas ici ! Il venait que pour voir Carla.

Je m’énervai en disant que Jimmy était bête. J’étais très fâché et ça fâcha Jimmy qui disait que c’était lui le patron. Il disait que je n’avais rien à dire. Je croisai les bras montrant, en un regard, que ça m’énervait. Il demandait ce que ça pouvait me faire. Je me redressai plantant mon regard noir dans celui de Reed.

-Parce que quand il va le voir, il va se vanter partout. Il va dire « je t’avais bien dit, minus, que je finirais pas en avoir une ». Il va dire « tu peux plus me menacer, morpion ». Moi, je l’aime pas ! Je veux pas qu’il ait une place. Il travaille pas ici ! Moi, ça m’énerve comme décision. Moi, je suis pas d’accord avec vous. Jordan a dit que quand je suis pas d’accord, je peux le dire. Je le dis. Personne aime Victor dans la tour. Frances l’aime pas non plus.

Je continuais de planter mon regard dans celui de Jimmy. Je savais qu’il changerait pas d’avis. Moi, je commençais à connaitre Jimmy. Alors, j’eus une idée.

-Moi, je pense que comme ça m’ennuie beaucoup, je devrais être payé plus.

Oui. Plus.

Jusqu’ici, je n’avais eu qu’un seul son de cloche concernant les menaces de Grant. Celui de Daniele. Mais mon ami avait bien omis de me dire qu’ils le rendaient tous bien à Grant. D’un autre côté, ça ne m’étonnait qu’à moitié. BSC était rempli de gros egos… Daniele, Daryll et Victor étaient probablement les pires en dehors de moi. Alors pas étonnant qu’ils en mettaient plein la tronche à un gosse.

Et ça semblait non seulement emmerder, mais toucher particulièrement Grant.

C’était peut-être la première fois que je le voyais touché par quelque chose. Qu’on ne le prenne pas au sérieux sous prétexte qu’il était un enfant le blessait.

Il ajouta que ses menaces étaient juste destinées à faire peur.

-Je comprends, Grant. Mais sache que quoi qu’ils disent, ils n’ont aucun pouvoir sur toi.

Je le regardai sérieusement dans les yeux.

-Moi seul en ai. Et si j’ai décidé que tu étais en charge du parking… ou de ma porte… Les autres doivent respecter ça. Ils doivent te respecter.

Il faudrait que je remette les points sur les « i » à ce niveau-là à tout le monde. Je dirai à Frances de rédiger une note.

Restait à faire passer une autre pilule. La place de Victor Hunter.

Mais je ne pensais pas que ça ferait autant de remous. Après les insinuations de Daniele, je devais essuyer la colère de Grant. Tout le monde me donnait l’impression que je cédais à un caprice de Victor. Ce qui était un peu vrai… Mais le geste n’était pas pour autant dénué de sens. Ça réglerait le problème du parking et…

Victor travaillait ici. C’était mon avocat. Personne ne semblait comprendre ça. Et je savais que Victor, si je lui accordais quelques privilèges, me défendrait corps et âme le moment venu. C’était du donnant-donnant. Si je négligeais Victor, il me négligerait aussi. Et ça, ça aurait été bête.

Je ne comprenais pas bien… Alors je demandai simplement à Grant de m’expliquer pourquoi ça l’énervait tant. Et je compris que c’était la tendance de Victor à se vanter qui énervait un peu tout le monde. J’écoutai attentivement Grant jusqu’au bout.

Et je souris en coin quand il demanda à être payé plus, pour la cause.

-Tu ne perds jamais le nord. J’aime ça chez toi.

Je tirai sur ma cigarette et soufflai la fumée sur le côté… Comme si ça allait suffire à ne pas intoxiquer le gamin.

-Tu sais, Grant… Le pouvoir et la supériorité résident parfois dans des petites choses. Victor peut se vanter tant qu’il veut, ça ne doit pas te toucher. Parce que jamais il ne pourra te retirer ton pouvoir à toi.

Je marquai une pause, le laissant percuter.

-Il est peut-être mon avocat, mais tu es mon garde du corps. Qui crois-tu qui m’est le plus utile, au jour le jour, entre vous deux ?

Jimmy disait que les autres n’avaient pas de pouvoir sur moi. Je croisai les bras toujours renfrogné.

-Mais ils pensent que si.

Il disait que seul lui avait du pouvoir sur moi ce qui me fit tiquer un peu de l’œil. Il disait que les autres devaient respecter ce qu’il avait dit. Mais ils ne le faisaient pas.

-Oui. Ils doivent me respecter. Moi, j’attends ça.

Parce que jusqu’à maintenant, ils me respectaient pas juste parce que j’ai 10 ans et demi. Ils étaient tous méchants avec moi. Je n’aimais que Frances ici. Les autres étaient de gros loosers. Moi, j’espère que le vieux Daryll va mourir vite, que Daniele Ricci va s’étrangler avec son whisky et que Victor Hunter va se faire écraser par une voiture sur le parking. Moi, je pense qu’ils méritent ça.

Mais quand je vis comment Jimmy Reed avait refait les places sur le parking, je n’étais pas content DU TOUT. Il avait donné une place à Victor alors qu’il méritait pas. Quand il venait ici, il ne travaillait même pas ! Il faisait que trainer autour de Carla qui, du coup, ne travaillait pas non plus. Moi, je comprends pas pourquoi Jimmy faisait ça ! Moi, je lui expliquais que s’il faisait ça Victor allait se vanter.

J’étais fâché !

Alors, je demandai de l’argent !

Jimmy Reed disait que je perdais pas le nord.

-Moi, je perds rien.

Parce que je ne suis pas un looser.

Je plissai du nez chaque fois qu’il soufflait la fumée. Ça pue. J’aime pas ça ! Je fronçai plus fort les sourcils car j’étais très contrarié maintenant.

Jimmy Reed disait que le fait que Victor se vante ne doit pas me toucher. Je fixai Reed qui disait que Victor ne pourra jamais me retirer mon pouvoir et il me posa ensuite une question. Je fis la moue. Je réfléchis avant de dire :

-Moi. Je suis plus utile. Victor te défend de la prison. Moi, de la mort. Moi, je pense que la prison c’est mieux que la mort.

Oui. C’est mieux.

-Alors, je dois avoir plus d’argent.

Oui. Je dois.

-Mais s’il m’insulte, moi je pense qu’il doit être puni. Ok ?

Je tendis la main pour le deal. Sur l’argent et sur les insultes.

Grant râlait vraiment fort. Il était renfrogné sur sa chaise, les bras croisés et les sourcils froncés. Et quelque part, c’était rassurant. Plus rassurant que quand il gardait un regard et un ton neutre. Parce que dans ces cas-là, il ressemblait atrocement à Ward dans ses mauvais jours.

Grant attendait que les gens le respectent.

Je souris, réfléchissant à comment lui exposer les choses.

-Les menaces t’apportent peut-être l’obéissance des gens… Mais l’obéissance n’a rien à voir avec le respect, Grant.

Je savais que la crainte pouvait apporter une forme de respect. Dans l’Eastside, par exemple. Mais je savais par expérience qu’il y avait quelque chose de bien plus puissant que la crainte… un sentiment qui poussaient les autres non seulement à vous respecter, mais aussi à faire tout un tas de choses pour vous.

Même les pires choses.

-Ce qu’il faut, Grant, et qui est plus fort que tout, c’est que les gens en viennent à t’apprécier… Presque malgré eux. Tu comprends ?

Mais le plan du parking ne lui plut pas. Il haïssait Victor Hunter par-dessus tout, apparemment.

Grant alla donc jusqu’à essayer de me soutirer une augmentation en me menaçant (décidément, il aimait les menaces), de ne pas respecter le plan.

J’essayai de comprendre pourquoi il vouait une telle haine à Hunter. Et pour finir, je lui demandai de réfléchir à qui, de lui ou de mon avocat, était le plus utile au jour le jour.

Et sa réponse me fit rire. J’écrasai ma cigarette dans le cendrier sur mon bureau.

-Victor défend mes intérêts… Il ne me défend pas de la prison. Qu’est-ce qui te fait croire que je mériterais de finir derrière les barreaux, Grant ?

Probablement parce que pour lui, étant donné qu’il descendait d’une lignée de tueurs et vivait avec un flic, un avocat servait automatiquement à éviter la prison.

Je croisai les mains sur mon bureau et regardai Grant dans les yeux qui ne lâchait pas son idée d’augmentation.

-Je serais un très mauvais homme d’affaire si je cédais à ta demande sous prétexte que quelque chose te contrarie.

Je fis la moue.

-Je t’ai promis de dire un mot à tout le monde pour qu’on te respecte. Mais l’augmentation, il faudra que tu la mérites. En mettant en place ce qu’il faut pour que plus personne ne se plaigne de toi dans cette tour.

Je me levai et lui tendis la main en signe de marché conclu et de congé.

Jimmy disait que l’obéissance n’avait rien n’à voir avec le respect ce qui me fit me renfrogner. Il avait facile lui ! Les gens savaient qu’il était le patron et qu’il peut les virer. Il est un adulte. C’est facile de pas avoir à menacer.

-Mais moi, je sais pas faire autrement. Ils me prennent pour un enfant. Toi, tu es le patron et un adulte. C’est facile de dire ça quand on est ça.

Moi, ils me respectent pas parce que j’ai 10 ans et demi.

Mais je m’attendis pas à ce que Jimmy dise que ce que je devais faire c’est que le gens m’apprécient. Je plissai des yeux montrant que j’étais perplexe. Comment je peux les faire m’apprécier malgré eux ? Moi, je comprends rien. Je me renfrognai un peu réfléchissant.

-Pas facile.

Ils ne m’aiment pas et je ne les aimes pas. Mais Jimmy disait que ça permettait d’être respecté sans menacer. Même si… Moi, j’aimais bien menacer. Alors, j’haussai des épaules.

-J’essayerais. Moi, je sais être gentil pour obtenir des choses.

Ça me demandait de l’énergie mais je savais faire ça.

Mais quand je vis le nouveau plan du parking, je fus pas content DU TOUT. Je ne voulais pas que Victor Hunter ait une place. Je l’aimais pas et il méritait pas. Je m’énervais mais Jimmy me fit comprendre que j’étais plus important que Victor. Oui. Je l’étais. Sans moi, il risque de mourir. Victor lui évite juste la prison. Mais je levai un sourcil quand Jimmy disait que Victor ne lui évitait pas la prison mais s’occupait de « ses intérêt », quoi que ça veuille dire…

-Des choses que mon père m’a dite…

C’est ça qui me disait qu’il méritait la prison. Mais il était malin pour pas se faire avoir. Jordan m’avait dit que le seul moyen d’éviter la prison était d’être malin. Il disait que mon père l’était. Mais mon père a quand même fini en prison. Alors, moi, je pense que c’est Jimmy Reed le plus malin. Parce qu’il a Victor ? Peut-être… C’est pour ça qu’il lui donne une place de parking ? Je réfléchis quelques instants. Peut-être…

Mais je remis l’augmentation sur le tapis. Si je dois supporter Victor dans le parking, moi, je veux plus d’argent. Mais Jimmy refusa. Je fronçais les sourcils. Il disait que je devrais mérité l’augmentation.

-Je fais tout bien…

Comment je peux faire mieux que tout bien ?

Il expliqua que pour ça, je devrais mettre les choses en place pour qu’on ne se plaigne plus de moi dans la tour. Je grommelai. Il se leva pour me tendre la main.

Je me levai et lui serrai la main très froidement.

-Si Daryll, Victor ou Ricci m’insulte, c’est moi qui irait me plaindre.

Je tournai alors les talons un peu fâché par la conversation et je quittai directement le bureau de Reed sans dire « au revoir ».

Grant trouvait que ce que je lui demandais n’était pas facile. Je souris.

-Tu es malin. Tu y arriveras. Je te fais confiance.

Il râlait vraiment plein sa panse, mais il finit, même renfrogné, par dire qu’il essayerait. J’étais assez fier de lui. Parce que je savais que ce n’était pas évident pour lui. Il avait une façon de fonctionner bien particulière. Cela ressemblait à celle de Ward, mais avec bien des différences. Comme le fait que Grant se laissait plus facilement dépassé par ses émotions comme, dans ce cas-ci, la colère.

Mais il était jeune… En grandissant, il pourrait devenir froid comme son père… ou, s’il écoutait mes conseils, devenir vraiment vicieux et manipulateur. Mais un manipulateur subtil.

-C’est bien si tu essayes, c’est tout ce que je te demande.

Après qu’il ait passé sa colère sur Victor Hunter et sa toute nouvelle place de parking, on en vint à parler des fonctions de chacun. Et je fis réaliser à Grant qu’il était, en quelque sorte, plus important que Hunter. Cela sembla lui convenir. D’autant plus que je ne manquais pas. Pour l’instant, Victor n’était qu’une carte dans mon jeu et j’attendais le moment opportun pour la jouer.

Alors que Grant était un partenaire de tous les jours, 10 ans et demi ou pas.

Il disait que Victor Hunter m’évitait la prison. Je précisai un peu les choses mais apparemment, Ward avait parlé de certaines choses à Grant, ce qui me fit tiquer de l’œil gauche.

-Il ne faut pas croire tout ce que dit ton père.

Je me demandais jusqu’où Ward était allé dans ses révélations. Mais je ne stressais pas vraiment. Je savais que Grant appréciait trop son travail ici pour parler de tout ça à son tuteur, par exemple.

Il voulait une augmentation, que je refusai… Tout du moins pour le moment ! Si je cédais maintenant juste parce qu’il était contrarié, il allait faire doubler son salaire en moins de deux semaines !

Il protesta qu’il faisait tout bien… Je me frottai le menton.

-Continue à faire les choses bien, Grant. Et comme tous mes employés, quand tu auras un an d’ancienneté, tu auras une petite augmentation. Et ce sera ainsi chaque année.

Il ne serait pas juste faire autrement pour Grant juste parce qu’il travaillait ici en noir.

Il grommela que s’il se faisait encore insulter, ce serait lui qui viendrait se plaindre.

-Et ce sera ton droit le plus strict.

On se serra la main et Grant sortit du bureau… Il était fâché mais, en tant que patron, il était bien difficile de contenter tout le monde.